LOURCHES (12 août 1952)

 

A la fosse Schneider de Lourches, une fosse classée poussiéreuse et franchement grisouteuse, on exploite une veine de charbon à 840 m de profondeur. A cet effet, on découpe la veine en quartiers limités par deux voies : une voie de tête par laquelle arrive le matériel, une voie de base par laquelle sont évacués les produits. (terres et charbon). Entre ces deux voies, la taille où est abattu le charbon.

Fosse en 1946 photo Daniel Marir

 

Des mineurs sont occupés au creusement de la voie de tête.

Le quartier Adélaïde est dangereux. Dans son rapport du 20 février, le délégué mineur note une atmosphère très lourde

« Il faudrait veiller à l'aérage ». Le 19 mars, il signale des remblais en retard, d'où une dispersion de l'air, et beaucoup de poussières dans la taille, « il faudrait veiller à l'aérage ». Le 27 mars

« Poussières en abondance ». Le 29 mai, avec l'ingénieur du Service des Mines : constatation, à la couronne des cadres qui maintiennent le toit de la voie, de la « présence d'une légère nappe de grisou marquant à la lampe ». Le 18 juin, il relève dans « Adélaïde » quatre coups ratés à la suite d'un tir de mines ; il demande « une vérification sérieuse du genre d'explosif employé et des appareils de tir ». Le 5 juillet, il signale un déga­gement important de poussières.

Dans la nuit du 11 au 12 août, environ 160 mineurs sont au travail : l'équipe de nuit. Dans deux jours, la fosse sera fermée et tout le monde en congé payé. Aussi va-t-on de bon cœur à la tâche.

Lancelin, de Douchy, boutefeu remplaçant le titulaire en vacances, prépare un tir de mines avec son équipe. Puis, avant de « buquer », il procède à une visite réglementaire des alentours. Rien d'anormal. Il met en place le système de déclenchement des mines, recule jusqu'à une petite taille pour se mettre à l'abri ainsi que son aide Marino, et déclenche le tir.

Une violente explosion. Une boule de feu terrifiante fonce dans la petite taille transformant en torche Marino ; soulevant et plaquant au sol Lancelin ; enveloppant de flammes dans la taille le porion Mika, les mineurs Bahuet, Tison et Waxin ; brûlant dans la veine de recoupage Crine et Pina d'un côté, Brassart et Krasinski de l'autre. Une boule de feu qui, à la vitesse d'une fusée, s'engouffre dans la voie, balayant de son souffle brûlant et puissant hommes et matériels sur plusieurs centaines de mètres, ainsi que dans des galeries transversales.

La boule de feu passe devant le visage de Brassart qui se retrouve à terre, la face brûlée. Son camarade de travail, éga­lement renversé, brûlé, se relève, saisit Brassart qui voulait mourir sur place, tellement sa souffrance était grande. Titubant, ils marchent à travers un nuage de poussières. Des corps sont allongés par terre, trois formes blanches, sans. vie. Ils arrivent à l'accrochage, donnent l'alerte. Le dispositif de secours est enclenché.

L'explosion a été d'une telle violence que dans les galeries voisines des mineurs ont compris que quelque chose d'anormal venait de se passer. Une première équipe de secours est formée et gagne l'étage 840. L'air est irrespirable, l'atmosphère étouf­fante. A la lueur de leur lampe, des hommes, au péril de leur vie, vont à la recherche de leurs camarades. Ils avancent à travers les éboulis, obligés parfois de se frayer un passage à l'aide de pioches.

Et soudain, sur le sol, trois formes blanches. Aucune trace de brûlure. Horon, Libre et Wrzeszczynski(voir complément en bas de page ) chaulaient à l'aide de pulvérisateurs les parois de la galerie pour faire « coller » les poussières. Ils sont morts à plusieurs centaines de mètres de l'explosion, victimes des gaz que celle-ci a dégagés et qui étaient entraînés vers le puits de retour d'air. Leurs corps sont ramenés au jour. Trois familles déchirées, trois veuves, dix orphelins Louis Horon, 48 ans, avait 5 enfants ; Emile Libre, 44 ans, 1 enfant ; Nicodème Wrzeszczynski, 47 ans, 4 enfants.

Hier, la joie au foyer, les enfants en vacances, le père bientôt en congé, et peut-être la perspective d'un départ à la mer. Aujourd'hui, une ambulance arrive, un cercueil entre dans la maison, le père dans le cercueil à jamais perdu, une pièce transformée en chambre mortuaire, des scènes déchirantes. Un cauchemar.

Au début de la matinée, tous les blessés, les brûlés sont hospitalisés à la clinique Tessier de Saint-Vaast-le-Haut, du Groupe de Valenciennes : ils sont 17.

Certains sont grièvement brûlés. Le traitement plasma­ sérum est immédiatement appliqué. L'équipe médicale de secours de Paris est immédiatement alertée. A 10 heures, un docteur de l'hôpital Foch est là.

En fin de matinée, quatre blessés ont regagné leur domicile: François Brassart, Joseph Gielzinski, Bruno Mika, légè­rement brûlé au bras, Jean Waxin, atteint sur le corps par un nuage de poussières incandescentes.

Mais Giovanni Marino est mort. C'était son dernier poste de travail. Ce matin, il devait gagner l'Italie pour retrouver sa famille qu'il n'avait pas revue depuis trois ans. Dans sa cham­brette du camp Renard à Denain, un billet de chemin de fer, un projet anéanti.

L'après-midi, Lucien Lancelin, le boutefeu, succombe à la suite de ses brûlures. Le lendemain mercredi, peu avant 8 heures, Jean Szerment décède : sixième victime de la catas­trophe. Sera-t-elle la dernière ? Quelques-uns des mineurs encore en traitement sont dans un état très grave.

En ce 12 août, vers, une heure du matin, la MINE venait de faire payer une nouvelle fois un rude tribut à la corporation minière.

Sur le mur d'enceinte du carreau de la fosse, un papier « En raison des circonstances, les congés payés qui devaient partir du 15 août, sont avancés au 12 août » ... La vie continue. Implacable.

Pour creuser des galeries, on utilise des mines à retar­dement, à savoir qu'elles explosent par paquets à quelques fractions de seconde d'intervalle. La première explosion de mines aurait libéré une certaine quantité de grisou que la seconde explosion aurait enflammé, la flamme se communiquant à une couche de gaz située à l'arrière. Telle est l'hypothèse émise par le délégué mineur pour expliquer la catastrophe.

Dans un communiqué, la Direction des Houillères indique que l'explosif choisi dans la fosse est « du type à « sécurité augmentée » (G.D.C. 15), les. amorces étaient dites à retard. Le procédé de tir était conforme aux prescriptions réglementaires. Les circonstances exactes du sinistre sont mal connues pour le moment et font l'objet d'une enquête menée par le service  des mines ».

Visites de personnalités ... Témoignages de sympathie ... Manifestations de solidarité ...

Avec l'accord des familles, les funérailles sont fixées au samedi 16 août après-midi. Quatre discours sont prévus. Le délégué mineur parlera au nom de toutes les organisations syndicales.

Au sommet du chevalet de la fosse, un drapeau tricolore en berne. Les molettes ne tournent plus. La façade de la mairie de Lourches est recouverte de tentures noires. Le pays noir est de nouveau en deuil.

 

Six cercueils de chêne clair alignés. Les six victimes de la catastrophe dont le nombre vient d'être porté à huit : Ismaël Crine et Jean Ardhuin sont décédée des suites de leurs brûlures.

Devant les cercueils, les familles. Les épouses, les mères, voilées de noir,, sont assises. Les fleurs s'amoncellent. Dix mille personnes : officiels, hommes et femmes de tout bord, de tous âges, sont venues par leur présence témoigner leur sympathie aux familles. Mais surtout des mineurs, les compagnons de labeur ; un certain nombre sont vêtus de leurs bleus de travail, coiffés de la barrette de cuir, le pic sur l'épaule, la lampe allumée accrochée à la ceinture, et forment une longue haie d'honneur de la mairie à l'église.

A 15 heures, la sirène de la mairie pousse un long mugissement ; la foule tressaille. Les larmes perlent sur des visages. Dans le silence revenu, des sanglots montent. Le pays noir montre sa peine, partage la douleur des siens.

La partie officielle des funérailles commence.

• M. Saunier, secrétaire général de la Préfecture du Nord, en l'absence de M. Lanquetin, préfet, présente les condo­léances personnelles du Président de la République et apporte au nom du Gouvernement un suprême hommage à la mémoire des victimes.

Il rappelle comment il a ressenti la catastrophe, comment les secours ont été organisés : « Tout ce qui était humainement possible de faire a été tenté ». Il rend hommage au métier de mineur.

Le nombre de catastrophes se fait plus rare ; mais les progrès, les précautions., « ne suffisent pas pour écarter défi­nitivement les coups de grisou ou de poussières, entraînant derrière eux la douleur et la mort. Une sécurité toujours plus grande doit être recherchée par une collaboration étroite et de tous les instants de la grande famille de la mine dont l'activité conditionne essentiellement la prospérité de la Nation ». Et de se tourner vers les familles pour leur dire toute la sollicitude du pays, familles auxquelles au nom de la France entière il exprime sa doulou­reuse sympathie.

·                     M. Mouton, maire de Lourches

Devant le chagrin « des mamans, des papas, des épouses, des enfants », dont le bonheur a été réduit d'un seul coup à néant, comment trouver « les mots capables d'exprimer les regrets et la sympathie de toute une foule ». Il rappelle le nom des victimes, « (...) Souvenez-vous toujours de ces martyrs. Dans les moments de défaillance, aux instants où les difficultés de l'exis­tence vous assaillerons, ayez une pensée pour ces braves qui ont tout donné pour leurs semblables. Alors vous vous sentirez armés pour la lutte quotidienne, armés pour le combat permanent qu'est la Vie ».

Les mineurs représentent une « corporation de SACRI­FIES » ; on les considère « comme une quantité négligeable ». « N'oublions jamais que nos braves camarades de la mine sont à l'avant-garde du redressement économique de notre pays meurtri par la guerre ». « (...) la France est fière de vous et trouve dans le malheur même une raison d'espérer. Un pays qui compte des hommes tels que vous ne peut périr (...). Martyrs de la mine et du devoir, au nom de la population et de tout un peuple, ADIEU ».

• M. Faivre d'Arcier, chef de Siège à la fosse Schneider, au nom des Houillères Nationales. Celles-ci lui ont demandé de prendre la parole en leur nom en raison des liens qui l'unissent à la population de Lourches.

Faivre d'Arcier laisse parler son « cœur ». Il rappelle ce qu'a été la catastrophe, l'esprit de solidarité qui anime les tra­vailleurs de la mine qui, sans souci du danger, « unissaient leurs efforts pour arracher les. blessés aux lieux du sinistre », les efforts déployés par l'équipe médicale pour donner aux blessés les soins qu'exigeait leur état.

Les causes de l'explosion ? On ne les connaît pas encore. Mais en ce jour, une promesse solennelle doit être faite à nos morts : « Faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que leur sacrifice ne soit pas vain et qu'il nous aide au contraire à veiller de façon plus efficace sur la sécurité des vivants. Mais nous leur devons aussi la promesse que nous poursuivons avec confiance et ténacité la recherche de cette union dans le travail et dans la vie à laquelle eux-mêmes s'étaient si profondément attachés.

• Puisse ce deuil cruel resserrer les liens de la grande famille de Schneider et nous faire prendre plus clairement cons­cience de la solidarité de la mine faite de compréhension mutuelle, de communauté d'efforts sans lesquelles il ne peut être établi d’œuvre humaine durable et saine.

• Puisse aussi le souvenir de ces heures d'angoisse et d'héroïsme aviver en nous le désir de développer l'esprit de Schneider fait d'estime réciproque, de souci de justice, de dis­cipline librement consentie, de confiance les uns dans. les autres et de foi en l'avenir de notre fosse ».

Et Faivre d'Arcier de continuer à parler « avec son cœur ». Comité d'entraide, fonds de solidarité. Avec délicatesse, il fait revivre chaque disparu : Horon, Lancelin, Libre ...

« A vous mes anciens camarades, au nom de la fosse Schneider, j'apporte mon dernier adieu ».

·                     M. Lemoine, délégué mineur

Avant de prendre la parole au nom de la corporation minière, il lit un message : « Saint-Vaast - Nous les huit rescapés encore en traitement à la Clinique et ne pouvant assister, à notre vif regret, aux funérailles de nos camarades, prions, par la voix du Délégué Charles LEMOINE, de transmettre aux familles si vraiment éprouvées nos sincères condoléances ».

Des télégrammes de sympathie, il en vient de partout mais « pourquoi tant de catastrophes dans nos mines ? (...). Je ne compte pas les morts individuels, mais on peut dire qu'un mineur est tué tous les deux jours dans les Charbonnages de France. Aujourd'hui, c'est au tour de la fosse Schneider d'être éprouvée après la catastrophe de 1910 ... ». Et de rappeler le nom des victimes.

« Tous, Français, Polonais, Italiens, sont confondus dans une même mort atroce dont il faut rechercher les causes loin­taines et immédiates, situer les responsabilités et dénoncer les coupables ! ».

Les causes lointaines ? La politique de régression sociale qui s'est traduite par une compression de personnel, des bas salaires, des méthodes inhumaines d'exploitation. Si le statut du Mineur « était respecté dans son intégralité, toutes les causes de conflit disparaîtraient, mais notre Patron n'a qu'un seul souci, obtenir du charbon au plus bas prix. S'adressant aux « Messieurs des Pouvoirs Publics », il dit notamment : « Si vous avez la franchise de reconnaître votre faillite et de revenir à des sentiments de dignité et de respect de la personne humaine, alors ce sera la fin du règne de la bête et le retour de la paix dans nos mines. Sinon, prenez garde, les lois de la dialectique vous apprennent qu'il n'y a pas d'action sans réaction et cette réaction sera d'autant plus dure et impitoyable que votre action aura été cruelle et vindicative ! ».

Les causes immédiates ? Charles Lemoine rappelle ses rapports de visites au fond de la mine. « A-t-on prêté suffisamment attention à mes observations ? A mon avis, non ... » et de ré­clamer que soit réglé au plus vite le problème de l'extension des pouvoirs, des délégués mineurs.

Il met à l'honneur l'action des mineurs accourus au secours de leurs camarades peu après l'explosion, souligne l'élan de solidarité qui s'est traduit par une collecte fructueuse et « j'aurais voulu qu'avec moi vous assistiez à ce spectacle touchant d'un enfant de 6 ans ayant 10 F dans sa main pour acheter des bonbons, en laissant 5 pour le Fonds de Solidarité ! ».

Il adresse enfin aux blessés des « vœux fraternels de prompt rétablissement », et aux familles des victimes » nos bien sincères condoléances ».

« Quant à vous, chers Camarades et Amis, soyez persuadés que votre souvenir restera impérissable parmi nous, que votre mort, loin de nous décourager, renforcera notre conviction qu'il est possible, en réalisant une union fraternelle parmi nous, de nous débarrasser des entraves qui nous empêchent à l'heure présente de réaliser une société nouvelle dans laquelle nous trouverons le bonheur ! Adieu ! ».

Les discours terminés, des mineurs. emmènent à l'épaule les cercueils pour les conduire à l'église trop petite pour accueillir en la circonstance ceux et celles qui veulent participer à l'office solennel célébré à l'intention des victimes.

A l'issue de la cérémonie religieuse, des convois se forment vers les cimetières de Lourches, Escaudain, Dechy, Denain : dernière demeure de ceux que la Mine a arraché à la Vie.

Le 19 août, alors que l'on célèbre les funérailles de Jean Ardhuin et d'Ismaël Crine, on apprend un nouveau décès à l'hôpital Tessier, celui de Stephan Jakim qui n'avait pas survécu à ses brûlures, neuvième et dernière victime de la catastrophe survenue à la fosse Schneider de Lourches.

 

LOURCHES - 12 Août 1952

ARDHUIN Jean,                         de Lourches

CRINE Ismaël,                            de Lourches

HORON Louis,                            de Lourches

JAKIM Stéphan,                          d'Escaudain

LANCELIN Lucien,                    de Douchy-les-Mines

LIBRE Emile,                              de Lourches

MARINO Giovanni,                    de Denain

SZERMENT Jean,                       d'Escaudain

WRZESZCZYNSKI Nicodème,  d'Escaudain

 

 

Complément

Bonsoir
J'ai vu votre document sur la mine de Lourches et je tiens a vous dire que Monsieur Wrzeszczynski n'est pas mort a plusieurs centaines de mètres de l'explosion mais il est mort dans les bras de mon grand père qui s'appelait Morval Auguste c'était son meilleur ami.
Voila c'est un rectificatif que je voulais faire en mémoire de mon grand père.
Cordialement
Schougrine@wanadoo.fr

 

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Cette photo est un souvenir douloureux car elle a été prise lors des obsèques de Jean SZERMENT  mineur décédé en 1952.

La photo nous est transmise par Jean Wojtczak (le troisième au premier rang) par le biais de sa fille qui fournit les explications. « Cette année là un coup de grisou avait eu lieu à la fosse Schneider (Lourches) tuant malheureusement neuf mineurs. À cette époque, mon père était apprenti mineur et Jean Zerreman était son tuteur et formateur. Pendant trois jours, à la mairie d’Escaudain, une haie d’honneur a été faite par des mineurs (dont mon père) pour cet homme ». « Une semaine avant ce coup de grisou, mon père avait changé de poste, ajoute sa fille Sylviane, et ma maman, Élise, lui avait donné sa chaîne pour lui porter chance. Il est donc parti travailler du poste contraire et a perdu la chaîne en or… Aujourd’hui, il adore nous parler de sa mine mais, hélas, souffre de silicose.»

La voix du Nord 14/11/2011

 

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