La Clarence 3 septembre 1912

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Il était 14h15 ce mardi 3 septembre 1912.
La plupart des 368 ouvriers du poste du matin étaient remontés.
Ceux de l'après midi commençaient à descendre, ils étaient alors 102 ouvriers au fond.
Dans la cage montante, 8 hommes se préparaient à rentrer chez eux.
Soudain, à 650 m de la surface, un souffle puissant les fouetta et éteignit leurs lampes.
Brusquement ils se trouvèrent environnés de fumée.
Une odeur âcre les accompagna quelques instants et ils réapparurent au jour, recouverts de poussière.
Le machiniste confirma leurs inquiétudes
"j ai entendu un bruit sourd, étouffé
Et juste après une bouffée d air grisatre s'est échappée, le câble de la cage quant à lui n'a eu aucune secousse, c'est bizarre".
A 40m de là, l'explosion avait été autrement ressentie.
Sous l'effet du souffle, les clapets du puits de retour d'air avaient été arrachés.
Un pan de mur du bâtiment s'écroula.
Des fenêtres sautèrent.
Dans son bureau, le chef de carreau vit son armoire se renverser et des briques tomber à ses pieds.
L'ingénieur Dupont qui était à la forge de la fosse pressentit le drame.
Une fois les masques enfilés, il entama la descente accompagné de ses surveillants.
A l'arrivée, à l'accrochage 1000 m sous terre, toute trace de fumée avait disparu.
Le porion et l'homme d'about , arrivés par la cage descendante juste aprés l'explosion vont au secours des blessés
"c'est un coup de grisou , confirma l'un d'eux, j ai vu un nuage de poussière et une grande flamme venant des fronts des tailles , c'est horrible, horrible !".Pendant que l'on relevait une dizaine de blessés aux environs de l'accrochage, l'ingénieur et le chef surveillant s'engageaient dans la direction du couchant.
Un spectacle terrifiant s'offrit à leurs yeux.
Des corps gisaient inanimés, les vêtements et les chairs horriblement brulés.
Dès l'entrée de la bowette, ils virent 3 cadavres.
A quelques mètres , un cheval était étendu, la queue et les poils grillés.
Ils pénétrèrent dans l'écurie, tous les chevaux étaient tués dans leurs stalles.
Le garde d'écurie et les 2 maçons qui travaillaient à l'agrandissement des lieux étaient encore en vie.
Mais ils étaient si gravement brûlés qu'ils ne tardèrent pas à mourrir.
En se rapprochant du treuil Acherez, les dégâts devenaient plus importants.
Un cheval tirant une rame de berlines était tué, ses entrailles projetés à 15 m.
Plus loin un énorme éboulement avait enseveli un convoi de berlines pleines, le conducteur et le cheval.
Puis le corps déchiqueté d'un boutefeu.
A 10 m de la bifurcation, un corps sans jambes, ni bras droit, une partie du crane broyé, le ventre arraché.
C'était, on le sut par la suite un autre boutefeu.
Là bas une main d'enfant pendait près d un corps désarticulé, méconnaissable, peut être était ce le galibot, porteur de lampes ?
Ensuite 4 hommes déshabillés par le souffle, les cheveux et les moustaches complétement brûlés.
A proximité, 3 autres étaient morts intoxiqués, le 4ème, assis, semblait dormir.
Au pied du treuil Acherez, ils découvrirent 2 blessés.
Aprés les avoir réconfortés, ils continuèrent de prospecter la bowette.
Un éboulement entrava leur marche.

A la hâte, ils ouvrirent un petit passage sauvant ainsi plusieurs ouvriers qui étaient venus effectuer des travaux.
Péniblement, ils avancérent jusqu'au treuil Carboulet.
3 mineurs s'y trouvaient, apparemment morts.
Les sauveteurs les secouèrent, 2 des victimes ouvrirent les yeux, étonnés.
Mais toutes les tentatives faites pour ranimer le 3ème corps furent infructueuses.
Avant de poursuivre leurs recherches, l'ingénieur et son adjoint leur laissèrent une lampe en attendant qu'on vint les ramener à l'accrochage.
Un fort dégagement de fumée arrêta leur progression et les obligea à rebrousser chemin.
Pendant ce temps la nouvelle de la catastrophe s'était rapidement répandue dans les cités.
Abandonnant tout, les familles des ouvriers présents au puits de La Clarence se précipitèrent vers la fosse.
Agglutinés devant les portes, le visage inquiet, torturé des hommes, des femmes, des enfants s'interrogeaient.
Des employés s'efforçaient d'apaiser les tourments de cette foule angoissée, toujours plus nombreuse que contenait maintenant un cordon de 20 gendarmes.
A 16h 21 blessés avaient été remontés et conduits à la lampisterie où des docteurs des compagnies de La Clarence et des environs leur donnaient des soins avant de les faire hospitaliser à Bruay et à Auchel.
L'un des brulés ne tarda pas à succomber, la plupart étaient gravement atteints.
Certains avaient la chair qui partait en lambeaux, d'autres étaient scalpés, tous souffraient attrocement.
Les secours cependant s'organisaient, des sauveteurs arrivaient de Bruay de Marles et de Liévin.
A 16h l'ingénieur en chef des mines mr Léon prenait en main la direction des recherches.
Grace aux renseignements recueillis, il avait pu établir un plan assez précis.
Il savait par exemple qu'un blessé agonisait dans une taille en partie ravagée par les flammes.
Il avait été repéré par un ouvrier le père Harduin.
Dés qu'il avait appris la catastrophe le père harduin s'était précipité à la fosse où son fils Georges, agé de 17 ans travaillait.
Il descendit aussitôt et partit seul à sa recherche.
Dans le dédale des galeries jonchées de cadavres qu'il examinait au passage, il criait le nom de son garçon.
Nul ne lui répondait.
Une plainte s'élevait parfois d'un corps profondément meurtri.
Dans la veine 8 il vit plusieurs corps étendus, entrourés de flammes.
Il reconnut 3 de ses collègues.

L'incendie avait été provoqué sans doute par l'explosion.
Au front d'avancement, l'équipe disposait d'une burette d'1 litre contenant un mélange d'huile et de pétrole pour le graissage d'un marteau piqueur.
La bouteille, probablement non bouchée, se renversa.
Au contact de la flamme du grisou, le liquide communiqua le feu à une partie de la taille.
Le père harduin continua d'explorer seul les galeries où son fils avait l'habitude de rouler les berlines.
Sans se soucier du danger qu'il encourait, il franchissait les éboulements et toutes sortes d'obstacles.
Sur chaque cadavre il se penchait avec l'espoir de ne pas reconnaitre son fils.
A la tête d'une descenderie, un corps était recroquevillé , le père harduin sentit son sang se glacer, il venait de voir en lui son fils.
Longuement à genoux, il pleura.
Puis avec précaution, il le prit dans ses bras et le ramena tout en sanglotant.
L'ingénieur en chef et ses adjoints , des délégués mineurs et des chefs porion quittèrent l'accrochage.
Partout c'était un spectacle de désolation; des cadavres, des chevaux éventrés, des berlines renversées, des rails tordus, des bois brisés.
A mesure que les sauveteurs avançaient, des mineurs déblayaient les voies, remplaçaient les bois de soutènement, pendant que d'autres transportaient les corps jusqu'à l'accrochage.
Aux abords de la fosse, où des scènes déchirantes se déroulaient, le bruit courait qu'il y avait des rescapés.
Une demie heure après l'explosion, l'ingénieur et le chef surveillant avaient trouvé 3 hommes, ils parvinrent à les réanimer.
Un jeune conducteur fut miraculeusement épargné.
Son cheval fut tué, lui même était dans une berline vide.
Le souffle et la flamme passèrent par dessus sans l'atteindre.
Vers 23h une autre équipe remonta 2 ouvriers vivants qu'elle avait découverts réfugiés à l'accrochage 933 du puits de retour.
Il s'agissait de mineurs de la veine A, qui, n'ayant pu se sauver par la bowette sud à 1000 m à cause des fumées, étaient remontés par les retours et avaient gagné les abords du 2ème puits où ils attendaient, transis, depuis plusieurs heures, à l'extrémité de la galerie de communication entre les 2 puits.
Le chef du groupe de secours proposa de franchir un gros éboulement obstruant la veine 7 couchabt, derrière laquelle devaient être 3 italiens.
L'ingénieur en chef donna son accord, 6 sauveteurs furent attachés à cette tâche.
Vers 3h50 du matin une violente explosion causée vraisemblablement par le feu de la taille Niquet se produisit à nouveau.
A l'étage 933, les 6 sauveteurs vivaient un drame épouventable.
Devant l'éboulement qu'ils étaient en train d'éliminer, ils virent une flamme puis un tourbillon de poussières venant du Couchant.
Les 6 hommes furent projetés à terre.
3 d'entre eux purent se relever seuls et se rendirent vers le puits 1 où se tenait l'équipe de réserve.
Le moins atteint des 3 voulut entraîner un de ses camarades , mais ils se trompèrent de chemin.
Heureusement, l'équipe de réserve alertée, les retrouva et les ramena à l'accrochage.
Une première cage était déjà remontée, les sauveteurs se croyant au complet regagnèrent la surface.
Arrivés au jour, il en manquait un à l'appel.
Le chef de groupe forma 2 équipes et les envoya à la recherche du disparu.
Celui ci était près de l'éboulement, il était mort asphyxié, l appareil qu'il portait était arraché.
A l'étage 1000 m, la seconde explosion avait fait de terribles ravages,
3 sauveteurs avaient été foudroyés.
Les ouvriers qui étaient allés à leur secours se heurtèrent à un barrage infranchissable de berlines renversées et brûlantes.
La mine garda leurs corps.

Après avoir pris un court repos l'ingénieur Dupont revint à la fosse où il apprit l'absence d un des secouristes.
Il décida de se rendre à sa recherche, mais au lieu d attendre à 1000 m les groupes de sauveteurs déjà engagés vers le Couchant, il partit seul malgré l'avis du chef porion pour faire une expédition dans le quartier du Levant.
Le quartier du Levant était considéré comme une zone extrèmement dangereuse.
Quelques heures après la catastrophe, 3 sauveteurs de Marles, bien équipés, avaient du renoncer à atteindre le front de taille tant la chaleur était insupportable à cet endroit.
La tentative de l'ingénieur était dans ces conditions aléatoire.
Un mineur puis 2 porions furent envoyés à sa suite quelques instants après son départ, il était trop tard.
Leurs recherches rendues difficiles par les dégagements de grisou et d'oxyde de carbone durent être interrompues.
Longtemps les hommes attendirent son retour.
Le chef porion remonta à la surface et redescendit avec des sauveteurs de Bruay à 7h35 du matin.
Mais pendant qu'ils descendaient, une 3ème explosion retentit.

L'inspecteur général fit téléphoner aussitôt pour recommander aux sauveteurs de rester à l'accrochage en attendant son arrivée.
L'abbé de Divion participait également aux recherches, offrant du lait aux blessés, donnant les derniers sacrements aux mourants.
A la lampisterie aussi, où les familles venaient reconnaitre les corps, ayant pour chacune d'elles des paroles de réconfort.
L'inspecteur général décida de faire effectuer une autre tentative par les ingénieurs et les sauveteurs de Liévin.
Aux prix de grandes difficultés, les sauveteurs parcoururent plusieurs voies et descenderies, ils furent arrêtés par les gaz.
Entre temps, l'équipe de réserve vint les rappeler, une 4ème explosion était survenue et avait produit un renversement d'aérage à l'accrochage.
La situation se détériorait de plus en plus.
Le ministre des travaux publics arriva ce matin même par train spécial.
La journée se passa dans l'expectative.
On surveilla au jour la marche des explosions au moyen du diagramme des ventilateurs.
Les ingénieurs gardèrent le contact avec l'accrochage par des descentes périodiques.
Les jours passaient.
Les conditions d'aérage avaient été améliorées, l'ingénieur des mines voulut tenter une exploration vers le Levant.
Avec des sauveteurs, tous munis d'appareils respiratoires, il parvint en atmosphère saturée d'oxyde de carbone à la tête du treuil Bourgeois.
Il y découvrit le corps de l'ingénieur Dupont auprès de 2 victimes, les bras allongés.
Il portait une plaie à la tête, il était mort asphyxié.
Le même jour une autre équipe fit une nouvelle tentative pour arracher à la mine le corps des victimes et qui sait ? des survivants.
Leur tentative comme celles qui furent entreprises le lendemain se solda par un échec.
Toutes les équipes se heurtèrent à un barrage de fumée qu'il était absolument impossible de traverser.
Dimanche toutefois, les sauveteurs remontèrent 6 cadavres.
La corporation minière fit aux victimes d'immenses funérailles en présence du préfet du Pas de Calais et du ministre des travaux publics.
Mais de nombreuses familles vivaient encore dans l'angoisse et dans l'espoir insensé, mais qu'entretenait le précédent de la catastrophe de Courrières, survenue 6 ans plus tôt, de les revoir saufs..

Tout n'était donc pas perdu.
En descendant à l'étage 933, le lundi 9, les sauveteurs de Lièvin constatèrent à leur grande déception dans les fumées, que les canalisations d'eau et d'air comprimé étaient trop chaudes.
Une prise de gaz envoyée à l'analyse donna des résultats alarmants.
La teneur en grisou était de 3.9 à 4.1%
Celle d'oxyde de carbone 0.2%, une dose mortelle.
Aussitôt connu le résultat, l'ingénieur en chef fit immédiatement remonter tout le personnel de la mine.
Il y avait danger de mort, une explosion plus terrible menaçait d'éclater à tout instant.
Le lendemain le courant chaud venant de la direction du Couchant révéla un péril tout aussi grand.
L'oxygène n'était plus que de 2%, le gaz carbonique 4.7 %, la teneur en grisou de 8 %, la teneur en oxyde de carbone 0.5%.
Humainement il était impossible de continer les travaux de sauvetage.
Le mercredi 11, le contrôleur général des mines rassembla tous les responsables.

Il exposa les faits
"la situation est excessivement grave.
En raison de la forte teneur en oxyde de carbone et en grisou, nous ne pouvons plus assurer la sécurité.
Je sais qu'il reste encore 30 corps au fond de la mine.
Il était de notre devoir de tout tenter pour les ramener, pour les rendre à leurs familles.
Mais devons nous exposer la vie des sauveteurs ?
4 d'entre eux ont été mortellement blessés.
Demain il risquerait d'en avoir davantage.
2 solutions se présentent à nous
Barrer la bowette Couchant mais il y a crainte d'explosion.
Ou attendre en continuant à observer.
Et quand on sera absolument certain qu'il n'y a plus de vivants dans la mine, y envoyer de l'eau pour éteindre l'Incendie".
Malgré quelques réticences, dues au souvenir de la catastrophe de Courrières, et la peur de se voir repprocher un jour d'avoir noyé la fosse alors qu'il pouvait y avoir des survivants, il fut décidé d'attendre.
La corporation minière et les familles des disparus réagirent à l'annonce de cette mesure.
Elle se dissipa rapidement car personne ne mit en doute la légitimité de cette décision aussi pénible fut elle.

Chaque matin une équipe chargée de l'entretien des lampes témoins à l'accrochage 1000 m, descendit pour renouveler le matériel et vérifier qu'aucun survivant n'apparaissait.
Pendant les préparatifs de noyage de la mine, le directeur du centre de Liévin mr Taffanel (voir article sur les planches Taffanel), de retour d'un voyage en Amérique voulut se rendre compte des effets de l'explosion, il lui semblait étrange que le matériel de sécurité qu'il avait mis au point n'eut pas fonctionné.
Une petite expédition s'organisa.
Masques aux visages ils se rendirent dans la 8ème veine Levant, à quelques mètres du treuil Bouquillon.
Sa conclusion était formelle, l'arrêt barrage n'avait pas fontionné à cause de la lenteur de l'explosion.
Ainsi s'expliquaient les ravages causés par le coup de grisou.

Le mercredi 1er octobre, tout espoir de retrouver un survivant s'éteignait.
Les pompes installées sur les berges de la rivière La Clarence commencèrent à refouler puis à deverser l'eau dans la fosse.
Les mineurs n'assistèrent pas à cette opération.
Une immense colonne de fumée s'échappait du puits.
Durant 1 mois et demi 417 000 m3 d'eau furent déversés jusqu à ce que le niveau - 900 m soit atteint.
Après la remise en état de l'équipement des puits, on procéda entre le 20 décembre et le 5 janvier au dénoyage partiel.
On avait abaissé le niveau de 2m50 au dessous de la recette 933 car il fallait d abord rétablir un circuit d'aérage entre les 2 puits.
Mais les mesures prises pour forcer l'aérage furent impuissantes à empêcher le refoulement du grisou provenant de l'obturation à peu près complète de l'ancienne bowette.
Les travaux avaient duré jusqu au 19 juillet mais le dégagement considérable de grisou amena l'administration à ordonner l'abandon définitif des travaux.
C'en était fini, on ne donnerait jamais de sépultures aux 30 disparus.
La bowette 933 fut reliée à des galeries poussées au niveau supérieur de 875 m et un puits d'aérage, ouvert à Camblain, dans la vallée.
L'enquête de la commission n'aboutit à aucune conclusion.
La commune éleva un monument en 1913 à la gloire des victimes, 79 personnes.
La fosse de la clarence fut réouverte, mais le danger demeurait latent.
La catastrophe de 1954 faisait à son tour de nombreuses victimes, l'administration supérieure décréta la fermeture définitive, la mine de La Clarence avait vécu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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