OIGNIES (28 mars 1946)

Dossier mis a jour grâce aux Documents de Bernard Urbaczka

 

 Dans les corons, les lumières des maisons se sont éteintes une à une. Les cités minières se sont endormies tandis qu'au fond de la mine des hommes travaillent : ils forment les équipes de nuit chargées de préparer les chantiers pour les abatteurs des postes du matin et de l'après-midi.

Ce jeudi 28 mars, à la fosse 1 d'Oignies, 76 hommes de la veine 16, taille 2, sont descendus pour se rendre à leur lieu de travail distant de 2 km du puits. Ils cheminent dans les galeries et voies à 574 mètres sous terre : près de 40 minutes de marche. II est environ 22 h 45 lorsqu'ils se trouvent à pied d’œuvre.

Parmi eux, quelques-uns sont déjà entrés dans la taille quand soudain une explosion éclate. Des bois de soutènement craquent. C'est l'éboulement accompagné d'un nuage de poussières. Présent sur les lieux, un agent de maîtrise alerte immédiatement le « jour ».

Près de l'éboulis : trois cadavres, un blessé dans le coma. Une équipe de sauveteurs arrive. On perçoit des gémissements. Des hommes sont encore en vie. Avec d'infinies précautions pour ne pas être à leur tour ensevelis, les sauveteurs ouvrent un passage à travers les éboulis, se relayant, travaillant sans relâche. Pour tomber sur un amas de chair : un, deux, trois ... sept cadavres les uns sur les autres .. .

Dans le calme de la nuit, trois blessés grièvement brûlés sont remontés vers 2 h 30, et dirigés sur l'hôpital d'Oignies. Puis quatre autres à 3 h 30, dont un prisonnier de guerre allemand, Sache Johann.

La nouvelle de la catastrophe n'est connue que vers 4 heures du matin. Dans la cité minière, les maisons s'éclairent, les portes s'ouvrent. La nouvelle circule : coup de grisou à la fosse 1. Aussitôt dans les esprits surgit le spectre de Courrières morts, la quasi-totalité des ouvriers occupés au fond de la mine.

Des ombres se glissent rapidement dans la nuit vers la fosse. La grille d'entrée est fermée. Des gendarmes montent la garde. C'est mauvais signe.

Entre 3 heures et 10 h 45, la cage remontera à la surface 11 corps sans vie, dont ceux de deux prisonniers de guerre.

Pendant ce temps, une foule de plus en plus nombreuse se presse derrière la grille. Parents et amis viennent aux nouvelles. Une attente anxieuse. L'identification des victimes. Un soupir de soulagement pour les uns, le désespoir pour d'autres.

Dans la nuit de vendredi à samedi, deux mineurs grièvement blessés décèdent, ce qui porte à 13 le nombre des victimes dont les funérailles sont fixées au lundi 1er avril. La communauté des émigrés polonais est durement touchée :9 morts.

Parmi des messages de sympathie

- un hommage de l'union départementale des ouvriers du Nord « à ces héros qui tombent en pleine bataille de la production ».

- les condoléances des travailleurs parisiens « aux meilleurs artisans de la renaissance française ».

Des secours sont votés, notamment

- par l'Assemblée Nationale sur proposition de Paul Sion, (2 000 000 AF).

- par le Conseil Municipal de Paris (200 000 AF).

M. Félix GOUIN, président du Gouvernement provisoire, fait remettre un chèque de 100 000 AF.

La fosse 1 est classée très grisouteuse. La catastrophe ? A l'origine, une accumulation de grisou qui serait due à l'arrêt momentané d'un ventilateur ; mais comment a jailli l'étincelle qui a provoqué l'explosion ?

Vendredi à 10 heures, les opérations de sauvetage sont considérées comme terminées. Les mineurs doivent gagner la bataille du charbon. La taille n° 2 est éloignée des autres chantiers. Les conditions d'aérage sont redevenues normales, les gaz sont évacués. On peut reprendre l'exploitation du charbon. Pas question de grève.

Les cercueils sont là. Les molettes tournent. Les mineurs passent devant la chapelle ardente. Ils reprennent le travail. La France a besoin de charbon.

 

« NORD-MATIN » du 30 mars

note que le quartier où s'est produite la catastrophe est

• renommé comme assez grisouteux », et qu'il avait été « remis en exploitation depuis peu de temps». Il apparaissait en outre que « les travaux nécessités par la remise en exploitation de ce quartier n'auraient pas été poussés jusqu'à leur complète exécution, ceci afin de procéder plus rapidement à l'extraction du charbon ».

• rapporte par ailleurs que des mineurs, interrogés aux abords de la fosse, « regrettent que les délégués mineurs consacrent une partie trop grande de leur activité en effectuant un service relevant plutôt des prérogatives des porions et des ingénieurs et consistant à contrôler la production, en se faisant les représentants au fond de la mine de la Coopérative, et aussi et surtout en usant de leur fonction officielle pour se faire les agents recruteurs d'un parti politique ».

• observe que « si la production doit être intensifiée - et nul ne le conteste - qu'elle le soit en prenant le maximum de garanties pour préserver la vie des « gueules noires » ... »

Samedi 30 mars, en compagnie de plusieurs personnalités, M. Auguste LECŒUR, sous-secrétaire d'Etat à la Production Industrielle (section des mines), visite les chantiers du fond.

Après cette visite, il déclare à des journalistes réunis que le chantier lui semblait normalement aéré, que la teneur en gaz avait été signalée dès le 25 février par le délégué mineur.

«  ... Mais les améliorations indispensables ne pouvaient être réalisées que dans le cadre de l'organisation générale, car le puits no 1 est resté dans les mêmes conditions déplorables d'exploitation depuis trente-deux ans, et c'est là un crime impardonnable ... ». Les responsables de la catastrophe ? Les dirigeants des anciennes compagnies minières.

«  Cité-Soir », dans son numéro du 3 avril, écrira : « C'est pourquoi les Compagnies privées ont des comptes à rendre. Seules de véritables nationalisations peuvent permettre de pousser avec efficacité la modernisation des mines et éviter le retour de tels accidents ».

M. MARTEL, de la Fédération nationale du Sous-sol, succédant à M. LECOEUR, déclare entre autres que « le délégué a le devoir d'avoir une opinion politique. Au surplus, II est élu et son attitude relève du contrôle de ses mandants » ; il déplore que la catastrophe se transforme en campagne politique. « Il ne faut pas, dit-il, démoraliser les mineurs et leur laisser supposer qu'il n'y a plus aucune mesure de sécurité s.

La France doit gagner la bataille du charbon. La taille 2 est isolée ; il n'y a pas eu d'incendie ; l'exploitation continuera à la fosse 1 d'Oignies Malheureusement, les mineurs ne disposent pas encore de matériel nouveau. L'exploitation doit se faire dans les meilleures conditions possibles d'hygiène et de sécurité : aux délégués mineurs d'y veiller.

 

Lundi 1er avril. Dans le fond du stade des mines d'Ostricourt se dresse un autel devant lequel sont alignés huit cercueils couverts de fleurs ; huit mineurs polonais victimes de la mine. Des camarades, en tenue de travail, forment une garde d'honneur. Les familles éplorées arrivent vers 15 heures. 

Une foule d'environ 20 000 personnes est venue s'associer au deuil des familles. Parmi les personnalités, M. Lecoeur, représentant le Gouvernement français ; le représentant de l'ambassade de Pologne à Paris ; le consul de Pologne à Lille. Un détachement de l'armée polonaise.

Plusieurs allocutions marquent la cérémonie officielle

• Le représentant des Houillères rend hommage aux disparus qu'il compare à des soldats tombés au champ d'honneur sur le « front du charbon », une bataille à gagner.

• M. Delfosse, secrétaire du syndicat des mineurs, puis M. Ostrowski, représentant la main-d’œuvre étrangère de ce syndicat, apportent l'hommage respectif de leur groupement.

• M. Luka, président du Conseil national des Polonais en France ; le représentant de l'ambassadeur du gouvernement d'Union nationale polonais, Mme Wierblowska, chargée des Affaires sociales à l'ambassade de Pologne : une évocation de la vie du mineur polonais, son esprit de camaraderie, son attachement à ses coutumes, à sa patrie ; un hommage de la Pologne à ses enfants victimes de leur devoir en terre étrangère, la France, une terre d'accueil.

• M. Lecoeur présente, au nom du Gouvernement, les condoléances de tous les Français. La France entière est en deuil. C'est pour son indépendance que les onze mineurs sont morts. Il invite les travailleurs de la mine à poursuivre leur effort de production. L'ouvrier du fond paie un lourd tribut. Mais « le règne de l'irresponsabilité doit prendre fin. Les houillères sont sous le contrôle et l'autorité du ministre chargé des mines et toutes les volontés d'oppositions seront brisées ».

La messe est ensuite célébrée par M. l'abbé Lefebvre, curé du n° 6, assisté de M. l'abbé Bourdrel, en présence de Mgr Delannoy, représentant le cardinal Liénart, évêque de Lille, et de prêtres de la mission polonaise.

La chorale polonaise de Lannoy interprète les chants funèbres.

M. l'abbé Segielka, ancien déporté de Dachau, rend un hommage personnel à ceux qui ont terminé leur vie terrestre. Il apporte le salut ému de toutes les organisations polonaises.

Pendant que l'Harmonie des Mines d'Ostricourt joue une marche funèbre, le cortège se met en place. En tête, les porteurs de drapeaux de nombreuses sociétés, puis les porteurs de couronnes et de plaques, suivis d'un détachement de l'Armée polonaise précédant les chars funèbres. Viennent ensuite les familles, les personnalités, une foule immense, silencieuse.

Cinq cercueils sont conduits au cimetière d'Oignies, les trois autres à celui d'Ostricourt où les maires des deux localités adressent aux victimes l'adieu de la population.

L'une des victimes, membre d'une secte, avait été enterrée le matin. Les corps des mineurs habitant Lille et Haubourdin avaient été rendus à leurs familles.

Les deux prisonniers de guerre reposent au cimetière allemand d'Oignies, à côté de leurs frères d'armes tombés au cours de la guerre 1914-1918.

A la suite de la catastrophe, le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais organise le jeudi 4 avril une réunion des délégués mineurs du département, salle du Cantin à Lens.

Léon Delfosse replace d'abord la catastrophe dans son contexte : fosse classée dans la première catégorie des fosses grisouteuses, quartier exploité depuis 6 mois seulement, mise en route de la taille très difficile (longueur d'exploitation ramenée de 250 à 190 m), aération dépendant de 3 puits.

Le 25 février, le délégué mineur avait signalé la teneur élevée du grisou dans le quartier. Après constat par le contrôleur du service des mines, la direction avait décidé de porter l'aération de 5,750 m3 à 7 m3 /seconde. A cet effet, il fallait remplacer le moteur du ventilateur : un 60 CV par un 150 CV. Pour effectuer ce remplacement, le ventilateur a été arrêté pendant 17 minutes, et la catastrophe survint peu après. Accumulation de grisou pendant cet arrêt ? L'élément détonant : lampe défectueuse ? imprudence d'un nouveau mineur méconnaissant le règlement ?

M. Delfosse estime que le délégué mineur n'a commis aucune faute, déplore que le Service des Mines n'assure aucune formation des délégués et demande à leur intention des cours spéciaux, réclame une extension de leurs pouvoirs, approuve leur attitude en faveur de la production du charbon dont dépend la résurrection de la France. « Des camarades tombent le long de la route, mais nous gagnerons la bataille du charbon ».

Dimanche 7 avril, dans la fosse 1, une expérience est tentée : un ventilateur est arrêté. La teneur en gaz est montée de 0,3 % à 4 %. Déduction : avant d'arrêter le ventilateur, on aurait dû évacuer les ouvriers du chantier, ce que prévoit le règlement lorsque la teneur en grisou atteint 1 %, et 0,5 lorsqu'est prévue une opération de foudroyage.

« NORD-MATIN » des 15 et 16 avril s'interroge : « Pourquoi a-t-on agi de la sorte ? Est-ce parce qu'il fallait à tout prix assurer la « coupe » du lendemain et parce qu'il fallait à tout prix que le groupe d'Oignies soit classé en tête de la production ? ».

Dans ce même quotidien, on pouvait lire le 30 mars « Hier, le fanion de la victoire devait flotter sur le no 1 d'Oignies. Les voiles de deuil l'ont caché à nos yeux ... La renaissance de notre pays demande des ouvriers talentueux elle n'exige pas de martyrs ».

On a retrouvé une lampe de mineur aux tamis rougis. Le grisou aurait-il été enflammé par cette lampe ? Une Information judiciaire est ouverte pour déterminer les responsabilités.

Au cours d'un entretien avec le maire d'Ostricourt, le président national du M.R.P., M. Maurice SCHUMANN, venu rendre hommage aux victimes de la catastrophe et remettre un don destiné aux familles, déclara notamment

« La production doit servir l'homme, et non pas l'homme la production. Il importe aussi de subordonner la production charbonnière à la sécurité du mineur ».

Souvenons-nous de ces travailleurs de la mine morts à Oignies le 28 mars 1946 pour que renaisse la France

- Les mineurs français

DELESTRE Henri,28 ans , 13, rue de la Halte à Lille ,Né a Bourg en Charente

LECORNE Marcel Gérard,24 ans , 2, rue Pasteur à Haubourdin Né a Loos en Nord.

- Les mineurs polonais

GAWRONIAK Stanislas ,55 ans ,(marié, 1 enfant) Domicilié a Oignies Né a Blociszewo ,

KWIECIEN Michel,36 ans , (marié, 1 enfant), Domicilié à Oignies Né à Balice en Pologne

LEWANDOWSKI Antoine, 28 ans, (marié, 1 enfant), domicilié a Ostricourt Né a Oberhausen en Allemagne

MAJCHRZAK Stanislas, 35 ans , Domiciliés a Ostricourt Né a Herne en Allemagne

MATELSKI Jean,48 ans ,Domicilié a Dourges Né à Niezychowo en Pologne

PALUCK Joseph, 38 ans, (marié, 2 enfants) domicilié a Ostricourt Né a Wierzbie en Pologne,

PIETZYNSKI Wladyslaw ,20 ans, Domicilié a Carvin Libercourt Né à Wallers en Nord ,

PIOTROWSKI Stanislas, 40 ans, (marié, 3 enfants) ,Domicilié à Ostricourt Né a Mikulieze en Pologne

RATAJSKI Joseph, 41 ans , (marié, 4 enfants), Domicilié a Oignies Né à Chllewo en Pologne

 

Les prisonniers de guerre allemands

BAUER Bartholomé ,27 ans ,Né a Mattenoffen en Allemagne

PEXER Heinz ,23 ans, Né à Stendal Altmarck en Allemagne

 

La nationalisation

 

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