LEFOREST (24 mars 1969)

Jadis, dans le secteur de Leforest, il y avait une dizaine de puits. Avec la « concentration », il n'en reste maintenant que deux : le 9 et le 10 de l'Escarpelle. Les mineurs qui y descendent ont plusieurs centaines de mètres à parcourir pour arriver sur les lieux de leur travail, soit en empruntant des galeries perpen­diculaires au puits lorsque la cage arrête les hommes à l'étage qui convient, soit en empruntant des galeries pentées, des échelles, des cages dans des bures si le chantier se trouve à un étage différent. Il en est de même pour les spécialistes appelés à se rendre d'un étage à l'autre au cours de leur poste.

 

Ainsi, quatre électromécaniciens et un aide-mineur, après avoir procédé à des vérifications de machines dans une galerie à l'étage -270, sont appelés à effectuer le même travail dans une autre galerie à l'étage -370. Pour y accéder, deux moyens possibles : rejoindre le puits central et emprunter la cage, ou bien descendre 100 mètres d'échelles. II y aurait bien encore la cage d'un bure qui relie les deux étages. Mais cette cage sert normalement au transport de matériel et à l'évacuation du charbon ; pas au transport du personnel : elle n'est pas, en effet, équipée des dispositifs de sécurité habituels.

 

C'est cette cage cependant que les cinq hommes em­pruntent. La cage descend, un choc. Une chute vertigineuse qu'un frein de secours actionné ne peut maîtriser. Au pied du bure, quatre morts, un blessé grave transporté à l'hôpital Darcy d'Hénin-Liétard ; il décédera à 23 heures.

 

La cause de l'accident collectif ? Une avarie mécanique au treuil du bure 4.

Une nouvelle fois, la corporation minière est endeuillée. Jeudi à 14 h 30, des milliers de personnes sont rassemblées devant la mairie de Leforest où sont alignés les cercueils des victimes : le dernier hommage aux morts, le témoignage de sympathie aux familles : 5 veuves, 16 orphelins.

 

Photo relais

 

Le ciel est bleu, le soleil brille. Il fait cependant un froid vif : le froid de la mort.

 

M. Ryckebusch, délégué mineur de la fosse 10, au nom de tous les syndicats, retrace la carrière de chaque disparu ; c'est l'adieu de la corporation et l'assurance donnée aux victimes que les mineurs seront toujours aux côtés des veuves et des enfants : le devoir sacré de l'entraide.

 

Deux victimes sont de Leforest ; les autres sont d'Auby, d'Ostricourt, de Raimbeaucourt. M. Marquette, maire de Leforest, dit combien sa commune ressent douloureusement la catastrophe. Leforest pleure non pas des administrés, mais des enfants dont le souvenir demeurera impérissable.

 

M. Eriau, nouveau préfet du Pas-de-Calais, n'a jusqu'ici participé qu'à des manifestations officielles. Il est déjà venu à Leforest saluer le maire et les notables dans des circonstances heureuses. Aujourd'hui, il est là, le cœur plein de tristesse, présentant ses condoléances personnelles, celles des Houillères et du Gouvernement.

 

L'Harmonie municipale exécute des airs funèbres. Un cortège se forme. En tête, l'Harmonie des Mines de l'Escarpelle, suivie des enfants des écoles, de délégations de sociétés, de drapeaux. Arrivent ensuite cinq fourgons funèbres suivis des familles, des personnalités. Et une foule de personnes venues partager la peine des familles.

Le cortège ainsi formé, après avoir parcouru plusieurs rues, revient sur la place. Un à un, chaque cercueil est porté dans l'église par des camarades en tenue de mineur, et placé devant l'autel. Mgr Huyghe préside la cérémonie religieuse ; dehors, les milliers de personnes qui n'ont pu entrer dans l'église suivent la cérémonie par la voix des haut-parleurs.

Puis vient le dernier acte de cette nouvelle tragédie minière, une tragédie qu'on espère toujours la dernière : au terme de la cérémonie religieuse, les convois funèbres se re­forment pour ce dernier voyage qui conduira chacun de nous sur le chantier du repos, le cimetière.

Ils sont morts pour avoir emprunté une cage interdite pour les mouvements de personnel ? Et si ...

Entre l'étage 270 et l'étage 370 : 100 mètres. 100 mètres d'échelles à monter, et à descendre nécessairement. L'une des victimes avait été reconnue silicosée 15 % ; une autre était handicapée à 23 '0/o à la suite de blessures ... Et combien d'autres silicosés ou anciens blessés contraints chaque jour à « faire » leurs 200 mètres de barreaux d'échelles dans une obscurité seulement trouée par la lampe-chapeau que porte chaque mineur ? .. .

Quelques mois avant l'accident, pour se rendre à leurs chantiers, les mineurs pouvaient emprunter indifféremment la cage du puits central ou celle du bure alors aménagée pour le transport du personnel. Pourquoi a-t-il été décidé par la suite que la cage centrale n'arrêterait plus à divers niveaux, mais amènerait tous les mineurs au fond du puits, à l'accrochage 370 ? Se représente-t-on l'effort demandé pour grimper et descendre 100 mètres d'échelles ? ...

A la liste bien longue de la martyrologie minière viennent s'ajouter les noms des cinq victimes de LEFOREST. Des victimes de l'exploitation du charbon au plus bas prix ?

 

LEFOREST - 24 mars 1969

COURTECUISSE Marc,  26 ans, 1 enfant,  électro-mécanicien. 16, Cité de la Boussinière à Raimbeaucourt.

DEMARLIERE René,      41 ans  6 enfants, électro-mécanicien. 2, rue de Chenonceaux à Auby

MURREDU Albert,         48 ans  3 enfants, aide-mineur.            87, rue de Clermont-Ferrand à Leforest.

OKOLSKI Marian,          30 ans, 4 enfants, électro-mécanicien.  2, rue Saint-Nectaire à Leforest.

WLAZLO Stanislas,         44 ans, 2 enfants, électro-mécanicien.  27, Cité de la Gendarmerie à Ostricourt.

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Témoignage d'un internaute   pseudo ninixeddu

Je veux apporter le témoignage de quelqu'un qui a vécu le drame de cet accident de mine.
A l'époque , j'étais en 4ème au CEG de Leforest. Mon père faisait partie de l'équipe qui a subi l'accident, mais lui n'a pas voulu prendre la bure et est descendu par les échelles. Par miracle, il a donc échappé à la mort.
Voisins et amis de la famille Mureddu, les parents se connaissaient et les enfants fréquentaient les mêmes classes. En allant au collège après le déjeuner, c'est naturellement que nous croisions les mineurs qui entraient pour le poste de l'après-midi, et ce jour-là un lundi j'ai salué A. Mureddu qui allait au travail. Juste après l'accident, mon père est vite rentré avant que ne soit annoncé le drame par le garde des mines qui allait de cité en cité quand se produisait un accident. Certains de nos voisins étaient persuadés que mon père faisait partie de la liste, et c'est avec soulagement qu'ils ont pu constater le contraire.
Le Jeudi a eu lieu l'enterrement, et la cour du CEG a servi de point de départ de la cérémonie, à laquelle a participé le préfet. Les cercueils y étaient alignés tous les 5. C'était funeste de voir les noms encore inscrits à la craie par terre le lendemain à la reprise des cours.
Depuis tout jeune, j'ai connu des mineurs qui ont perdu la vie à la fosse. Et tous les soirs à 23h00, nous tenions mon frère et moi, compagnie à notre mère jusqu'au retour de notre père, nous guettions dans le noir la lumière du phare du vélo (puis de la mobylette), et nous ne nous couchions rassurés qu'une fois rentré le père. Les professeurs devant mes bâillements du lendemain m'engueulaient et me déconseillaient de regarder la télé si tard! Dans nos esprits jeunes mais conscients des dangers, nous avions comme certainement beaucoup d'enfants de mineurs l'angoisse de l'accident fatal. Quand les mines ont fermé les unes après les autres, je dois avouer un soulagement certain. En 1972, mon père avec d'autres mineurs à profité des mesures de reconversion pour partir avec toute la famille à La Ciotat, d'autres sont allés à Renault ou à l'imprimerie Nationale à Douai.

Ch'ti un jour, ch'ti toujours même si mon accent d'aujourd'hui sent le thym et l'huile d'olive.

 

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