PECQUENCOURT (28 novembre 1969)

Dans quelques jours, c'est Sainte Barbe, la patronne des mineurs, une fête que l'on prépare de longue date, une fête dont on se réjouit à l'avance.

 

A la fosse Barrois de Pecquencourt, deux mineurs sont descendus tôt le matin de ce vendredi 28 novembre. Ils dé­barrassent un chantier situé au-dessus d'une taille très pentue un dressant, une veine de charbon presque à la verticale. Ils sont là, faisant consciencieusement leur travail, à près de 300 m de profondeur. Près d'eux, un chef de quartier et un agent de maîtrise.

 

Soudain, c'est l'éboulement. Les quatre hommes dispa­raissent sous des mètres cubes de charbon et de roches. Un gazier, venu vérifier la teneur du grisou dans le quartier, arrive, surpris. L'atmosphère est poussiéreuse. La voie qu'il emprunte est obstruée. Sur un bois, deux musettes accrochées. Un silence de mort. Il devine : des hommes sont là, enterrés vivants dans le charbon .Il donne l'alerte.

 

Il est environ 7 h 30. Des équipes de sauveteurs sont rapidement constituées et mises en place. Il faut faire vite pour sauver ceux qui sont ensevelis, coincés peut-être auprès d'un étançon, respirant encore. Des mineurs n'ont-ils pas déjà été sauvés in extremis ? Ainsi, à la fosse Delloye, deux mineurs sur trois ont été un jour sauvés.

Le glissement de terrain est important, et le charbon éboulé s'avère comme une dune de sable dans laquelle l'on s'efforce de creuser un tunnel. Où sont les corps ? A un mètre, à six mètres, à neuf mètres en profondeur de l'éboulement ? Comment s'y prendre ? Dans l'obscurité de la mine à peine trouée par les lampes des mineurs, commence un véritable travail de taupe.

L'éboulement a emporté des étançons, détruit le soutène­ment. Avant de pouvoir déblayer, les sauveteurs sont contraints de reconstituer la voie, de renforcer au maximum l'étayage. Il est 11 h 30 quand ce travail est terminé. Les canalisations d'air semblent fonctionner ; chacun essaye de percevoir un signe de vie, un coup sur une tuyauterie par exemple. En vain.

Au jour, on a vite appris le nom des victimes. Les deux mineurs : Casimir Fichowski et Joseph Zielinski ; le chef de quartier : Maurice Berton ; l'agent de maîtrise : Edouard Ulrych. Tous chargés de famille. Les épouses ont été prévenues. Quatre familles vivent désormais dans une attente angoissante. Et quelle attente !

Avec d'infinies précautions, les sauveteurs creusent un boyau dans la « dune de charbon » où s'entremêlent cadres métalliques et importants morceaux de roches. A 16 heures, les sauveteurs ont avancé de 2 mètres. Après 13 heures d'efforts surhumains, l'éboulis n'a pu être entamé que de 2,50 m. L'espoir de retrouver les mineurs vivants s'amenuise.

Les sauveteurs poursuivent leur tâche sans relâche. Un miracle est toujours possible. Vers 22 h 10, les hommes dé­couvrent une musette, une veste. Vers 23 heures, un corps ; à la ceinture, une lampe, un numéro : c'est Joseph ZIELINSKI. Son corps n'est complètement dégagé que le lendemain à 3 h 35. Remonté à 4 h 15, il sera rendu à sa famille.

24 heures après l'éboulement, aucun autre corps n'est retrouvé. En 30 heures, les sauveteurs n'ont avancé que de 4,50 m. Ils ont entamé, une lutte sans merci pour se frayer un passage : les uns tentent d'enfoncer des rails dans l'éboulis pour constituer un toit artificiel, d'autres s'efforcent de poser des étançons, d'autres encore consolident le travail de ces derniers, retirent les déblais. Les uns sur les autres, dans l'antre de la mine, la mort menaçant à chaque instant, ils effectuent un travail de titan ; les équipes se relayent toutes les 20 minutes.

 

L'avancement des travaux se poursuit d'autant plus diffi­cilement qu'au charbon poussiéreux se mêlent de gros blocs de cailloux, des blocs qu'il faut casser au marteau-piqueur avec prudence : dans une anfractuosité, peut-être un rescapé ... à moins que le charbon poussiéreux n'ait envahi le vide. En Lorraine existe un matériel perfectionné pour attaquer les roches ; il est dirigé dans la nuit sur Pecquencourt. Dès leur arrivée, le matin, les trois ingénieurs sont descendus avec ce matériel dont ils commandent la marche. L'avancement des travaux est un peu plus rapide.

 

Vers 13 heures, les sauveteurs repèrent un nouveau corps non identifiable sur le champ. Vers 14h30, on connaît le nom de la seconde victime : Maurice BERTON. Les opérations de dégagement s'avèrent délicates : il faudra plusieurs heures. Vers 20 heures, le corps est dégagé ; à 20 h 30, il est remonté à la surface.

 

Deux hommes manquent encore à l'appel. Il ne semble plus y avoir de miracle possible. A la grille du carreau de fosse, quelques personnes seulement attendent des nouvelles. Avec un ultime espoir au cœur ?

 

Toute la nuit du dimanche au lundi, les travaux de déblaiement se poursuivent inlassablement. Un troisième corps est identifié peu avant 6 heures du matin, celui de Casimir FICHOWSZI. Vers 21 heures, le dernier corps est repéré ; vers 23 heures, il est dégagé. 85 heures après la catastrophe, l'attente pénible, épuisante de Madame ULRYCH s'achève sur une triste réalité : elle a perdu son mari.

 

Qui peut mesurer le poids des heures d'angoisse vécues par celles qui ont attendu le retour du fond de la mine d'un être cher alors que l'espoir s'amenuisait d'heure en heure ? ...

Mercredi 3 décembre. Sainte Barbe ne sera pas jour de fête comme les autres années. La corporation minière est de nouveau en deuil.

A 10 heures, en l'église de Pecquencourt, messe de funérailles de Casimir Fichowski et Joseph Zielinski ; à 11 heures, en l'église d'Auberchicourt, messe de funérailles d'Edouard Ulrych. Deux cérémonies présidées par Mgr Jenny, archevêque de Cambrai. A 15 heures, Maurice Berton est inhumé au cimetière

de Somain.

Les messes prévues dans les églises le jeudi 4 décembre pour fêter Sainte Barbe revêtiront un caractère de deuil : elles seront célébrées à la mémoire des victimes. Les manifestations publiques sont supprimées ou reportées. Pas de fête de Sainte Barbe à la Direction Générale des Services Centraux de Douai.

Dans un communiqué, la Fédération nationale des mineurs C.F.D.T. rappelle combien le métier de mineur est dangereux. Le progrès de la technique n'a de sens « que dans la mesure où ce progrès est mis au service des hommes et non pas au service simplement d'impératifs économiques ». Elle appelle l'ensemble de la corporation et tous les travailleurs, en général, « à exiger à travers leur lutte de chaque jour, l'amélioration de leurs condi­tions de travail afin de faire en sorte que le but et le fondement de toute l'activité humaine reste l'Homme et tout ce qu'il re­présente de droits fondamentaux ».

 

 

PECQUENCOURT - 28 novembre 1969

BERTON Maurice,          40 ans,        56, rue Maurice-Thorez à Pecquencourt

FICHOWSKI Casimir,     36 ans,        431, Cité Barrois à Pecquencourt

ULRYCH Edouard,         35 ans,         52, rue Failly, à Auberchicourt.

ZIELINSKI Joseph,         41 ans,         Allée F, 32, Cité Barrois à Pecquencourt.

Compte rendu de l'assemblée nationale du 23 juin 1970

 

8999. — M . Ramette rappelle à M . le ministre du développement industriel et scientifique la récente catastrophe du puits Barrois à Pecquencourt, qui a fait quatre victimes et soulevé dans la population une très vive et profonde émotion . Elle fait suite à la catastrophe de 1963, qui a causé la perte de trois mineurs et occasionné plusieurs accidents graves et mortels au même puits . Cette nouvelle tragédie de la mine survient également après celle de Leforest, qui a fait cinq victimes, ce qui porte le nombre des morts à dix et à quarante-trois celui des orphelins pour le seul groupe de Douai depuis le début de l ' année . Il lui fait remarquer qu 'il est indispensable, après cette série d ' accidents mortels, d ' invoquer la fatalité.

Le syndicat des mineurs C. G. T . signale avec raison, dans son communiqué, que les houillères . en voie de liquidation de par la volonté gouvernementale réduisent les effectifs et cependant le nombre des accidents demeure très important st que les conditions de travail deviennent chaque jour plus pénibles . Il semble donc que la récession des houillères ait pour conséquence un certain relâchement des mesures de sécurité, relâchement auquel il convient de remédier sans tarder si on veut éviter le retour à de nouveaux drames comme celui de Barrois . Aussi il lui demande s ' il entend faire ouvrir, sans plus attendre, une enquête sérieuse par le service des mines avec la participation des délégués mineurs, des délégués syndicaux, du comité d 'entreprise du puits et de la commission de sécurité du groupe de Douai, cela en vue de déterminer les causes et les responsabilités de cette catastrophe et pour envisager les mesures à prendre en vue d'éviter le renouvellement de pareilles catastrophes. (Question orale du 8 décembre 1969, renvoyée au rôle des questions écrites le 20 niai 1970 .)

Réponse . — L' enquête consécutive à l ' accident collectif survenu le 28 novembre 1969 à la fosse Barrois, groupe de Douai des houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais, qui a provoqué la mort de deux ouvriers et de deux agents de maîtrise ensevelis par un éboulement, a été effectuée par le service des mines en collaboration étroite avec le délégué mineur de la circonscription. Le délégué a accompagné les ingénieurs dans leurs visites du lieu de l'accident, il a participé activement à leurs constatations et à la recherche des causes de l' éboulement . Son avis sera comme d 'habitude annexé au procès-verbal d'enquête . Sur le plan de la sécurité en général, et quoique la succession en peu de temps de plusieurs accidents collectifs ne soit pas due forcément à un relâchement  dans l 'application des règlements, il est apparu que l'important effort accompli au cours de ces dernières années, face à la  complexité croissante des techniques et des méthodes d'exploitation, devait être encore développé . Des instructions et directives ont donc été adressées au service des mines en vue d ' accroître, dans tous les domaines, l'efficacité des moyens de prévention . Les délégués mineurs seront largement associés à cette action.

 Fosse Barrois Photo HBNPC

 

 

Article relais

 

 

Article relais

   HAUT        ACCUEIL    Télécharger le document

 

RETOUR CATASTROPHES DANS LES MINES