LIEVIN  (16 mars 1957)

La presse titre

 

•Terrible coup de grisou à la fosse 3 de Liévin dix morts et quatre blessés dont deux hospitalisés. (Nord-Matin)

 

• Catastrophe au pays noir. Coup de grisou au puits 3  à Liévin. DIX MINEURS TROUVENT UNE MORT ATROCE à 680 mètres de profondeur ; deux des quatre blessés sont dans un état grave. (Le Parisien Libéré)

 

•Dès janvier, les mineurs, vainement, avaient signalé les dangers accrus qu'ils couraient dans cette galerie. (Libération)

 

•Sans les arrêts-barrages Taffanel, la catastrophe aurait été infiniment plus meurtrière. (Franc-Tireur)

 

• Un témoin du 3 de Liévin : « Si, par malheur, un incendie s'était déclaré, c'était un deuxième Marcinelle ». (L'Humanité)

 

• 24 heures de grève, dans le bassin minier, après la catastrophe de Liévin. (Libération)

 

• Deuil à Liévin où toute la population conduit aujourd'hui à leur dernière demeure les dix victimes du coup de grisou. (Le Parisien Libéré)

En appendice de l'article : «.Marcinelle : le corps d'un mineur français est ramené à la surface - Charleroi : 18 mars - Trois nouveaux cadavres retirés de la galerie du bois du Gazier, où s'était produit le 8 août dernier un coup de grisou qui avait fait 262 morts, ont été identifiés. L'un d'eux est celui du mineur français M. Marceau Gaillard.

• Emouvantes funérailles . . . Imposantes funérailles .. . Obsèques solennelles ... Ultime hommage . . . Les mineurs ont rendu un dernier hommage à leurs camarades ... Avion a fait d'imposantes funérailles à 3 victimes de la catastrophe de Liévin.

(Titres de divers journaux)

 

Dès qu'il a été informé de la catastrophe, M. Guy Mollet, Président du Conseil, a adressé un télégramme de condoléances aux familles.

Le machinisme fait ses premiers grands pas dans la mine ; l'ère de la mécanisation des Houillères commence.

 

Avec des collègues de travail, je suis descendu une nuit à la fosse 23 de Noyelles-sous-Lens pour voir fonctionner la première haveuse installée dans une fosse du groupe d'Hénin­-Liétard : c'est un engin monstrueux qui « scie » la veine de charbon à sa base et sur une certaine profondeur de telle sorte que le charbon tombe de lui-même. Plus d'abattage au marteau-­piqueur.

 

Trois ou quatre personnes sont affectées à ce travail. Le charbon est rapidement abattu. Les hommes ont le temps de nettoyer tranquillement la taille et de préparer le travail pour ceux qui descendront au poste du matin. Et de se reposer un peu avant la remonte.

 

La machine est au service de l'homme. Pour combien de temps ? ...

Au siège 3 de Liévin, depuis janvier 1957, un rabot a été mis en place dans une taille, dite taille à rabot, de 150 mètres de long, veine Coecilia. Le rabot - à la manière d'un rabot de menuisier - va et vient dans la taille, rabotant la veine de charbon sur une certaine épaisseur.

 

Le 16 mars, les hommes du poste du matin sont remontés à l'exception de quelques-uns restés au fond pour achever le cycle de production de la taille-rabot. La descente des hommes du poste de l'après-midi est commencée.

 

Il est environ 14 h 15. Le personnel chargé du tir entre les postes se trouve en place. Dans la voie de fond de Coecilia, le boutefeu tire. C'est l'explosion tuant ou blessant 13 hommes se trouvant à la base ou à la tête de la taille-rabot, au détroussage de la taille et aux abords du point de chargement du charbon dans les berlines. Dans la bowette, un conducteur de loco et son aide amenant un train de berlines vides sont renversés par le souffle de l'explosion. Remis de leur émotion, ils donnent l'alerte.

 

Sept hommes sur les dix sont morts parce qu'ils se sont trouvés contraints à faire du rabiot pour atteindre une production correspondant à un avancement de la taille de 2,50 mètres par poste. Le cycle de production serait calculé en vue d'obtenir un rendement maximum et sans tenir compte d'incidents susceptibles de survenir pendant la coupe. Le cycle étant bouclé, les ouvriers touchent 2 000 F pour leur poste.

Sur un carnet personnel, l'un des ouvriers avait noté 88 heures de rabiot effectuées entre le 1er janvier et le 15 mars 1957.

Ceux qui sont morts

 

• Henri HOCQ, 16 ans et demi, 77, rue Thiers à Liévin. Apprenti occupé au point de chargement de Coecilia.

 

• André LEMAIRE, 18 ans et demi, 42, rue Ampère à Liévin. Chargeur occupé à un point de chargement de bowette.

• Gilbert PAGNIEZ, 25 ans. Marié, un enfant, 21, rue du 1er Mai à Liévin. Ouvrier travaillant à front de voie.

 

• Robert DEREGNAUCOURT, 26 ans, 15, rue Euler à Liévin. Ouvrier électromécanicien.

 

• Claude MENUGE, 26 ans. Marié, un enfant, 24, rue des Crêtes Pinchonvalles à Avion. Préposé à la tête motrice du rabot.

 

• Maurice POLFIET, 29 ans. Marié, un enfant, 29, rue Théodore de Banville à Liévin. Porion attaché à la taille-rabot.

 

• Henri SODERSTROM, 31 ans. Marié, un enfant, 56, rue Lyautey à Avion. Surveillant.

 

• Henri FILIPPINI, 34 ans et demi. Marié, trois enfants, 67, rue Dupuy de Lôme à Liévin. Boutefeu.

 

• Louis CORNEZ, 35 ans et demi. Marié, deux enfants, 8, rue de La Na,poule à Avion. Préposé à la tête motrice du rabot.

 

• François OWCZARCZAK, 37 ans. Marié, deux enfants, 5, rue Védrines à Eleu-dit-Leauwette. Chef de taille.

 

Moyenne d'âge : 28 ans.

Ceux qui sont blessés

 

• Léon DEFIEUX, 16 ans, 13, rue Joffre à Avion. Préposé à la surveillance de la tête motrice du convoyeur à bande.

 

• Henri NINY, 16 ans, 8, rue Théophile Gautier à Liévin. Hospitalisé à l'hôpital Sainte-Barbe de Bully-les-Mines. Préposé à la tête motrice du convoyeur blindé.

 

• Georges PAGNIEZ, 27 ans et demi, 21, rue du 1er Mai à Liévin. Hospitalisé également à Sainte-Barbe. Occupé le 16 mars au détroussage de la taille-rabot en remplacement d'un ouvrier manquant.

 

• Eugène POUMAER, 36 ans. Marié, deux enfants. 100,rue P.-Baudel à Avion. Préposé à la formation de convois de berlines vides et pleines.

Le coup de grisou est resté localisé, grâce aux dispositifs de sécurité qui ont fonctionné normalement.

Mardi 29 mars, les funérailles. Essayons de vivre la cérémonie.

 

8 heures. Les corps des victimes et les familles sont dans le hall d'honneur de l'Hôtel de Ville de Liévin. Anonymes dans la foule, nous prenons place pour défiler devant des victimes du travail et leurs familles éplorées. Ils sont si jeunes ! ...

 

Vers 10 heures, les personnalités arrivent, accueillent Monsieur le Préfet du Pas-de-Calais qui dépose des gerbes dans le vestibule central du hall d'honneur ; ensemble, elles vont saluer les corps et les familles, puis se regroupent sur le perron extérieur ...

 

Neuf cercueils, portés par des mineurs en tenue de travail, sont amenés devant le jardin de l'Hôtel de Ville, le dixième restant dans le vestibule. Des galibots forment une haie d'honneur ...

 

La chorale du Grand Séminaire d'Arras entonne le De Profundis ... Monsieur le Vicaire Général Lacroix prononce une allocution ... Notre Père ... Je vous salue Marie ... Absoute ... La chorale clôt la cérémonie religieuse par un chant d'adieu ...

 

Le dixième cercueil est amené auprès des autres ... C'est maintenant la cérémonie officielle. Des discours. - M. Henri DARRAS, maire de Liévin, conseiller général.

Il y a 12 ans, sept mineurs « tombaient ensemble au Champ d'Honneur du travail » avait-on proclamé dans les allo­cutions. « Aujourd'hui, nous disons de nos malheureux camarades qu'ils sont des héros du travail ou des victimes de la sur­exploitation ».

 

Henri DARRAS est fils de mineur, un mineur qui a été grièvement blessé au fond de la mine. Il s'exprime « en toute conscience » et « en dehors de tout esprit polémique ».

 

Agents de maîtrise, ouvriers, galibots ont été foudroyés ensemble par l'explosion. « Que dans les rapports entre personnel de maîtrise et ouvriers personne n'oublie jamais que tout homme a sa dignité d'homme et que lorsque la vie de tous est dans les mains de chacun, chacun a droit au respect de tous ! La vie humaine n'a pas de prix (...). L'augmentation de la production ne doit, ne peut être obtenue aux dépens de la sécurité du mineur ».

 

L'industrie aura encore besoin pendant longtemps du charbon. « Qu'adviendra-t-il d'ici quelques années de la profes­sion ? Parler de la noblesse du métier, du courage de l'ouvrier mineur ne suffira pas pour susciter des vocations. La paye du mineur doit être à la mesure du risque encouru ».

 

M. Henri JOLY, délégué mineur.

 

• La fosse 3 de Liévin est reconnue franchement grisou­teuse, la sécurité n'y est pas respectée. Concernant la taille-rabot, il rappelle des faits signalés dans ses rapports, et notamment la plainte des ouvriers du minage à front de vole au cours du poste d'abattage du charbon.

 

• Les Houillères et le Service des Mines ne tiennent pas compte de la circulaire relative aux conditions d'emplois des explosifs en mines grisouteuses ou poussiéreuses.

 

• Au point de déversement du charbon situé au pied de taille, se dégage une poussière abondante qui remonte dans la taille, incommodant les ouvriers et rendant les conditions de travail dangereuses.

• La durée légale du travail a été violée.

• La catastrophe est survenue dans la période de cam­pagne de sécurité lancée par les Houillères à la fosse 3 ; le tirage des mines devait se faire à l'inter poste avec seulement deux ouvriers.

• Appel à l'union pour obtenir des Pouvoirs publics la constitution d'une Commission d'enquête dans laquelle seraient représentées les trois organisations syndicales.

- M. Joseph SAUTY, secrétaire général de la Fédération Nationale des Mineurs C.F.T.C.

 

Des liens solides unissent la C.F.T.C. aux victimes et à leurs familles ; elle se doit « de vous exprimer ses sentiments de chrétienne condoléance , d'ardente sympathie et de vigilante sollicitude ».

 

Il n'est pas dans les habitudes de la C.F.T.C. « d'exprimer devant les familles et devant une foule meurtrie des revendications aussi justifiées soient-elles. Néanmoins, au moment où des dis­cussions se prolongent inconsidérément jusqu'à provoquer une légitime impatience alors qu'elles ont pour objet d'obtenir pour la corporation minière une amélioration des conditions de rému­nération, nous nous croyons autorisés à appeler ceux qui ont pouvoir de décision, à comprendre la modicité de nos demandes, l'impérieuse obligation de les satisfaire ; elles sont dues à la corporation que la nation peut toujours s'enorgueillir de posséder et qui n'est jamais restée sourde à ces appels ».

 

Joseph SAUTY lance un appel à tous ceux qui ont cons­cience de leurs responsabilités (représentants du Gouvernement, dirigeants des Houillères, techniciens, parlementaires) à unir leurs efforts à ceux des travailleurs « pour aider notre vaillante, corpo­ration minière à reconquérir la place à laquelle elle a droit ».

- M. André AUGARD, secrétaire du Syndicat National des Mineurs Force Ouvrière.

 

« Une fois de plus, la grande famille minière est en deuil (...). Triste métier tout de même que celui de mineur, où il faut travailler dur pour gagner la maigre pitance quotidienne de la famille avec, au-dessus de la tête, autour de soi, la mort qui rôde en permanence ».

Et de rappeler les catastrophes de Courrières (1906), Oignies, Billy-Montigny, La Clarence, Schneider, les terribles catastrophes d'Angleterre, de Pologne, des U.S.A., d'Allemagne, de Marcinelle. « C'est aujourd'hui Liévin que la mort a choisi pour venir frapper dix d'entre nous ».

 

« La mine tue beaucoup ces temps-ci, la mine tue trop ». Dans l'ensemble des Houillères, 30 morts depuis un mois.

 

Une enquête va suivre. « Nous nous garderons bien, pour l'instant, d'émettre un avis en la matière. Mais qu'il nous soit permis de souhaiter, d'exiger même, trois choses

- des conditions de vie pour les travailleurs de la mine qui tiennent compte de la pénibilité et des dangers de la profession l

- le maximum de recherches pour assurer la sécurité du travail (...) ;

- enfin, que ces veuves et ces enfants, à qui l'être cher vient d'être enlevé, ne soient pas gênés du côté matériel ».

 

 

- M. Léon DELFOSSE, Secrétaire général de la Fédé­ration Régionale des Mineurs C.G.T.

 

« 10 morts, 10 camarades fauchés en pleine jeunesse ... 10 morts, 8 veuves, 14 orphelins ... 10 morts, pour qui et pourquoi ? ». Henri Joly a répondu à ces questions. « La mine tue par la faute des dirigeants des Houillères ... Il faut une enquête avec les trois syndicats ». « Il faudra que justice soit faite (...) beaucoup plus rapidement qu'à La Clarence en 1953 où le jugement n'est pas encore rendu ».

 

« La mine est inhumaine parce que la politique d'exploi­tation des mines et des mineurs est elle-même inhumaine, parce que la machine ne sert pas l'homme, mais au contraire le broye ». La mécanisation ne sert que les profits capitalistes. Ce nouveau deuil fait un devoir de dénoncer l'exploitation forcenée des mineurs. Il faut s'unir pour que la mine ne soit plus un bagne. Divers courants se créent dans l'opinion publique : dans la région lensoise, « 10 prêtres portent les mêmes accusations » ; à Lens, « nos camarades socialistes ont posé aussi la question ».

Devant les cercueils et les familles, un serment : « Nous vengerons vos êtres chers, nous vengerons nos camarades, nous ne permettrons pas plus longtemps que la mine soit le bagne ».

M. Alexandre VERRET, Président du Conseil d'Ad­ministration des H.B.N.P.C. et Président des Charbonnages de France.

M. Georges PHALEMPIN, Préfet, représentant le Gouvernement.

La série de discours terminée, les personnalités descendent et se regroupent en bas de l'escalier devant le perron de l'Hôtel de Ville. L'Harmonie des Mines de Liévin, après le « Garde à vous », joue « La Sonnerie aux Morts » ...

 

Le Préfet, suivi des personnalités, salue une dernière fois les corps et les familles.

 

Je me revois au sanatorium d'Helfaut où j'ai séjourné de juillet à novembre 1957... Des mineurs y étaient soignés. J'entends encore ce père me dire : « Mes enfants ne voulaient plus être mineurs : ils rentraient de leur travail si fatigués qu'ils allaient se coucher au lieu de se promener. Survint la catastrophe de Liévin ... Ils me supplièrent de les laisser partir dans un centre d'apprentissage du bâtiment. Cela m'a coûté ! Mais aujourd'hui je ne le regrette pas : ils sont heureux ».

 

                              LIEVIN : 16 mars 1957

 

CORNE Louis                                                 MENUGE Claude

 

DEREGNAUCOURT Robert                           OWCZARCZAK François

FILIPPINI Henri                                             PAGNIEZ Gilbert

HOCQ Henri                                                   POLFIET Maurice

LEMAIRE André                                             SODERSTROM Henri

 

 

article Equettes mars 1957, collection privée Denis Caron Cercle Historique de Grenay  http://chgrenay.canalblog.com/

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Photo Christian Vallez http://lechtimi62800.skyrock.com/

 

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