Document envoyé par  D. Lamare-Pailliot.

 

Préambule

 

Extrait du cahier écrit par mon père, Pierre Pailliot, écrit  quelques années avant son décès pour nous livrer, à nous ses enfants, sa  vie dans les mines.

 

Mon père a travaillé pendant 34 ans au fond de la mine, de l’âge de 14ans à l’âge de 48 ans lorsque sa santé ne lui a plus permis de continuer….

 

J’espère que cet extrait permettra à ceux qui ont connu la mine, de revivre ces évènements à travers les yeux d’un homme courageux et intègre … et sans concession…. Et à ceux qui n’ont pas vécu cela, de comprendre à quel point les hommes de chez nous ont souffert mais ont continué à  aimer leur métier… que l’amitié, la solidarité n’était  pas un vain mot pour ces hommes… et que nous devons travailler pour maintenir la mémoire de ce temps passé….

 

 

RECIT

 

PIERRE PAILLIOT (1925-1998)

 

UN DEMI SIECLE CHEZ LES GUEULES NOIRES

 

 

EXTRAIT : LA CATASTROPHE DE 1970

 

 

 

…En 1970, au début de l’année, j’avais remplacé un employé malade, à la direction d’un chantier. Il me fallait faire chaque jour, un rapport auprès de l’ingénieur du bloc, mais quelques temps après, en arrivant au bureau, le porion que j’avais remplacé était présent et reprenait le travail le lendemain. Je le connaissais très bien, d’origine polonaise, il se nommait Gorecki Tadeus.

Je fus donc envoyé dans un chantier, afin d’initier des jeunes mineurs, mais à part la maîtrise, personne n’était au courant de cette mutation.

Le lendemain matin, je partis pour ce nouveau chantier, l’un des plus éloignés que j’ai connu. Nous étions amenés dans des wagonnets avec banquette, conduits par un tracteur, à plus de cinq kilomètres du puits central.

J’y passais ainsi mes heures de travail sans savoir ce qui s’était passé ce matin-là.

Quand arriva pour nous le moment de repartir pour la remonte au jour, je fus bien étonné de constater l’absence des moyens de transports. Nous avons dû repartir à pied mais nous n’avons rencontré aucun mineur tout au long de notre parcours et j’étais de plus en plus inquiet de ne voir personne.

En arrivant à l’accrochage, «  base du puits pour la remonte des ouvriers », j’appris avec stupeur qu’un coup de grisou s’était produit dans le chantier que j’avais quitté la veille, faisant 17 morts.

Il me serait difficile de dire ce que je ressentis à l’annonce de cette nouvelle, toutes ces victimes étant pour moi des camarades que j’avais quittés la veille. J’avais  des larmes plein les yeux et je ne savais vraiment quoi dire aux jeunes mineurs qui m’accompagnaient.

Je me suis lavé très vite, dans un lavabo presque désert, et je me souviens qu’un de mes camarades fut frappé de stupeur en me voyant et je me souviendrais toujours de ses paroles «  Ben… t’es pas mort ? »

Beaucoup d’ouvriers me croyaient faisant partie des victimes. Il faut dire que celles-ci, brûlées à plus de trois mille degrés de chaleur, étaient méconnaissables et qu’il fallait pointer chaque ouvrier à la remonte pour connaître le nom des victimes.

Quand je sortis du lavabo, une foule considérable était massée derrière les grilles, mes enfants et mon beau-fils étaient présents mais je ne comprenais pas leur émotion.

Quand j’arrivais chez moi, ma femme aussi était dans le même état et j’appris qu’on était venu l’avertir que je faisais probablement partie des victimes et qu’elle devait préparer le lit à toutes fins utiles. Le bruit en avait couru jusqu’à Henin Liétard où habitait la famille de ma femme et un  de mes beaux frères venu en bicyclette fut très surpris et très heureux de me voir chez moi.

Les voisins venaient aussi chez moi car tous avaient entendu dire que j’étais décédé.

L’explosion fût très forte, et des ouvriers culbutés pas la déflagration à plus d’un kilomètre du lieu de l’explosion.

Un maître porion , Bleuzet Alphonse, qui était arrivé le premier sur les lieux, me raconta par la suite que le porion qui m’avait remplacé n’avait plus de boite crânienne et que la plupart des victimes étaient carbonisées.

A quelques centaines de mètres, il avait trouvé un mineur en train de s’étouffer. Il dût lui retirer la langue, qui s’était retournée dans la gorge après lui avoir mis un morceau de bois dans la bouche pour éviter d’être mordu.

Ce mineur était un ancien prisonnier allemand nommé Neumann Gérard, resté chez nous après se captivité. Il fut tellement traumatisé qu’il fut reconnu invalide total et ne reprit pas le travail.

Mais ceux qui se trouvaient à moins de trois cent mètres furent tous tués.

Ce jour-là, je ne pus rien manger chez moi, mais comme j’eux bien des visiteurs, je dois dire que le soir, après avoir trinqué avec tout le monde, j’étais dans un bel état.

Pendant trois jours nous n’avons pas travaillé jusqu’aux funérailles qui furent organisées sur la place de la mairie de Fouquières Les Lens.

Des mineurs en tenue de travail montaient la garde près des cercueils couverts de fleurs et de couronnes en présence d’une population silencieuse.

Des délégations venues de toutes les régions minières étaient présentes.

Des discours furent prononcés par le délégué mineur, l’archevêque d’Arras, et le ministre du travail M. Ortoli. Et je me souviens d’une de ses phrases : «  toute la lumière sera faite sur les causes de cette catastrophe et les responsables punis. »

Ces mêmes paroles furent prononcées par M. Chirac, alors premier ministre, lors de la catastrophe de Liévin, mais ceux qui tentèrent de prouver la responsabilité des houillères pour non respect du règlement furent dépossédés de leurs droits au cours de l’enquête. Je pense ici au Juge Pascal pour ses interventions à Liévin.

Ces quelques lignes pour dire simplement qu’il est plus facile de promettre que de tenir.

Il y eut quelques manifestations très déplacées, provoquées par des personnes se réclamant du «  cercle rouge » patronnée par Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir, et qui enlevaient les œillets rouges des couronnes pour les jeter sur les cercueils.

Ils faillirent être lynchés par les ouvriers et furent emmenés par la police.

Le départ du convoi fut très triste, la musique jouant des marches funèbres et la douleur des familles en deuil renforçant l’émotion de tous et bien des gens se retournaient discrètement pour s’essuyer le visage.

Dès la reprise, une nouvelle épreuve m’attendait. Je fus envoyé avec deux aides, pour réparer les dégâts et participer aux fouilles avec les agents de la sécurité minière.

Je n’étais pas très emballé à l’idée de me retrouver dans cet endroit mais j’y suis allé quand même.

J’ai été bouleversé quand j’y suis arrivé : les soutènements étaient pour la plupart culbutés, les rails qui servaient aux installations, tordus, les poussières de charbon cokéfiées partout. Je n’aurais jamais imaginé un tel bouleversement.

Le premier jour, je dus ramasser tout ce qui traînait sur l’emplacement des victimes : morceaux d’étoffes , chaussettes ou barrettes, le plus souvent ensanglantés.

Il y avait d’énormes tâches de sang qu’il fallait saupoudrer de chaux, le tout mis ensuite dans des sacs plastiques que je devais ramener au laboratoire de la mine en vue d’expertises.

Je crois bien que cela a été le plus mauvais souvenir qui me soit resté de  toute ma vie dans les mines.

C’était aussi très impressionnant de travailler dans ces conditions et ceux qui étaient désignés pour me seconder, refusaient souvent s’y revenir et je me souviens d’un travailleur marocain, se mettant à genoux et faisant sa prière selon le rite musulman avant de pénétrer dans le chantier.

Pourtant toutes les précautions étaient prises contre un  éventuel retour du grisou et des recherches faites toutes les demi-heures.

Cela dura plus d’un mois, mais toutes nos fouilles et nos recherches restèrent sans résultat et je tiens à dire que tous les membres de la sécurité ont fait l’impossible.

J’ai, dans ce métier si dur, été témoin de bien des accidents, dont quelques uns mortels, mais je n’ai jamais pu oublier ce coup de grisou et ce que j’ai vu ne s’est jamais effacé de ma mémoire……

 

 

 Stèle (Photos Christian Vallez)

 

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