Explosion du magasin de dynamite le 28 novembre 1900.P

Compagnie des Mines d’Aniche.                         Fosse Fénelon à Aniche  

 

Le récit d'après le grand écho du nord de la France

 

Résumé par Daniel Marir

Bilan : 21 morts et 44 blessés.

Le magasin de dynamite se situait à l’étage -500m,à 52m de l’accrochage, il contenait au moment de l’explosion 133 kg de dynamite gomme et 115 kg de grisoutine B.

Après enquête et rapports établis par les commissions d’experts, l’ingénieur du Service des Mines et les ingénieurs des Mines d’Aniche ,le Tribunal correctionnel de Douai après jugement rendu le 14 mai 1901 conclura qu’aucune cause exacte n’a été retenue, insistant sur le fait que les témoins de la catastrophe avaient été tués.

L’affaire fut donc classée, la Compagnie des Mines d’Aniche fut blanchie de toute accusation ,les coupables ne pouvant être que les mineurs tués lors de la manipulation des explosifs….néanmoins suite à cette tragédie il sera interdit d’entreposer au fond des fosses de la dynamite.

Marir Daniel février 2015

 

 

L’écho du Nord 28 novembre 1900

Terrible catastrophe aux mines d’Aniche

EXPLOSION DE DYNAMITE

17 morts. Nombreux blessés à la fosse Fénelon.

Effrayante détonation.

La dynamitière saute au fond du puits.
La remonte des cadavres.

Terrible spectacle.

Cadavres méconnaissables

Une terrible nouvelle nous parvenait mercredi.

Dans la matinée, au fond de la fosse Fénelon des mines d'Aniche, une explosion de dynamite venait d'avoir lieu, tuant ou blessant de nombreux ouvriers.

Nos lecteurs trouveront plus loin des détails complets sur cette catastrophe, que nous avons annoncée hier Unie et dans la région par une édition spéciale.

Il n'est personne qui puisse maîtriser son émotion en songeant à ces victimes du devoir professionnel, tombées au champ d'honneur du travail, par une de ces fatalités qu'il est impossible de prévenir, en songeant surtout à leurs veuves, à leurs enfants, aux vieux parents dont les braves gens disparus étaient sans doute les soutiens, à toutes ces familles qu'étreint aujourd'hui la plus poignante des douleurs humaines.

Nous avons prononcé le mot de fatalité. Quel autre mot caractériserait mieux cette catastrophe, dont nous n'avions pas d'exemple dans les bassins houillers du Nord et du Pas-de-Calais.

Tous les mineurs, dans toutes les fosses possibles, se servent de dynamite et manipulent du matin au soir cette dangereuse matière.

Ils la connaissent depuis longtemps ; ils sont familiarisés avec elle ; ils savent ses propriétés, les services qu'elle rend et les précautions qu'exige son emploi.

Tous les matins, à cette fosse Fénelon, le gardien de la poudrière, Bertinchamps, faisait la distribution des cartouches aux ouvriers. Bertinchamps était un très ancien mineur, dont la prudence était bien connue. Mais il est vrai que la prudence la plus minutieuse est parfois déjouée par un de ces mille petits riens qui sont le lot journalier de notre vie à tous.

Quoi qu'il en soit, nous croyons être l’interprète de tous ceux qui nous lisent en adressant, en leur nom et au nôtre, aux familles des victimes de la catastrophe d'Aniche, l'expression de notre douloureuse sympathie.

Ce n'est pas seulement Aniche qui est en deuil : ce sont nos deux bassins houillers, c'est toute la région du Nord, qui, formant, on peut le dire, une grande famille de travailleurs, se sent atteinte dans ses forces vives quand des travail­leurs succombent à une aussi horrible mort.

Ex. F.

     

(DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX)

Notre enquête

Nous renonçons à traduire l'impression qu'une enquête, faite sur les lieux, a produite sur nous et nous nous contenterons de relater les faits dans leur tragique horreur.

Ce simple résumé, par où nous commençons, est plus éloquent dans sa terrible simplicité que toutes les phrases :

Un magasin de dynamite a fait explosion, à la fosse Fénelon.

Il y a dix-sept morts retirés ou connus, une vingtaine de blessés. On poursuit les travaux de déblaiement, qui mettront probablement au jour de nouveaux cadavres.

Venons-en maintenant aux détails

L'état des lieux

Le siège de Saint-Louis, où s'est produite l'explosion, est un des neuf sièges en activité de la concession d'Aniche.

Il comprend deux puits :

La fosse Fénelon, située à 2000 mètres environ d'Aniche et sur le territoire de cette commune ;

La fosse Saint-Louis, qui se trouve à 800 mètres de la première, sur le territoire d'Abscon.

La descente et la remonte des ouvriers se font par la fosse Fénelon, théâtre de la catastrophe.

Saint-Louis est exclusivement affectée à l'extraction du charbon et ne sert aux ouvriers que dans des cas particuliers.

450 mineurs environ sont occupés à ce siège ; 250 d'entre eux se servent de la lampe à feu nu.

Ce détail a son importance, car la distribution de lampes est à peu près le seul moyen de contrôle qu'on ait pour connaitre le nombre de mineurs descendus.

A ce moment de l'année, le travail est des plus actifs ; c'est la quinzaine de Ste-Barbe, pendant laquelle il est d'usage, chez les mineurs, de faire des longues coupes, de descendre plus tôt à la mine, d'en remonter plus tard.

C'est même à cette particularité qu'on doit de n'avoir pas à déplorer un plus grand nombre de morts.

La plupart des mineurs étaient descendus à quatre heures et se trouvaient déjà à leurs chantiers lorsque s'est produite l'explosion.

En temps ordinaire, ce n'est pas 50 mineurs qui se seraient trouvés dans la bowette au moment de l'explosion, mais 200 !

La dynamitière

Lorsqu'on descend dans le puits Fénelon et qu'on s'arrête à l'étage de 500 m. (il y en a un second à 595 m.), on entre d'abord dans la chambre de l'accrochage, salle vaste, spacieuse, d'où part une bowette ou large galerie de communication qui rencontre à 80 mètres de là environ, la veine Sainte-Marie.

Avant d'arriver à la veine Ste-Marie, sur le côté droit de la bowette, à 60 m. environ du puits, se trouve la « chambre à dynamite », sorte de caveau taillé dans le roc et voûté de 5 à 6 mètres de profondeur, de 2 mètres de largeur et de 2 m. 50 de hauteur.

Le caveau est divisé en deux parties par une épaisse porte de chêne. Une autre porte de chêne ferme l'entrée.

C'est là que l'on descend la provision de dynamite nécessaire aux travaux quotidiens.

Les bowetteurs ouvriers qui préparent les voies en font souvent usage.

Les mineurs qui travaillent au mur s'en servent aussi. Ceux qui abattent le charbon ne s'en servent ordinairement pas.

C'est ce qui fait que tous les ouvriers ne passent pas à la dynamitière pour la distribution. Il y a seulement ceux qui prévoient qu'ils auront besoin d'explosif pendant leur travail. Ils disent au distri­buteur : « Donne-moi trois, quatre ou cinq cartouches » ; et ce dernier inscrit sur un calepin le nombre de cartouches distribuées.

On sait qu'une cartouche de dynamite présente la forme d'un tube de trois centimètres de longueur environ, et pèse 80 grammes.

On peut la présenter à la flamme. Elle fuse et n'éclate pas. On peut la laisser tomber, le choc ne sera pas assez violent pour déterminer une explosion.

Pour faire partir la cartouche de dynamite, il faut l'armer, c'est-à-dire introduire dans sa cavité une capsule de fulminate munie de sa mèche.

On allume la mèche. La capsule détone et fait exploser la cartouche.

Les capsules ne sont pas distribuées à la dynamitière. Le mineur les reçoit au jour, les renferme dans une boite, prend en passant les cartouches à la dynamitière et se rend à son chantier.

Il n'arme les cartouches qu'au fur et à mesure de ses besoins, quelques minutes avant de s'en servir.

Les mesures de précaution les plus minutieuses sont donc prises. Théoriquement, aucun accident ne devrait être possible.

Aussi ne s'explique-t-on pas la catastrophe de mercredi matin.

L'explosion

Il était 5 h.10 environ (la montre d'une des victimes s'est arrêtée à cette heure-là) lorsque l'explosion s'est produite.

La dynamitière, qui renfermait, d'après l'ingénieur, 150 à 200 kilos de dynamite, a sauté. Les gaz se sont dégagés avec une violence extraordinaire par les galeries et par le puits ; une partie de la bowette s'est effondrée ; les ouvriers qui s'y trouvaient ont été projetés contre le roc, où ils ont été fracassés, ensevelis par l'éboulement, asphyxiés.

Ce fut, disent les ouvriers qui ont échappé à la mort, une explosion épouvantable,

Aussitôt des cris de douleur, des gémissements sortirent des décombres.

Près du puits se trouvait une jonchée de cadavres.

Ceux qui étaient sains et saufs étaient tellement affolés qu'ils se sauvaient par les galeries en appelant au secours.

Dans la bowette

Par quoi l'explosion a-t-elle été provoquée ; nul ne peut le dire, nul ne fait de supposition.

Dans la bowette, au moment du sinistre, une cinquantaine d'ouvriers étaient réunis.

Louis Bertinchamps, le distributeur de cartouches, était à son poste, assis près de l'entrée de la dynamitière, sa boite à cartouches, près de lui.

Deux ouvriers étaient en train de lui demander des cartouches.

D'autres passaient devant lui sans rien demander, se rendant directement à leur travail.

Dans la chambre de l'accrochage, des deux côtés du puits, des ouvriers- de la coupe à terre,  ceux qui travaillent la huit, attendaient leur tour pour remonter et prendre dans les berlines la place des mineurs qui descendaient.

Dans la cage, enfin, une vingtaine de mineurs qui avaient pris place au jour une minute plus tôt et arrivaient à l'étage pour le travail quotidien.

Bertinchamps tué, les mineurs qui demandaient des cartouches tués, presque tous ceux qui étaient dans la bowette, tués ou blessés ; ceux de la chambre de l'accrochage, tués ou blessés ; parmi ceux qui se trouvaient dans la cage l'un, Danel, tué, quatre autres blessés grièvement.

Tel est le bilan de l'explosion.

Les flammes appelés par le puits qui fait office de cheminée s'élancent jusqu'au jour et apparaissent aux molettes.

L'explosion au jour

Un de ceux qui se trouvaient « au jour », c'est-à-dire dans la salle des cages, attendant le moment de descendre, a fait le récit suivant de ce qu'il a vu :

« Il était un peu plus de cinq heures, la plupart des mineurs étaient déjà descendus. Le mécanicien qui, manœuvrait la benne et les quelques mineurs présents entendirent tout à coup, venant du fond de la fosse un bruit énorme, sourd et très allongé. Ils étaient immédiatement entourés d'un épais nuage de fumée noire et une véritable trombe d'air surgissant de l'orifice du puits, faisait aux alentours voler toutes les vitres en éclats.

« La benne descendait alors. Le mécanicien eut la présence d'esprit de la remonter immédiatement et ceux qu'elle contenait, retirés presque asphyxiés, reçurent aussitôt, sous la direction d'un docteur appelé en toute hâte, les soins des personnes présentes. »

Les secours au fond. — Héroïsme des mineurs

Oh ! le dévouement de ceux qui, après avoir échappé à la mort par miracle, à la folie par un autre miracle, sont restés au fond huit heures durant à secourir des blessés, à dégager des morts, à reconnaître des identités, à dire : « Celui-ci fut mon ami, celui-là était mon parent », jamais on ne saura le proclamer assez.

Le mineur a l'âme stoïque. Il regarde la mort comme la regarderait un héros.

L'un d'eux, Jules Lescue, qui se trouvait dans la bowette, à une vingtaine de mètres de l'accrochage, est projeté à 5 mètres de distance, par la violence de l'explosion. Il est blessé à la main.

Néanmoins, il se relève et se précipite vers ses compagnons, auxquels il prodigue ses soins.

Les premiers secours s'organisent rapidement ; des sacs sont descendus dans la cage ; on y enferme les restes des morts, que l'on remonte à la surface.

L'ingénieur, M. Barrillon, descend parmi les premiers et dirige les efforts des mineurs, qui s'attaquent résolument aux décombres où ils aperçoivent, de temps à autre, d'informes débris humains.

On attaque l'éboulement sur trois points différents, par la bowette conduisant de l'accrochage à la veine Sainte-Marie, par la veine Sainte-Marie et par la bowette au-delà de cette veine.

Le déblayage sera long, car les quantités de décombres sont considérables.

Vers deux heures de l'après-midi la dynamitière est dégagée et les trois équipes d'ouvriers peuvent communiquer les unes avec les autres.

Au-delà de la veine Ste-Marie, dans la bowette on vient de découvrir deux jambes que l'on s'efforce de dégager. On ne sait encore si le corps y est resté attaché.

Et l'on pioche toujours !

Combien de cadavres sont encore écrasés sous cette masse de roches ?

Combien dont on ne retrouvera que des miettes !

La remonte des cadavres.

Au fur et à mesure que les cadavres sont découverts et dégagés, on les transporte à la cage et ils sont remontés au jour, ainsi que les blessés.

Les cinq médecins de la Compagnie, MM. Buisson, Cafant fils, Dransart, Vandamme et Galland, sont là et s'empressent, mais leurs soins sont, dans la plupart des cas, inutiles : parmi les victimes, les unes ont succombé immédiatement, les autres, à part quatre ou cinq, ne sont pas dans un état inquiétant.

Quatre Sœurs de l'hôpital de Somain prodiguent aux blessés les soins prescrits par les docteurs et veillent à la mise en bière des morts.

Des cercueils ont en effet été fabriqués rapidement par les soins de la Compagnie.

On recouvre le fond de chacun d'eux d'un peu de paille et le mort y est étendu enveloppé dans un linceul de toile blanche dont, de temps à autre, on écarte les plis à la demande de ceux qui cherchent les leurs et qui se penchent, anxieux, sur ce cadavre noirci, tremblant de le reconnaitre et de voir s'éteindre la lueur d'es­poir qui leur restait.

Dès qu'un cadavre est reconnu, il est transporté à domicile par des voitures qu'ont réquisitionnées les gendarmes.

La reconnaissance des cadavres

La plupart des morts, ceux qui n'étaient pas trop défigurés, ont été reconnu par le personnel surveillant de la Compagnie ou par leurs camarades.

On s'est efforcé, autant qu'on l'a pu, d'apprendre avec ménagement la catastro­phe aux familles éprouvées, et lorsque les cadavres ont été transportés à domicile, les proches parents étaient préparés déjà à la triste réalité.

Cadavres inconnus

Un cadavre, retiré à la fosse Fénelon n'a été reconnu qu'a quatre heures de l'après-midi. Il avait le bas du visage levé et on ne pouvait l'identifier que par ses vêtements. A deux heures, un mineur avait cru le reconnaitre à ses chaussures.

C'est Pierre André, dit-il.

Un quart d'heure après on apprenait que Pierre André, blessé légèrement, était rentré chez lui.

Enfin, vers quatre heures, un jeune homme de Somain, qui était venu à recherche de son cousin, l'a reconnu à son bourgeron, qu'il avait rapporté du régiment, où il était encore il y a deux mois.

— C'est mon cousin Eugène Branche, dit-il, en fondant en larmes.

Deux autres cadavres, les deux seuls qu'on ait remontés par la fosse St-Louis, sont encore inconnus. L'un a les jambes emportées et le sommet de la tête est enlevé.

L'autre, qu'on a remonté vers deux heures et demie, est littéralement réduit en bouillie. Lorsqu'on a ouvert le sac qui le renfermait, un cri d'horreur est sorti de toutes les poitrines à la vue de ce bloc noirci, déchiqueté, brûlé, informe !

On ne pourra le reconnaître que par le contrôle.

Un autre cadavre, qui n'avait plus ni tête ni jambes, a été reconnu au numéro de sa montre, dont son frère s'est souvenu.

 

 

L’écho du Nord 1er décembre 1900

L’explosion des mines d’Aniche

La journée de jeudi

La situation.

— A la fosse. —
— Au siège de la Compagnie.
— Récits des survivants.
— Fixation des obsèques

 

(DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX)

 

Enfin, on a pu arracher à la mort son secret !

Les derniers travaux de déblaiement ont mis à découvert les derniers cadavres.

Le doute douloureux, la crainte d'une catastrophe plus grande encore, ont disparu.

On a pu dresser la liste officielle des victimes. Souhaitons qu'elle soit définitive.

Nous reproduisons ci-dessous la liste des morts, que nous nous sommes procurées au siège de la Compagnie.

Elle contient l'orthographe rectifiée des noms et la date de naissance des décédés Elle est dressée en outre, dans l'ordre de reconnaissance des cadavres :

1.    Joseph Kœssler, d'Abscon, 6 janvier 1877 ;

2.    Louis Jeux, d'Abscon, 10 septembre 1876;

3.    François Carlier, de Mastaing, 25 février 1870 ;

4.    Jules Bouriez, de Fenain, 18 décembre 1876 ;

5.    Adolphe Dannel, de Fenain, 28 décembre 1878 ;

6.    François Degorre, de Fenain, 2 novembre 1863 ;

7.    Camille Dumortier, de Fenain, 9 janvier 1869;

8. Achille Tison, de la Renaissance, 22 mars 1869;

9. Léon Copin, de la Renaissance, 19 septembre 1876 ;

10. Henri Dupriez, de la Renaissance, 14 mars 1855

11. Adolphe Brunet, de la Renaissance, 19 mars 1845 ;

12. Eugène Branche, de Somain, 30 no­vembre 1875 ;

13. Désiré Pollet, de la Renaissance, 16 mai 1853 ;

14. Jules Cotton, de Somain, 15 janvier 1873

15. Gustave Tison , de la renaissance 18 mars 1871 ;

16. Auguste Fourdraine, de Somain, 14 mai 1876 ;

17. Français Dulieux, de Somain, 27 septembre 1865.

17. Louis Bertinchamps, La Renaissance, 22 avril 1850.

Les blessés grièvement

Parmi les 28 blessés, il en est quatre qui inspirent de vives inquiétudes. Ce sont :

Florimond Mourra, de la Renaissance, né le 3 octobre 1853 ; jambe fracturée en trois endroits, brûlures à la tête.

Joseph Decarpentries, de Fenain né le 15 novembre 1868 ; fracture de la jambe, brûlures au visage et aux mains.

Arthur Poulain, de Fenain, né le 12 août 1865 ; œil blessé, brûlures aux mains et aux jambes.

Henri Mazingue, de Mastaing, né le 30 janvier 1869 ; jambe fracturée, brûlures sur tout le corps.

Le bruit a couru de la mort de MM. Poulain et Mazingue.

Nous n'avons pour l’instant reçu aucune confirmation officielle de cette nouvelle.

A quatre heures du soir, nous avons rencontré M. Lemay, directeur de la Compagnie d'Aniche, qui revenait de visiter les blessés.

Aucune aggravation ne s'était produite dans leur état, et l'on pouvait conserver l'espoir de les sauver.

Nous souhaitons bien vivement que cette prévision se réalise.

Les obsèques des victimes

Les Conseils municipaux et toutes les sociétés des communes auxquelles appartiennent les victimes se sont réunis aujourd'hui pour régler la question des funérailles solennelles à leur faire.

D'autre part, ce matin a eu lieu, à la sous-préfecture, une conférence entre le sous-préfet, le représentant des mines et les maires de Somain, Fenain, Abscon et Mastaing pour le règlement des obsèques.

Celles-ci auront lieu demain vendredi dans cinq paroisses :

A. 10 heures du matin, à Somain-Ville où il y a 4 victimes ;

A 2 heures du soir, au hameau de la Renaissance, qui compte 7 morts ;

A 10 heures du matin, à Abscon et à Mastaing ; il y a deux tués dans la première commune et un dans l’autre ;

L'heure des obsèques des quatre victimes de Fenain n'est pas encore fixée. On pense qu'elles auront lieu vendredi dans la matinée.

Des représentants du préfet et de la Compagnie des mines assisteront aux sépultures et prononceront des discours. Le maire de chaque commune prononcera également une allocution.

La Compagnie fera les frais des obsèques. On sait que la loi met à sa charge les indemnités ou pensions aux blessés et les pensions aux veuves. Un service religieux à la mémoire des victimes sera célébré à Aniche, lundi, jour de la fête de Sainte-Barbe.

Par décisions des comités des diverses sociétés, toutes les réjouissances qui devaient avoir lieu à l'occasion de la Sainte-Cécile et de la Saint-Eloi sont supprimées.

L'enquête

M. Fort, chef de cabinet de M. le Ministre des travaux publics, est arrivé à Aniche, mercredi, à 10 heures du soir. Il s'est rendu au siège de la Compagnie et a conféré avec les autorités jusqu'à minuit, puis il est rentré à Douai avec le parquet et le sous-préfet.

M. Herscher, ingénieur des mines du contrôle, est descendu dans la fosse Fénelon mercredi, à 5 heures du soir, accompagné de MM. Barillon, ingénieur en chef et Tétard, ingénieur ordinaire, pour procéder à l'enquête légale. Rien n'a transpiré du résultat de cette enquête, qui a duré trois heures.

M. Kuss, ingénieur en chef des mines, procède également à une enquête.

Le parquet de Douai est revenu à Aniche aujourd'hui à midi et a repris la suite de ses interrogatoires. Il a reçu les dépositions d'un certain nombre d'ouvriers échappés à la catastrophe.

M. Evrard, secrétaire général du Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, appelé télégraphiquement  jeudi matin par les mineurs d'Aniche, s'est rendu immédiatement sur les lieux de la catastrophe.

M. Vincent à Aniche

M. Vincent, préfet du Nord, a quitté Lille jeudi à 1 h. 50, se rendant à Aniche, sur les lieux de la catastrophe.

Il est arrivé au siège de la Compagnie vers 3 heures et demie et a conféré longuement avec MM. Lemay, directeur de la Compagnie, et de Sessevalle, président du conseil d'administration.

M. Lemay, qui était absent au moment de l'explosion, est rentré de Paris mercredi, à 6 heures. Il a, ce matin, en compagnie de M. de Sessevalle, rendu visite aux familles des morts et aux blessés et a distribué d'importants secours.

Lettres et télégrammes de condoléance

Les lettres et télégrammes de condoléance continuent d'affluer chez les personnes frappées par la catastrophe.

La Compagnie des mines d’Aniche a reçu une vingtaine de télégrammes provenant pour la plupart des directeurs de charbonnages du bassin du Nord et du Pas-de-Calais.

Les maires des communes en deuil et les familles des victimes en ont reçu également.

M. Scelles, maire d'Aniche, a reçu le télégramme suivant de son collègue de Liévin :

Le maire de Liévin a appris avec peine l’affreux malheur qui frappe les victimes de l'explosion de dynamite des mines d'Aniche.

Il s'associe au deuil des familles et prie son collègue d'être près d'elles l'interprète des meilleurs sentiments de condoléance de notre population minière liévinoise.

Signé : Defernez.

 

M. Scelles a aussi reçu cette lettre de l'Union amicale des Anciens Sous-officiers de l'arrondissement de Douai :

Monsieur le Maire,

J'apprends l'épouvantable accident qui jette la consternation dans la ville d'Aniche et je m'empresse de vous assurer de notre plus vive sympathie.

Nous sommes avec vous et votre laborieuse population dans ces circonstances douloureuses, et de tout cœur nous nous associons à votre deuil.

Je vous prie, Monsieur le Maire, d'être notre interprète auprès de la population minière et de lui témoigner toute la part que nous prenons à son affliction.

Veuillez agréer, etc.

Le président,

Signé : Max Gheerbrast.

 

Enfin, M. Scelles a adressé la lettre qui suit aux maires de Somain, Abscon, Fenain et Mastaing :

Monsieur le Maire,

La terrible catastrophe survenue hier à la fosse Fénelon, de la concession d'Aniche, a jeté le deuil et la douleur dans votre commune.

Au nom du Conseil municipal et de la ville d'Aniche toute entière, je vous prie d'adresser aux familles des victimes l'expression douloureuse de leurs sincères condoléances pour le malheur qui les frappe.

Ci-inclus je vous transmets copie des télégrammes de M. le Maire de Lens et de M. le Président de la Fanfare ouvrière de Lens, que je vous prie de communiquer aux familles des victimes.

Veuillez agréer, etc.

Le maire d'Aniche,

Signé : Ch. Scelles.

Envoi de M. Loubet

M. le Président de la République a prié le préfet du Nord de se faire l'interprète de ses regrets et de sa douloureuse sympathie auprès des familles des victimes de la catastrophe d'Aniche ; il lui a fait envoyer en même temps mille francs pour être répartis entre les familles les plus nécessiteuses.

A Valenciennes

L'épouvantable explosion des mines d'Aniche a produit dans tout le bassin houiller de Valenciennes une douloureuse émotion.

A Valenciennes, la nouvelle a été apportée par l'édition spéciale de l'Echo du Nord, dont le numéro a été affiché à diverses vitrines, devant lesquelles on faisait queue pour lire les navrants détails donnés sur cet inexplicable malheur.

. Aux mines d'Anzin et de Douchy, des télégrammes, d'un laconisme angoissant, sont venus jeter la consternation dans la population essentiellement minière de ces communes.

Récits de survivants

Les circonstances de l'explosion.

— Bertinchamps était-il seul dans la dynamitière ?

A la fosse Fénelon, les travaux de déblaiement ont été poursuivis pendant toute la nuit de mercredi à jeudi et pendant toute la journée de jeudi avec une grande activité.

M. Cabassus, ingénieur de la fosse, l’Archevêque et M. Tétard, ingénieur des fosses Fénelon et Saint-Louis, dirigent les travaux.

Ils sont restés sur la brèche pendant deux jours et une nuit et sont exténués.

Nous avons pu voir M. Tétard à la sortie du puits.

—            Les travaux sont presque terminés, nous dit-il. La voie est dégagée et l'on peut circuler facilement dans la bowette.

—            Les dégâts causés par l'explosion sont-ils considérables ?

—            Pas du tout. On s'imaginerait mal aisément, en voyant l'état actuel des lieux, qu'une explosion si terrible ait pu s'y produire.

« De la dynamitière, il ne reste évidemment qu'un trou béant ; mais la bowette taillée à même le roc, dont les parois sont formées de blocs énormes, a assez bien résisté. Quelques parties se sont éboulées, d'autres se sont fissurées, mais le dommage aurait pu être beaucoup plus considérable.

— Est-on bien sûr qu'il n'y a plus de cadavres sous les décombres ?

— On l'espère, tout au moins. Tous les débris ont été retournés ou enlevés On a retrouvé, ce matin, près de la dynamitière, les restes de Bertinchamps. Un peu de bouillie, une main et un pied à peu près intacts.

On croit que c'est le dernier de ceux qui étaient ensevelis là.

D'ailleurs, le recensement fait dans les villages ne signale plus aucune disparition.

—            Vous avez accompli depuis deux jours une tâche bien pénible.

—            Oh ! oui, pénible au physique et au moral. J'ai le cœur bouleversé par la vue de ces misères. Mes mains, mes vêtements sentent le cadavre. Je ne puis me défaire de cette odeur. Elle m'empêche de manger. Je ne prends que du café et du cognac. »

Sur le carreau de la fosse Fénelon, des mineurs causent entre eux.

L'un d'eux, Charles Lemaire, raconte ce qu'il sait de l'accident

— J'avais franchi la dynamitière et j'étais arrivé à mon chantier, à la veine Sainte-Marie, lorsque l'explosion s'est produite.

Justement, je me disposais à enfiler mon pantalon de travail. L'une des jambes était même passée lorsque j'ai été projeté contre la veine.

Après deux ou trois minutes d'étourdissement, je suis revenu à moi ; j'ai entendu les cris des blessés et me suis porté à leur secours.

— Avez-vous remarqué ce que faisait Bertinchamps, en passant devant la dynamitière.

— Parfaitement, je le vois encore, assis à la porte d'entrée, auprès de sa boite à cartouches. Je lui ai crié : « Bonjour Louis», et il m'a répondu sur le ton bon enfant qu'il avait toujours : Tiens ! c'est toi, Charles ! Tu vas à ton travail ? »

Lemaire s'est éloigné sur ces mots qui n'appelaient pas de réponse.

— Bertinchamps distribuait-il des cartouches au moment où vous l'avez vu ?

Oui. Deux mineurs étaient arrêtés près de lui; mais je ne sais plus lesquels!»

Il est donc acquis que Bertinchamps distribuait encore des cartouches ; une minute ou deux avant l'explosion.

Toutefois, au moment précis de la catastrophe, il était seul à la dynamitière, ainsi qu'il résulte du récit d'un hercheur.

Cet ouvrier est le dernier qui ait vu l'infortuné distributeur.

— Bertinchamps, nous dit-il, était debout entre les deux portes de la dynamitière quand je l'ai vu, c'est-à-dire vingt secondes avant sa mort. Sa distribution était finie, il en inscrivait le détail sur son carnet. Je venais de passer devant lui et j'étais encore dans la bowette au moment de l’explosion : Le coup m'est parti dans le dos.

Or, Bertinchamps écrivait certainement encore à cet instant. »

La déclaration de cet ouvrier a été reçue par le parquet, qui recueille avec empressement tous les renseignements de nature à jeter quelque lumière sur ce mystérieux accident.

La dynamite

Causes d'explosion. Interview d'un ingénieur

Au moment où, par suite de la catastrophe d'Aniche, la dynamite est d'une triste actualité, nous croyons intéressant de donner à nos lecteurs quelques renseignements  sur ce terrible explosif, sur sa composition, sa fabrication, ses propriétés, son mode d'emploi et ses dangers.

Les différentes dynamites

La dynamite est, comme on le sait, un mélange de nitroglycérine avec une substance poreuse susceptible de l'absorber.

La nitroglycérine est une substance huileuse facilement explosible et d'un maniement si dangereux, qu'on est obligé, pour en faire usage, de la mélanger avec une matière le plus souvent inerte qui atténue sa sensibilité au choc : c'est le rôle de la substance poreuse.

La nature de cette substance varie à l'infini. Dans certains cas elle est explosible elle-même : azotate d'ammoniaque, chlorate de potasse, et détone en même temps que la nitroglycérine sans que les deux éléments agissent chimiquement l'un sur l'autre. C'est le cas des explosifs nitrés, que l'on désigne sous les noms de grisoutine, grisounite, etc.

Dans d'autres cas elle est inerte, au sens absolu du mot : silice, alumine, carbonate de magnésie, alun calciné, brique pilée, sable, sciure de bois. C'est le cas des dynamites base inerte au dynamites . On n'en emploie pas d'autres aux mines d'Aniche.

Comment on fabrique une cartouche

Sa fabrication ne nécessite point d'appareils spéciaux : le silice, pulvérisée, tamisés et desséchée au four, est d'abord mélangée grossièrement à la nitroglycérine, à l'aide de spatules en bois. L'ouvrier triture ensuite le mélange en l'étendant à l'aide d'un rouleau en bois sur une table recouverte de plomb. Lorsque l'homogénéité parfaite est obtenue, l'opération est terminée.

La dynamite est ensuite introduite dans les cartouches, ou on la tasse avec de petits outils en bois.

Ces cartouches sont ou métalliques, lorsqu'elles sont destinées à l'art militaire, ou en papier paraffiné, lorsqu'elles sont destinées à l'industrie. L'enveloppe paraffinée préserve la dynamite de l'humidité.

Chaque cartouche, longue d'environ 12 centimètres, présente un diamètre d'environ 3 centimètres et pèse 80 grammes.

Lorsque l'ouvrier veut l'employer, il introduit dans le porte-douille d'amorce, placé à l'une des extrémités, le détonateur au fulminate de mercure.

L'explosion d'une cartouche détermine l'explosion totale de la dynamite placée à faible distance : c'est l'explosion par influence.

En théorie, cette première cartouche ne peut exploser sans détonateur. Malheureusement, il n'en va pas de même dans la pratique, ainsi qu'on le verra plus loin.

Suivant les cas, le mineur place successivement deux, trois, quatre cartouches dans le trou perforé dans le roc. Il n'arme que la dernière, les autres explosent par influence.

Il peut aussi employer des fractions de cartouches qu'il sépare aisément et sans aucun danger à l'aide d'un couteau.

Les altérations de la dynamite

Mais les propriétés de la dynamite varient suivant la température, suivant les procédés de fabrication. Elles peuvent varier encore par suite d'altérations et de transformations chimiques.

Pour nous éclairer sur ces différents points, nous nous sommes adressés, jeudi soir, à un ingénieur des mines qui remplit les fonctions d'ingénieur conseil dans une fabrique d'explosifs, en Belgique.

Ce sont les renseignements qu'il a bien voulus nous fournir que nous allons rapporter ici, aussi fidèlement que possible.

— Est-il exact, demandons-nous, qu'une cartouche de dynamite ne puisse faire explosion sans détonateur.

Eu principe, oui. En réalité, non. Tout dépend des circonstances. Telle cartouche, qui demeurait inerte sous le marteau-pilon, éclatera après quatre chocs légers. La dynamite a des effets bizarres capricieux et souvent inexplicables.

Quel effet produit la chaleur sur une cartouche ?

A 220°, la dynamite s'enflamme sans détoner. Mise en contact avec un charbon rouge, sans flamme, elle fuse sans prendre feu. Elle détonne sous l'action de l'échauffement lorsqu'elle est enfermée hermétiquement.

« Cet accident se produit encore lorsque la masse est considérable, par suite de l'échauffement progressif des parties intérieures. C'est pour cela qu'on transporte toujours la dynamite par cartouche et non par paquets volumineux.

Le froid exerce une autre influence : à 12°, la nitroglycérine se solidifie et se sépare en partie de son absorbant. Il faut alors la dégeler, ce qui est très dangereux. De plus, la nitroglycérine ainsi mise en liberté est difficilement absorbée de nouveau et le maniement de la dynamite devient presque aussi dangereux que celui de la nitroglycérine pure. De nombreuses catastrophes n'ont pas eu d'autre origine.

D'autres causes peuvent-elles encore influencer sur la stabilité du mélange ?

Certaines matières inertes laissent assez faiblement exsuder la nitroglycérine, telles sont le sable, la brique pilée, le coke en poudre. Il faut les bannir de la fabrication, car l'explosion accidentelle d'une goutte de nitroglycérine exsudée amènerait la détonation de la masse entière, et l'on retomberait dans tous les accidents de la nitroglycérine pure.

La dynamite ne peut-elle renfermer d'impuretés dangereuses ?

On veille de très près à l'emploi d'une nitroglycérine absolument pure, mais tout arrive. La présence d'acides gras dans la nitroglycérine entraîne à la longue une décomposition de la dynamite et peut en amener l'ex­plosion spontanée.

On constate d'ailleurs facilement l'absence de tout acide en mettant la dynamite en contact avec du papier bleu de tournesol : si le papier ne rougit pas, la dynamite est pure.

L'humidité exerce-t-elle sur la dynamite une influence quelconque

Oui, à la longue, l'eau peut déplacer la nitroglycérine en s'emparant de la silice.

Comment constate-t-on cette exsudation ?

En pressant un peu de dynamite entre deux feuilles de papier buvard. La présence de nitroglycérine à l'état libre s'accuse nettement par une tache huileuse.

Vous voyez que nous sommes loin de la cartouche théorique, inexplosible sans détonateur.

Les dynamites nitrées présentent-elles les mêmes dangers  ?

Oui, la grisoutine et la grisounite sont susceptibles d'altérations qui peuvent amener des explosions spontanées. Ce n'est pas le cas des mines d'Aniche, puisqu'on n'y emploie pas de grisoutine.

Cause de la catastrophe d’Aniche. Une hypothèse

Pourriez-vous formuler une hypothèse sur la cause de la catastrophe ?

—Oui, mais rien de plus qu'une hypothèse. Je suppose, pour ma part, qu'un ouvrier a pu laisser tomber par mégarde un détonateur dans la dynamitière. Je sais bien que les détonateurs sont renfermés dans des boites spéciales et que les ouvriers ne les manipulent qu'au moment de les employer, mais enfin toutes les suppositions sont permises, et, je le répète, je ne formule qu'une hypothèse.

« Supposez maintenant ce détonateur écrasé sous le pied de Bertinchamps : le fulminate de mercure détone et les cartouches situées dans le voisinage éclatent par influence.

Croyez-vous qu'une explosion par influence puisse se produire dans de pareilles circonstances ?

Je sais bien qu'aucune cartouche ne devait se trouver en contact avec le détonateur et que l'explosion ne s'explique pas, théoriquement, mais en pratique... En tous cas, et quoi qu'en dise la théorie, je ne voudrais pas, de gaieté de cœur, tenter semblable expérience. »

Nous prenons congé sur ces mots.

A.      M.

 

L’écho du Nord 2 décembre 1900

NOUVEAUX DÉTAILS

LES OBSEQUES DES VICTIMES

Ainsi que nous l'avons annoncé hier, les obsèques de la plupart des victimes ont eu lieu vendredi dans les communes respectives qu'elles habitaient, sauf pour les quatre morts de Fenain, dont les sépultures auront lieu aujourd'hui samedi, à deux heures et demie…

Voici le compte rendu des funérailles :

A SOMAIN

La ville en deuil. — Imposante manifestation

C'est la ville de Somain qui a été le plus cruellement éprouvée. Elle compte onze morts, dont les sépultures ont été faites à Somain-Ville et à la Renaissance, hameau de Somain

La cérémonie a eu lieu à dix heures du matin, pour les quatre victimes de Somain-Ville : Eugène Branche, Jules Cotton, François Dulieux et Auguste Fourdraine.

La municipalité de Somain, d’accord avec les habitants, désirait que les obsèques des onze victimes de la commune fussent célébrées en l'église paroissiale. Ils alléguaient l'exiguïté de la chapelle de la Renaissance et pensaient que la réunion des onze cercueils donnerait plus de majesté à la funèbre cérémonie.

Par un sentiment bien facile à comprendre, les habitants de la Renaissance ont voulu rendre personnellement leurs devoirs aux morts dans leur propre église.

Pour permettre aux autorités, aux sociétés diverses et aux habitants d'assister aux deux cérémonies, les obsèques à la Renaissance ont été fixées à trois heures de l'après-midi.

A Somain nous arrivons en même temps que le préfet du Nord, M. Vincent, son chef de cabinet et un nombre considérable de voyageurs, règne la plus grande consternation.

Presque toutes les familles ont été frappées par la catastrophe.

On sait que les mineurs se marient entre eux, qu'ils sont presque tous parents et qu'une mort met quelquefois en deuil cinquante maisons.

On peut donc dire que chaque mineur somainois pleure aujourd’hui un parent ou un ami.

Aussi la foule est-elle considérable. Tout Somain a tenu à assister à la funèbre cérémonie, ainsi que les populations minières voisines, et un grand nombre de personnes venues de tous les points du département et des départements voisins.

La réunion a eu lieu à dix heures moins le quart, rue de Bouchain, au domicile d'Eugène Branche. La plupart des sociétés s'y étaient rendues. Quelques-unes seulement étaient allées attendre le cortège à la demeure des autres victimes

A 10 heures le clergé est arrivé. La levée du corps a été faite, puis le cortège s'est rendu rue de Mazy, où demeuraient les autres victimes.

Le cortège

C'est au retour de la rue Mazy, dans la rue de l'Abbaye, que nous prenons le cortège, dans lequel les quatre corbillards sont maintenant réunis.

La marche est ouverte par le suisse, par des enfants de chœur, suivis de plusieurs bannières au nombre desquelles nous relevons celle de la Chambre syndicale des verriers d'Aniche et environs. Une délégation l’accompagne.

Deux femmes portent ensuite chacune un énorme cierge appelé « ciron ». Il en est de même à tous les enterrements. La chose est particulière à Somain.

Les enfants des écoles du Centre, dirigées par M. Delille ; les élèves de l'école communale de filles ; l'Association amicale des anciens élèves des écoles de garçons et de filles, reconnaissables à leurs insignes violets, précèdent la fanfare municipale de Somain qui exécute des marches funèbres sous la direction de M. Seconda.

On remarque ensuite la société de gymnastique La Patriote de Somain, la société de secours mutuels La Somainoise, la Garde républicaine de Somain, une délégation de l'Ecole des Maîtres-Mineurs de Douai, envoyée par M. Kuss, ingénieur en chef des mines.

Vient ensuite le clergé, suivi des quatre corbillards, placés dans cet ordre : celui d'Eugène Branche, de François Dulieux, d'Auguste Fourdraine et de Jules Cotton.

Chaque cercueil est suivi par les membres de la famille du mort.

Les corbillards sont séparés par les porteurs de couronnes. Nous en avons compté 17 en tout.

La Compagnie d’Aniche en a fait envoyer une à chaque victime. Chacune de ces couronnes porte comme inscription : « Hommage de la Compagnie d’Aniche ».

Le Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais a envoyé une couronne de fleurs artificielles garnie d'un ruban rouge portant ces mots : « Le Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais aux victimes de la catastrophe des fosses Fénelon et St-Louis, Aniche 1900 ».

Une autre couronne de perles et de fleurs porte en travers trois rubans tricolores sur lesquels on peut lire : « Aux victimes du travail, le Syndicat des mineurs du Nord ».

Devant le cercueil de Fourdraine, on porte une couronne de verdure à ruban violet ; cette couronne est offerte à son ancien sociétaire par la Société colombophile « L'Hirondelle somainoise »

Les quatre corbillards sont encadrés par la compagnie de sapeurs-pompiers de Somain, commandée par M. Tréca, capitaine.

La compagnie a été durement éprouvée par la catastrophe : son caporal-tambour a été tué ; son tambour a été blessé.

Un peloton en armes précède, un autre peloton suit ; sur les côtés marchent des pompiers l'arme sous le bras. Deux sapeurs accompagnent chaque corbillard.

L'assistance

L'assistance s'est placée derrière le quatrième corbillard.

M. Pennequin, maire de Somain, conduit le deuil. Il a à sa droite, M. Vincent, préfet du Nord ; à sa gauche, M. Jozon, directeur des mines au ministère des travaux publics, représentant M. Baudin.

Au second rang, nous remarquons M. de Sessevalle, président du conseil d'administration des mines d'Aniche ; Lemay, directeur ; Bernard, Delloye, Wuillemin et plusieurs administrateurs ; Poteau, agent commercial ; Noblet, ingénieur divisionnaire.

Puis viennent : MM. Bourgeois, procureur général, de la Jonckaire, substitut du procureur général; Lorieux, inspecteur général des mines ; Allart, sous-préfet de Douai ; Debéve Cardon et Lamendin, députés ; Hayes, ancien député, conseiller d'arrondissement de Douai; Dransart, conseiller général ; Kuss, ingénieur en chef des mines ; Laurans, procureur de la République de Douai ; Fort, sous-chef de cabinet de M. Baudin ; Bouzigues, inspecteur principal d'Arras ; Reygondaud, représentant de M. Sartiaux et de la Compagnie du Nord ; de Wagnier, capitaine de gendarmerie ; Bottin, juge d'instruction ; Fourment et Mio, adjoints au maire de Somain ; tous les conseillers municipaux de la ville ; les maires des communes voisines et notamment MM Leleu, maire d'Erre, et Brabant, maire de Fenain, etc.

Plusieurs milliers de personnes suivaient. L'église était tendue de draperies noires.

Une portière cachait l'entrée. Devant le chœur était dressé le catafalque surmonté d'un dais à quatre pans noirs et blancs.

Les quatre cercueils, placée sur le catafalque, ont été entourés de cierges allumés.

L'office a été célébré par M. Buzin, curé de Somain, et présidé par M. le vicaire général Meurisse, représentant l'archevêque de Cambrai, au nom duquel il a prononcé une allocution.

Au cimetière. Les discours

Au cimetière, des discours ont été prononcés par MM. Lamendin et un ouvrier mineur, Georges Richez sur la tombe de Branche.

M. Lamendin a parlé au nom du Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais.

« Ils étaient partis heureux et dispos, a-t-il dit des victimes. C’était plaisir de les voir passer, pleins de santé et d'ardeur, adolescents et adultes. Ils s'étaient retrouvés au fond de la mine, remplis de courage pour se mettre à la besogne ; en un instant, toutes ces belles existences se sont évanouies. »

Devant la dalle mortuaire sur laquelle avaient été déposés les trois autres cercueils, de nombreux discours ont été prononcés.

M. Moché, au nom du Syndicat des mineurs du Nord, a fait un discours très violent contre la société capitaliste en général, les mines d'Aniche en particulier.

« Les lois, imposées par le capital n'ont d’autre but que de continuer l'exploitation de l'homme par l'homme. »

Le discours continuait sur ce ton. Les patrons y étaient traités de bourreaux et accusés de payer la vie des mineurs avec de l'argent.

Cette sortie de M. Moché a été jugée très sévèrement par l'assistance, à qui elle a semblé complètement déplacée.

M. Jozon, au nom du ministre des travaux publics, du gouvernement et du pays tout entier, a adressé «un suprême adieu, aux ouvriers qui sont morts au travail dans la journée du 28 novembre ».

M. Vincent a rendu hommage aux victimes au nom du président de la République, du président du Conseil et du département du Nord. Il s'est offert en outre à venir en aide aux familles frappées par la catastrophe.

M. de Sessevalle a parlé au nom de la Compagnie d'Aniche et assuré les ouvriers de sa sollicitude.

La dynamite, a dit M. Cardon, député de la 2ème circonscription de Douai, a fait une œuvre épouvantable.

L'accident s'est produit rapidement, fauchant des vies en une seconde. Il y eut l'instantanéité de l'explosion qui mutile, de l'éboulement qui écrase.

Que de cadavres ! Et dire que toutes les familles n'ont pas même cette consolation suprême d'avoir revu leurs morts. »

M. Dransart, conseiller général s'est exprimé au nom des habitants du canton de Marchiennes :

« La plupart des victimes étaient nos amis d'enfance ; nous les aimions tous, et, disons-le hautement, tous étaient de bons citoyens ; certains d'entre eux étaient des hommes dont les qualités et les vertus étaient absolument remarquables. Ils étaient l'honneur et l'espoir de la démocratie républicaine, qui cherche sa voie par le travail, la justice et l'union de tous les citoyens.

Aussi  ai-je le devoir d'apporter sur leurs tombes le tribut de douloureuse sympathie et les regrets les plus vifs de toute la population du canton de Marchiennes.

Après avoir mêlé nos larmes et notre douleur à celles des parents, il nous reste à saluer ces nobles victimes du travail souterrain comme on salue les braves soldats qui meurent au champ d'honneur. Que leur mort nous rappelle sans cesse le respect et la sympathie que nous devons aux survivants, à ceux qui, demain, retourneront bravement à leur travail, sans souci du danger à courir.

M. Bourgeois, procureur général, au nom de la magistrature, a adressé aux familles des victimes « l'expression de sa profonde et douloureuse sympathie »

M. Pennequin, maire de Somain, a clos ainsi la série des discours :

« Chers enfants de Somain, qui emportez l'estime et l'affection de chacun, reposez en paix sous cette terre où s'est passée une grande partie de votre existence et qui vous a si douloureusement ensevelis une première fois déjà.

Au nom de notre cité toute entière, je vous adresse un suprême adieu. »

La cérémonie a pris fin à une heure.

A LA RENAISSANCE

L'après-midi, la plupart des personnes qui assistaient aux obsèques à Somain-Ville, ont achevé par la Renaissance leur pieux pèlerinage.

Une affluence extraordinaire envahissait les larges allées noires du coron.

La population du hameau habite dans trois rangées de maisons.

C'est devant ces trois bâtiments que le clergé, passant de porte en porte, a, suivant l'expression d'un des orateurs, « cueilli sept cercueils… ».

En vérité, la mort a été trop cruelle, ici.

Le coron, trop petit pour permettre à la foule de circuler librement ; la chapelle, trop petite, où peuvent à peine trouver place les cercueils, l'officiant et quelques parents des morts ; le cimetière, minuscule, où les disparus reposent dans une paix embrumée, où les sept fosses sont ouvertes côte à côte, nécropole nouvelle, soudainement creusée dans l’ancienne, — tout cela est trop petit pour l'immense deuil d'aujourd'hui !

La levée des corps a eu lieu à trois heures et le cortège s'est déroulé dans le même ordre que celui du matin.

Ajoutons toutefois, à la liste des sociétés qui y ont pris part : le syndicat des mineurs de la Renaissance ; le syndicat des mineurs de Somain ; trois cents délégués de la chambre syndicale des verriers d'Aniche. ; les élèves de l'école de la rue de Bouchain, à Somain, la garde Patriotique de Somain, société mixte de tir à l'arme de guerre, une délégation de la compagnie de sapeurs-pompiers d'Aniche, ayant à sa tête MM. Rousselle, capitaine, et Bourigon lieutenant.

La compagnie de sapeurs-pompiers de Somain rendait les mêmes honneurs que le matin.

Les cercueils étaient portés à bras d'hommes dans l'ordre suivant : Léon Copin, Henri Dupriez, Achille Tison, Gustave Tison, Adolphe Brunet, Désiré Pollet et Louis Bertinchamps.

Des couronnes nombreuses, avaient été offertes par la Compagnie des mines d'Aniche, les syndicats des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, les parents et amis du défunt.

Dans ce défilé lugubre des sept bières émergeant au-dessus du flot humain, on remarquait principalement le cercueil de Désiré Pollet, porté par six pompiers de Somain et recouvert d'un uniforme.

L'infortuné mineur faisait partie de la compagnie de sapeurs-pompiers de Somain, ainsi que de la garde patriotique et de la Société colombophile l'Hirondelle somainoise.

Chacune de ces sociétés avait envoyé une couronne.

Une autre couronne de perles blanches et noires était portée par un soldat du 1er régiment d'infanterie. On lisait sur l'exergue l'inscription suivante : « La 1ère compagnie du 1er régiment de ligne au regretté père du soldat Pollet. »

Dans l'assistance, on remarquait, outre les personnes déjà nommées, MM. Vilars, inspecteur du contrôle de la Compagnie du Nord ; Postina, chef de gare de Somain, etc.

La bénédiction a été faite dans la chapelle par M. Delbecque curé de la paroisse, M. le vicaire général Meurisse a prononcé une nouvelle allocution,

Les discours

Devant les fosses où l'on a descendu les cercueils, divers discours ont été prononcés

M. Jazon a renouvelé, au nom du ministre des travaux publics, la sympathie du gouvernement pour les familles des victimes.

M. le Préfet du Nord a prononcé une allocution très émue et qui a produit une profonde impression. .

M. Lemay, directeur de la Compagnie d'Aniche, a fait l'éloge des défunts et trouvé des accents qui sont allés au cœur de l'assistance.

M. Cardon, député de Douai, a dit un émouvant adieu qu'il a terminé par ces mots : « Paix aux cendres de nos morts »

« Nobles victimes, adieu ! »

M. Dransart a prononcé les paroles suivantes :

« Parmi ces hommes d'élite, qu'il nous soit permis de distinguer d'une façon particulière notre inoubliable Louis Bertinchamps, modèle des citoyens et des pères de famille.»

Il fut l'homme droit et juste par excellence.

« Doué d'un cœur et d'une intelligence supérieurs, il avait acquis une instruction peu ordinaire qui le mettait à même de rendre à ses camarades des services quotidiens. »

« Son dévouement pour tous était inépuisable. Il voulait être un véritable père pour les ouvriers. »

« En lui adressant cet hommage particulier, je répondrai aux sentiments intimes de tous ceux qui le connurent. Cet hommage je le lui apporte au nom du canton de Marchiennes, comme je l'apporte à ses camarades qui ont partagé le même sort. »

Enfin M. Beugnet, trésorier du Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais a prononcé un long discours dans lequel il a rappelé les qualités des travailleurs du sous-sol.

Le soir était vite venu. C'est dans une quasi-obscurité que s'est déroulé le cortège, de la chapelle au cimetière.

Arrivé au champ du repos, la nuit était tout à fait tombée. On a dû lire les discours et ensevelir les morts à la lueur des lanternes.

Les sanglots des parents se mêlaient dans la nuit à la voix des orateurs.

La scène était poignante. Elle sera, pour tous les assistants, inoubliable.

A ABSCON

La cérémonie funèbre n'a pas été moins imposante à Abscon.

Comme dans toutes les communes frappées, la population est toujours sous le coup de l'émotion douloureuse causée par la catastrophe.

Tous les visages étaient consternés, vendredi matin, à l'heure où nous nous rendions au domicile des familles Kœssler et Jeux. Le ciel est resté uniformément gris pendant toute la matinée et la température très froide, Cette tristesse du cadre où se déroulait une cérémonie si pénible après les fortes émotions de ces deux jours, étaient bien faites pour rendre les âmes plus mélancoliques et les cœurs plus recueillis encore.

De place en place des groupes de jeunes gens, camarades des deux victimes. Ils sont là silencieux, les yeux gonflés de larmes. Leur douleur ne se répand pas en vaines phrases ; ce n'est que par lambeaux que nous leur arrachons des impressions personnelles sur leurs amis, encore se résument-elles en ceci : « c’étaient de bons camarades, ils travaillaient bien, c'étaient de bons fils. » Kassel avait onze frères et sœurs ; Jeux avait également plusieurs frères, son père était mort il y a un peu plus d'un an et sa sœur dans le courant de cette année.

Avant que commence la cérémonie funèbre,  des ouvriers, des commerçants, des femmes en toilette de deuil se dirigent, qui vers la maison de la ramille Kœssler, à quelques mètres de l'église, ou vers l'habitation de la famille Jeux, dans le faubourg.

Il y a, par conséquent, avant le service funèbre, deux cortèges. Ils se sont réunis près de l'église, un peu avant dix heures.

Le clergé au complet, ayant à sa tête M. Bobde, vicaire général à Cambrai, et le curé d'Abscon, précédait les corps avec les bannières de la paroisse, celles de la Confrérie de Ste-Barbe, de la Cécilienne et de la Société de secours mutuels.

Derrière les cercueils, portés à. bras par des ouvriers mineurs, venaient : MM. Milleteau, sous-préfet de Valenciennes ; Fiévet, maire; Barillon, ingénieur en chef ; Desmet, ingénieur ; Bourlet et Aldebert, adjoints ; Lanthiez, fils du regretté maire, et président de la chorale la Cécilienne ; Goury, chef de gare ; une délégation des pompiers commandée par leur capitaine, M. Pierre Cambray , et le lieutenant, M. François Cambray ; les gendarmes des brigades de Busigny et d'Abscon , détachés actuellement aux mines d'Aniche, sous le commandement du maréchal de logis Virgo ; M. Dollé, receveur des postes ; Ferdinand, chef de la chorale la Cécilienne ; les employés de la Compagnie d'Aniche, des délégations des confréries de Sainte-Barbe, de la Société de secours mutuels, de la Cécilienne, puis une foule nombreuse de parents, d'amis, de camarades.

La douleur des parents est navrante. Il y a dans le cortège beaucoup de femmes. En tout six cents personnes environ.

Parmi les nombreuses couronnes envoyées, on en remarque deux très belles offertes par la Société des mines, et une envoyée par le Syndicat des mineurs et portée par M. Evrard.

L'église, petite mais coquette, est tendue de noir ; un grand catafalque, surmonté d'un dais, a été dressé dans la nef. Derrière le catafalque, est placée la statue de sainte Barbe.

L'église est littéralement comble. Le service est très imposant. On entend de temps en temps de douloureux sanglots.

Au cours de la cérémonie religieuse, M. Lannoy, curé, et le vicaire général sont montés en chaire pour dire au nom de la paroisse et au nom de Mgr Sonnois , archevêque de Cambrai, un adieu ému , sur la terre, aux deux malheureuses victimes.

La sortie de l'église a eu lieu à 11 h. 20 ; le cortège s'est ensuite rendu au cimetière.

Au cimetière

Au cimetière, la foule est très nombreuse autour des tombes, placées à peu près au centre et l'une près de l'autre.

M. Milleteau, sous-préfet, a prononcé une allocution courte, mais qui a vivement impressionné l'assistance.

Nous en extrayons ces passages.

« Avant-hier, la nouvelle nous arrivait terrifiante, arrachant aux poitrines oppressées le cri déchirant qui dans les calamités publiques, rappelle les hommes à la réalité ; leur impose la conscience de leur égalité et de la solidarité qui les lie.

A ces douleurs, a ces larmes, nous ne trouvons pour répondre que notre douleur et que nos larmes.

« Ce n'est pas en étrangers que nous saluons ces deux chefs de famille, naguère tout joyeux et tout fiers d'avoir si largement répandu la vie autour d'eux et envers lesquels après s'être montrée si prodigue, la nature vient d'être si cruellement impitoyable. »

« C'est plus que cela, Messieurs, qu'au lendemain de l'effroyable événement d'Aniche, nous voulons apporter au bord de ces deux fosses.

Avec moi vous êtes venus affirmer ici la solidarité humaine dans le malheur ; avec moi vous avez suivi ces deux cercueils, non point en invités, mais en frères.

Il n'y avait pas deux catégories dans ce cortège, mais une seule famille, comme une seule douleur. »

M. Fiévet, maire, apporte ses consolations aux familles. Il montre quelle estime avait la population pour les deux victimes, bons travailleurs et fils soumis. Cette si nombreuse assistance est un haut témoignage de la douleur de tous. Il tient à associer le Conseil municipal d'Abscon à ses sentiments de sincère sympathie.

M. Paul Dupont fils, administrateur des mines, parlant au nom du conseil d'administration, dit que la profonde émotion des chefs des victimes le contraint à prendre la parole à leur place. Le cœur frémit, dit-il, à la pensée de cette accumulation de deuils, de larmes et de douleurs. Tous les ouvriers ont été frappés « dans l'accomplissement de la loi inéluctable du travail qui s'impose et s'imposera chaque jour davantage.

Et s'il peut être une consolation à une si grande douleur, on la trouvera dans d'affirmation solennelle que l'idée de solidarité entre les travailleurs n'est pas seulement un mot mais un fait :

« Il est certain, en effet que c'est un spectacle réconfortant que celui de ces cœurs battant à l'unisson dans une commune épreuve, que celui de cet ingénieur qui, à toute heure, partage les dangers de la vie du mineur ; qui, inconscient de lui-même, pas une minute n'hésite pour voler au secours de ses ouvriers et mettre à leur service son dévouement et sa science dans l'espoir hélas inutile que celui de cet ouvrier qui, à peine remis des malaises d'un commencement d'asphyxie, en laisse à peine disparaître les symptômes pour redescendre au fond, espérant être utile encore à un camarade. »

La Compagnie, dit M. Dupont en terminant, a le devoir d'assister ceux qui viennent d'être privés de leurs soutiens, elle ne faillira pas à son devoir.

M. Evrard parle enfin au nom du Syndicat des mineurs. Il ne vient pas prononcer un discours politique sur des tombes, mais adjurer seulement les camarades d'Abscon de s'unir, de s'organiser fortement, non pour prendre les Compagnies au collet, mais pour discuter avec elles d'égal à égal.

L'accident, ajoute-t-il, aurait pu être sinon évité, du moins atténué. On ne doit pas permettre une dynamitière sur le passage de tous les ouvriers. C'est une grave imprudence de la Compagnie.

M. Basly, dit M. Evrard, va porter la question à la tribune aujourd'hui même. M. Evrard ajoute qu'on s'est trompé quand on a dit que si on n'avait pas fait une longue coupe la catastrophe eût été plus terrible. M.Evrard soutient qu'au contraire si l'on n'avait pas été en quinzaine de Sainte-Barbe, la plupart des mineurs atteints auraient été remontés avant l'explosion.

Ce discours n'a pas paru beaucoup porter sur les ouvriers présents ni sur la foule.

M. César Sirot, député, a envoyé à M. Fiévet, maire d'Abscon, le télégramme de condoléances suivant :

J'apprends avec la plus grande émotion la catastrophe d'Aniche qui met en deuil plusieurs familles de votre commune et de celle de Mastaing. Je vous adresse l'expression de mes sentiments attristés et je vous prie de les transmettre aux parents de ces laborieux, morts au champ d'honneur. »

M. le capitaine Vincent de Vaguié, commandant la gendarmerie de l'arrondissement, a également adressé ses condoléances à M. le maire d'Abscon.

A MASTAING

Comme toutes les communes voisines d'Aniche, Mastaing est en deuil. Dans cette petite localité, la plupart des familles sont liées entre elles par des liens de parenté, ou tout au moins d'amitié ou de camaraderie. Lorsque la mort frappe, ce n'est pas une famille qui prend le deuil, c'est la population tout entière.

Aussi les funérailles du malheureux François Carlier qui ont eu lieu à Mastaing vendredi, à dix heures du matin, ont-elles donné lieu à une manifestation de sympathie à laquelle s'est associée toute la commune.

François Carlier qui était marié et père de deux enfants, a succombé, comme nous l'avons dit, à une fracture du crâne et des deux membres inférieurs. Il était âgé de trente ans.

De même qu'à Abscon et à Somain, de nombreuses couronnes offertes par la Compagnie des mines d'Aniche, par les Syndicats des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, par la famille, sont portées à la suite du cercueil.

Dans le cortège, nous remarquons M. Letailleur, secrétaire général, représentant le président de la République et le gouvernement ; M. Herscher, ingénieur des mines délégué de M. le Ministre des travaux publics ; MM. Bonnel, administrateur; Dupont, chef du contentieux, et Tétard ingénieur de la Compagnie des mines d'Aniche ; Coquelle, maire ; Paul Trinquet adjoint, et les conseillers municipaux, etc., etc.

Mgr Sonnois, archevêque de Cambrai, s'est fait représenter par M. Cartier, vicaire général, qui a prononcé une allocution à l'église.

Au cimetière, MM. Letailleur, au nom du gouvernement ; Herscher, au nom du ministre des travaux publics ; Brunel, au nom de la Compagnie des mines d'Aniche, ont pris successivement la parole. Ils ont adressé au défunt le suprême adieu et à sa famille l'expression de leur douloureuse sympathie.

La cérémonie a pris fin vers midi.

La catastrophe devant la chambre

Une question de M. Basly.

Réponse du ministre.

Au début de la séance de la Chambre de vendredi matin, présidée par M. Mesureur, M. Basly adresse une question au ministre des travaux publics au sujet de la catastrophe d'Aniche. A l’heure présente, dit-il, on compte 18 morts et 28 blessés, dont plusieurs probablement ne survivront pas à leurs blessures. Il faut que les arrêtés autorisant des dépôts de dynamite au fond des mines soient rapportés. Il faut aussi que les culpabilités encourues soient établies.

Les dépôts de dynamite dans les mines sont d'ailleurs récents. L'orateur, ancien mineur, s'est servi de dynamite à une époque ou des précautions minutieuses étaient imposées. On a cru, à la suite d'expériences faites il y a quatre ans, que des dépôts au fond pouvaient être autorisés à la seule condition d'être suffisamment isolés et entourés d'un matelas d'air suffisant. Mais, à Aniche, le dépôt se trouvait à trente mètres seulement d'une exploitation et tout près d'une chambre servant de vestiaire aux ouvriers, et cette imprudence avait été commise sous le contrôle trop bienveillant des ingénieurs de l'État.

De là, deux ordres de responsabilité, celle de la direction de la mine, qui n'a pas suivi avec scrupule les règlements, celle de l'administration, dont la surveillance a été insuffisante.

M. Baudin, ministre des travaux publics, rappelle dans quelles circonstances la douloureuse catastrophe d'Aniche s'est produite, un peu après cinq heures du matin, au moment de la distribution des cartouches de dynamite aux ouvriers. L'enquête n'a pas fait encore connaître ces circonstances dans leur détail. Ce que l'on sait d'une façon générale, c'est que l'humidité a pour effet de faire transsuder la nitro-glycérine dont on connaît tout le danger. C'est pourquoi il n'existe pas règlementairement de dépôt au fond de la mine. C'est à la surface qu'il doit être.

A la vérité, des expériences ont été faites relativement à l'installation de dépôts au fond, en vue de ne pas laisser concentrer 100 kilos de dynamite à la surface dans les mauvaises conditions climatiques du Nord. Ces expériences, menées par la commission des explosifs du ministère de la guerre, ont été faites à Blanzy. Les résultats n'en ont pas paru concluants. Le régime ancien a été maintenu, et rien n'autorise les Compagnies minières à établir des dépôts au fond. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

 

La distribution des cartouches à la surface a l'avantage de disséminer entre tous les ouvriers les risques d'accident. Mais de menus accidents, en se multipliant, auraient pu, depuis vingt-cinq ans qu'on se sert de dynamite, se chiffrer par un total regrettable. On comprend donc la distribution au fond, à la condition de la soumettre, comme les règlements spéciaux le prescrivent, à de minutieuses précautions.

Existait-il, à Aniche, un dépôt au fond ? Ou bien les ouvriers se sont-ils précipités en trop grand nombre ensemble vers le distributeur. C'est ce que l'enquête judiciaire ne tardera pas à établir, et le ministre des travaux publics ne veut arrêter aucune résolution avant que les faits soient parfaitement connus. En temps opportun, viendront les sanctions nécessaires.

Dès à présent, il paraît démontré que les préfets, auxquels est laissé le soin de réglementer la distribution, devront recevoir des instructions précises et que la distribution devra être faite deux fois par jour.

En terminant, le ministre adresse aux familles des victimes ; l'expression de la sympathie du gouvernement. (Applaudissements.)

Basly demande que les capsules des détonateurs ne soient remises aux ouvriers, en aucun cas, avant le moment de l'emploi des cartouches.

A Lens, un employé spécial est commis pour faire éclater les cartouches. Il faut généraliser cette mesure. Or, à Aniche, les capsules avaient été livrées à la surface.

Le président fait connaître que MM.Charles Gras, Sembat et quelques autres députés avaient déposé la motion suivante : « La Chambre décide que deux de ses membres assisteront aux funérailles des mineurs d'Aniche. » Mais les funérailles ont eu lieu ce matin, fait-on remarquer, et M. Ch. Gras retire sa motion.

Le grand écho du nord 3/12/1900

L’explosion des mines d’Aniche

Deux nouveaux morts

Nous avons malheureusement à enregistrer les, décès de deux des blessés de la Catastrophe d'Aniche.

Ce sont les mineurs Arthur Poulain, de Fenain, décédé vendredi à onze heures du soir, sans avoir repris connaissance depuis l'accident, et Florimond Mourra, de la Renaissance, mort à neuf heures, samedi

Les deux malheureux n'ont succombé à leurs terribles blessures qu'après une agonie de quatre jours.

Les efforts des médecins tendaient surtout à adoucir leurs derniers moments, car tout espoir de les sauver était vain.

Arthur Poulain sera enterré à Fenain, lundi prochain, à trois heures de l'après-midi.

Nous ignorons encore le jour et l'heure des obsèques de Florimond Mourra.

Ces deux nouveaux décès portent à vingt le chiffre des morts.

L’état des autres blessés est, nous assure-t-on, assez satisfaisant.

Les obsèques des victimes à Fenain

Les obsèques des quatre victimes de Fenain ont eu lieu samedi à deux heures de l'après-midi.

Cette heure tardive a été choisie dans le but de permettre à tous les mineurs de Fenain d'assister aux obsèques de, leurs camarades. La plupart d'entre eux, en effet, travaillent à la fosse Casimir-Périer de la Compagnie des mines d'Anzin, et ne remontent au jour que vers deux heures de l'après-midi, en raison des longues coupes de la quinzaine Sainte-Barbe.

La commune de Fenain vient d'être frappée, comme nous le disons plus haut, d'un nouveau deuil. Le décès d'Arthur Poulain, connu de toute l'assistance, ajoutait encore à la tristesse générale.

Les demeures des quatre victimes, Jules Bouriez, Adolphe Dannel, François Degorre, Camille Dumortier, étant situées sur des points différents, assez éloignés les uns des autres, la municipalité avait décidé de réunir les quatre cercueils sur la place de la Mairie, pour faciliter l'organisation d'un cortège unique.

La porte de la Mairie est cachée sous une tenture de velours noir. Au-dessus, un drapeau en berne, cravaté de deuil.

Quatre petites estrades ont été dressées pour recevoir les cercueils. Deux d'entre elles sont drapées de bleu, les deux autres de noir. Sur l'étoffe larmé d'argent se détachent les initiales des défunts.

La compagnie des sapeurs-pompiers, rangée au fond de la place, sous le commandement de son lieutenant, M. Ildefonse Brabant; rend les honneurs au passage de chaque cercueil

A trois heures, le cortège s'ébranle pour se rendre à l'église. En tête marchent les élèves de l'école de Fenain, conduits par le directeur de l'école, M. Camus, et ses adjoints.

Viennent ensuite les bannières de la Société de secours mutuels d'Abscon, de la Société d'archers de Fenain, du Syndicat des mineurs de Fenain, de la Musique municipale de Fenain.

La musique, suit et joue une marche funèbre, sous la direction de son chef, M. Bréda. Cette Société a été durement éprouvée par la catastrophe : elle perd en Camille Dumortier son secrétaire et l'un de ses meilleurs instrumentistes.

De nombreuses couronnes sont portées devant chaque cercueil, offertes par la compagnie des mines d'Aniche, par le Syndicat des mineurs du Nord, par celui des mineurs du Pas-de-Calais, par les anciens élèves de l'école de Fenain, par les parents et les amis des défunts.

Le clergé suit, précédant les quatre cercueils, placés dans l'ordre suivant Adolphe Dannel, Jules Bouriez, Toussaint Degorre, Camille Dumortier.

Sur ce dernier sont déposés l'instrument de musique et les insignes de musicien du défunt.

Les pompiers, l'arme basse, font la haie de chaque côté des cercueils.

Chacun de ceux-ci  est suivi des membres de la famille du mort.

L 'assistance

L'assistance s'est placée derrière le quatrième cercueil.

Au premier rang, nous remarquons :M. Allart, sous-préfet de Douai, représentant le gouvernement; M. Jozon, directeur des mines au ministère des travaux publics, représentant M. Baudin; M. Clagne, directeur du personnel et de la comptabilité au même ministère, et M. Brabant, maire de Fenain.

Près d'eux se trouvent MM. Sessevalle, président du conseil d'administration des mines d'Aniche ; Lemay, directeur ; Poteau, agent commercial ; Barillon, ingénieur en chef ; Dupont ; Noblet, ingénieur divisionnaire ; Jolly, et Chiffert, ingénieurs.

MM. Debève, Cardon et Lamendin, députés; Kuss, ingénieur en chef des mines ;Favril ingénieur divisionnaire aux mines d'Anzin ; Fort, sous-chef de Cabinet de M. Baudin ; de Wagnier, capitaine de gendarmerie ; Postina, chef de gare de Somain ; Laurent, capitaine des pompiers ; les deux adjoints MM. Brabant et Delcambre, et tous les conseillers municipaux de la ville; les maires des communes voisines et notamment MM, Leleu, maire de Erre, et Pennequin, maire de Somain. Plusieurs centaines de personnes suivent.

La grande porte de l'église est tendue de deuil. Devant l'autel, un catafalque est dressé pour les quatre cercueils. Une rangée de cierges allumés l'entoure. L'office est célébré par M. l'abbé Truy, curé de la paroisse, et présidé par M. le vicaire général Carlier, délégué de Mgr Sonnois, archevêque de Cambrai.

Avant l'offrande, M. Carlier a prononcé une allocution émue, dans laquelle il a rappelé les circonstances de la catastrophe et a assuré les familles des victimes de la sympathie de tout le pays.

Au cimetière. — Les discours

De nombreux discours ont été prononcés au cimetière.

M. Jozon a parlé le premier, au nom du ministère des travaux publics.

« Si les familles des victimes, a-t-il dit, seront à l'abri de la gêne et des embarras matériels, il est une chose que la sollicitude du gouvernement et de la Compagnie ne pourra leur rendre, c'est la présence de leurs chers morts.

Il est nécessaire que dans toutes les administrations, dans toutes les sociétés, on redouble d'efforts, on procède à une surveillance rigoureuse pour éviter le retour de pareilles catastrophes.

Au nom du gouvernement, au nom du pays tout entier, j'adresse un adieu ému aux quatre victimes de Fenain.

M. Allart, sous-préfet, prend la parole en ces termes

Je viens simplement ici au nom de M. le Président de la République qui, hier encore, adressait à M. le Préfet du Nord la somme de 1.000 francs pour être distribuée aux familles des victimes ; je viens au nom de M. le Président du Conseil, adresser un dernier adieu à Bouriez,  Dannel,  Degorre et Dumortier, Morts au champ du travail …

En présence d’un si grand malheur, soyons pleins de pitié, mais que cette pitié même ne soit pas stérile. Qu'elle nous pousse à rechercher les moyens de prévenir de si terribles accidents, nous inspire de plus en plus ces sentiments de solidarité grâce auxquels tous ici, malgré bien des vicissitudes et des divergences, mais avec une égale bonne foi, nous recherchons, suivant une ancienne formule, l'intérêt du plus grand nombre... C'est le meilleur hommage que nous puissions rendre aux malheureuses victimes dont les cercueils sont devant nous.

M. Lemay, directeur des mines d'Aniche, prononce un discours dont nous extrayons le passage suivant :

« Tout le monde a tenu à s'associer à notre deuil si cruel, à témoigner aux malheureuses familles des victimes la plus respectueuse estime.

« Nous, en avons la preuve dans la présence de M.M. les délégués au gouvernement, de MM. les représentants des autorités civiles et religieuses, Je renouvelle à tous l’expression de notre profonde reconnaissance.

Enfin cette touchante et réconfortants solidarité s'est affirmée ici même, dans la visite du vénéré président de notre conseil d'administration, qui, dès la nouvelle de l'accident, malgré son grand âge et son état de santé, a tenu à prodiguer à tous ses consolations en même temps que le témoignage de la sollicitude de la Compagnie d'Aniche.

Cette bienveillance continuera à s'exercer sur les familles des infortunés défunts, qu'elles en reçoivent ici l'assurance formelle »

M. Gardon, député, adresse son hommage à chacune des victimes, à François Degorre, entré il y a déjà 25 ans an service de la Compagnie d'Aniche, et qui laisse trois orphelins.

A Adolphe Dannel, dont les quatre frères travaillent aussi à la mine, tué par l'explosion dans la cage de descente, entre deux des siens, par bonheur épargnés

A Camille Dumortier, chef irréprochable d'une famille sur laquelle, depuis un an, la mort s'acharne. impitoyablement ;

A Jules Bourriez, enfin, revenu récemment du service militaire près de sa vieille mère, qu'il entourait jalousement de prévenances et de tendres soins.

« L'armée me l'a rendu, mais la mine me l'a pris pour toujours, » disait, mercredi, la pauvre femme dans sa douleur navrante.

Il termine par ces mots :

« Au nom de la France entière, la Chambre a adressé, aux ouvriers mineurs de la Compagnie d'Aniche, à l'occasion du malheur qui les frappe l'expression de sa plus profonde sympathie.

«  En ma qualité de député de la deuxième circonscription du Douaisis remercie mes collègues de cette manifestation dont nous garderons le précieux souvenir ! »

MM. Brabant, maire de Fenain; Lamendin, député ; Goniaux, secrétaire du Syndicat des mineurs ; Tranchant, mineur ; Delannoy, délégué de la fosse Casimir-Périer ; Bécart, délégué de la fosse Saint-Louis prennent à leur tour la parole, en termes émus.

Le manque de place ne nous permet pas de les reproduire ici.

La nuit est venue rapidement et les derniers orateurs lisent leurs feuillets à la lueur d'une lanterne. Le tableau est lugubre.

Il est cinq heures lorsque l'assistance évacue le champ où reposent les quatre victimes

L'ENQUÊTE

Le parquet à la fosse Saint-Louis.  L'enquête administrative.

La cause de la catastrophe reste toujours entourée du même mystère, et malgré tous les renseignements dont ii s'est entouré, M. Bottin, juge d'instruction, n'a pu réussir à le percer.

A dix heures, samedi matin, M. Bottin, accompagné de son greffier, M. Saudemont, arrivait au siège Saint-Louis, où il s'est mis en rapport avec M. le capitaine de gendarmerie de Wagnier.

Tous les trois sont descendus à la fosse et ont procédé à un minutieux examen de la chambre de l'accrochage, de la bowette et de la dynamitière ou plutôt du trou béant qui en marque la place. Un état des lieux a été dressé.

Remonté au jour, le juge d'instruction a entendu les dépositions des ouvriers qui se trouvaient dans les environs de la dynamitière au moment de l'accident, et notamment du mineur Lemaire et du hercheur qui a vu le dernier, l'infortuné Bertinchamps.

Les témoins ont été pris à leurs domiciles respectifs et conduits près de M. Bottin par des voitures de la Compagnie.

Leurs dépositions n'ont apporté à l'enquête aucun élément important. Ces témoins ne peuvent en effet fournir que de vagues indications sur les circonstances et non sur les causes de l'accident.

L'enquête administrative à laquelle sera subordonnée l'enquête judiciaire — car c'est d'elle que viendront les principaux éléments — est conduite par M. Herscher, contrôleur des mines, et par M. Barillon, ingénieur divisionnaire de la Compagnie, sous la direction de M. Kuss, ingénieur en chef des mines. Samedi, les deux enquêtes ont été menées de front.

Enfin, la sous-préfecture a ouvert une autre enquête, pour connaître les situations exactes des familles des victimes, afin de, distribuer les secours proportionnellement aux besoins de chacun.

Le travail a été repris samedi matin à la fosse l'Archevêque. Les ouvriers des fosses Saint-Louis et Fénelon ne sont pas encore redescendus à la mine.

L’écho du nord 4/12/1900

Mineurs récompensés

Nous avons signalé la belle conduite après la catastrophe, du mineur Jules Lécu, qui, malgré les blessures qu'il avait reçues, resta courageusement au fond de la mine, où il prodigua ses soins aux blessés ; jusque dans l’après-midi. Son père, Toussaint Lécu, qui travaillait également à la fosse Saint-Louis, se fit aussi remarquer par son dévouement, et travailla toute la journée au déblaiement.

Déjà, M. Max Mulet, président de la Société générale pour le développement du commerce et de l'industrie, boulevard St-Germain, à Paris, informé par l'Echo du Nord de la belle conduite du jeune mineur, lui avait fait parvenir un billet de 100 francs.

Nous apprenons aujourd'hui que le conseil d'administration des mines d’Aniche, pour reconnaitre l'héroïque dévouement de Toussaint Lécu et de son fils, leur annonce la remise d’'une somme de mille francs et de deux médailles commémoratives.

Obsèques du mineur Poulain

Lundi, à 3 heures de l'après-midi ont eu lieu à Fenain, les obsèques du mineur Arthur Poulain qui a, on le sait succombé aux affreuses blessures qu'il a reçues dans la catastrophe de la fosse Fénelon.

En tête du cortège marchait, jouant des airs funèbres, la Musique municipale ; puis suivaient dans l'ordre : le clergé, le cercueil porté par les mineurs et entouré de sapeurs-pompiers, la famille du défunt, M. Lemay, ingénieur en chef des mines d'Aniche ; M. le  docteur Dransart, conseiller général et les autorités de la commune, suivies de toute la population de Fenain.

Après le service funèbre, le cortège s'est acheminé vers le cimetière, où un discours a été prononcé par M. le docteur Dransart.

M. Lemay a salué ensuite en termes très éloquents et très émus la dépouille d'Arthur Poulain ; M. Brabant, maire de Fenain, a parlé au nom des habitants de la commune ; un mineur au nom de ses camarades de la fosse Casimir-Périer; puis l'assistance s'est dispersée sur un discours d'un sapeur-pompier au nom de sa compagnie.

Les blessés

Nous apprenons que l'état des autres blessés de Fenain, Descarpentries et Gion, est aussi satisfaisant que possible.

L’ETAT DES BLESSES

A Fenain.               Un délire de trois jours. — Une famille durement éprouvée

Nous avons consacré la journée de vendredi à des visites aux blessés, dans les communes de Fenain, de Somain et de Mastaing. Partout, nous avons rencontré, près des moribonds, les mêmes visages attristés, mais résignés, le même cortège de parents et d'amis silencieux, mais émus jusqu'à l’angoisse. Et de ce lugubre voyage, accompli au son du glas funèbre qui tinte en chaque clocher, nous avons rapporté une impression de profonde tristesse.

C'est à Fenain que nous descendons, à une heure encore matinale nous nous informons immédiatement de l'état d'Arthur Poulain, ce blessé dont plusieurs de nos confrères annonçaient hier la mort.

Arthur Poulain n'est pas mort, nous dit-on, mais il est très mal. Allez le voir : vous devinerez facilement sa maison aux groupes nombreux qui stationnent dans les environs.

Et en effet, des voisins entrent et sortent dans un défilé presque ininterrompu.

Le blessé, placé dans l'arrière-boutique, s'agite continuellement sur sa couche. Tout le côté gauche et la partie supérieure de la figure sont cachés sous des bandages. L'œil droit apparaît seul, hagard, sans cils, sans sourcils.

Les deux mains, emprisonnées dans de la ouate, se dressent et s'agitent dans un mouvement uniforme et incessant.

Arthur Poulain a reçu de graves brulures sur tout le corps. Depuis qu'on l'a ramené à sa demeure, il n'a prononcé que des paroles inconscientes. Son délire dure depuis trois jours.

Le mercredi, il a parlé, à différentes reprises, de la mine, mais de façon incohérente. La soudaineté et la violence de la commotion ont été telles que le malheureux n'a pas eu le temps de comprendre comment ni par quoi il était frappé.

C'est du moins l'impression qui se dégage de son regard effaré.

De sa bouche s'exhale un gémissement continu, inarticulé.

Au moment où nous sommes près de lui, sa tante, qui vient d'entrer, s'approche

— Tu ne reconnais pas ta tante ?

Il fixe un instant sur elle son œil atone, et continue de gémir.

Le docteur vient de sortir. Il n'a pu se prononcer.

Dans la même rue, quelques maisons plus loin, un autre blessé, Joseph Descarpentries, qui a la jambe fracturée en trois endroits, le coude écrasé, le visage brûlé, repose plus calme. La nuit a été très agitée. Cependant le médecin augure bien de la guérison.

Un prêtre est là et veille le blessé, avec plusieurs voisins.

Nombreux sont encore les autres blessés dans la commune de Fenain. Il faut citer notamment les frères Dannel, qui travaillaient au nombre de cinq à la fosse Saint-Louis.

L'aîné, Adolphe, a été comme on le sait, tué dans la cage. Ses trois frères, Louis, Palmyre et Charles, ont été blessés.

Le plus jeune enfin, Alexandre, dix-huit ans, arrivait sur le carreau de la fosse au moment où l'on remontait dans la cage son frère aîné.

Affolé, il courut jusqu'à Fenain, où il apporta le premier la fatale nouvelle.

Mon frère est mort asphyxié dans la cage, disait-il.

La chose semblait tellement invraisemblable qu'on n'y voulait pas croire. Un quart d'heure plus tard, le doute, hélas ! n'était plus possible.

Sont-ce là les seuls blessés du village ? demandons-nous à celui qui nous fournit ces renseignements.

Non ; il y a encore J.-B. Jion, qui est brûlé à la tête, et dont l'état est assez grave ; François Flipart, brulé à la poitrine, qui est le beau-frère, de Jules Bouriez, l'un des tués, Achille Goguillon, brûlé à la figure. Le premier est père de quatre enfants, le second de deux. Le troisième est célibataire. Ah ! tout cela est bien, bien triste !

A la Renaissance. — Pendant les obsèques

Tous les corons sont vides, à l'exception de ceux où l'on veille les blessés, car c'est l'heure des obsèques et tout le monde est à l'église.

Nous nous faisons indiquer la demeure du plus grièvement atteint, Florimond Mourra.

Il a reçu de très graves brûlures au ventre et la vessie est atteinte, parait-il. De plus, il a la jambe gauche fracturé en trois endroits.

Il dort depuis trois heures. Autour du lit, sont sa femme et quatre enfants, les aînés. Le plus jeune, âgé  de 7 ans, est atteint de la rougeole. C'est une fatalité !

Mourra faisait partie de la coupe à terre et se disposait à remonter lorsqu'il a été frappé.

Dans le coron parallèle nous entrons chez Georges Demory, qui fut projeté violemment contre les parois de la cage. Nous demandons de ses nouvelles :

« Il dort en ce moment, » nous répond-on à voix basse.

Mais le blessé, réveillé, a entendu, et nous prie d'avancer. C'est le premier auquel nous puissions adresser la parole.

Il ne peut cependant nous renseigner sur les circonstances de l'accident. Il allait commencer sa journée et s'apprêtait à descendre de la cage, au moment de l'explosion il ne sait rien de plus.

Un mineur qui a vu la mort de près, c'est le jeune Emile Bertinchamps, le neveu du distributeur de dynamite. Il a subi un commencement d'asphyxie et n'est pas encore remis de son émoi.

Sa santé est maintenant rétablie à peu près complètement.

A Mastaing

Des bruits alarmants couraient dans toute la région sur Henri Mazingue, de Mastaing. A plusieurs reprises, on nous a affirmé qu'il avait succombé à ses blessures. Il n'en est rien.

Nous avons vu M. le docteur Dubuisson qui venait de lui faire visite :

« Il va bien, nous a-t-il dit, et nous parviendrons à le sauver, M. le Dr Coppin, qui demeure à proximité, va le voir tous les jours et lui donne tous les soins nécessaires. »

Ainsi, le chiffre des morts, que l'on portait jeudi soir à 21, est exactement de 18. Espérons qu'il n'augmentera plus.

Mineur récompensé

M. Max Beulet, président de la Société générale pour le développement du commerce et de l'industrie, boulevard Saint-Germain, à Paris, ayant lu dans l'Echo du Nord le récit de la belle conduite de Joseph Lécu, après la catastrophe, a découpé l'article du journal, l'a envoyé avec sa carte et un billet de 100 francs à M. Scelles, maire d’Aniche, le priant de remettre le tout au brave mineur.

A. Valenciennes

M. Milleteau sous-préfet, s'est rendu à Abscon et Mastaing, où il a visité les familles des ouvriers de ces communes qui ont trouvé la mort à Aniche. Il leur a exprimé les regrets de l'administration et apporté quelque consolation.

L’écho du nord 5/12/1900

Une nouvelle victime

Nous avons, hélas ! à ajouter un nouveau nom à la liste des victimes de la catastrophe.

Le mineur Joseph Descarpentries, 32 ans, de Fenain qui avait eu la cuisse fracturée et le corps grièvement brûlé en plusieurs endroits, a succombé mardi à 4 heures du matin. Son état s'était sensiblement amélioré dans la journée de lundi, la guérison semblait certaine; puis, vers le soir la fièvre est venue, puis le délire et enfin la mort !

Descarpentries laisse une veuve sans enfants. Son décès porte à vingt et un le nombre des victimes.

Service religieux

Un service a été célébré mardi matin à l'église pour le repos de l'âme des mineurs qui ont trouvé la mort dans la catastrophe de la fosse Fénelon. Dans l'assistance, les familles des victimes, tout le haut personnel des mines d'Aniche, les sociétés de la région et un grand nombre de verriers et de mineurs.

La cérémonie a pris fin à onze heures et demie.

 

L’écho du nord 6/12/1900

 

Les obsèques de Florimond Mourra

Lundi matin, à dix heures, ont eu lieu au hameau de la Renaissance, au milieu d'une grande affluence ? les obsèques de Florimond Mourra, qui a succombé aux blessures qu'il a reçues dans la catastrophe.

Après un service à la chapelle de la Renaissance, le corps a été transporté à bras d’hommes au cimetière, où plusieurs discours ont été prononcés, notamment par MM. Lemay, directeur des mines. Le docteur Dransart, conseiller général, et Pennequin, maire de Somain.

La foule s'est retirée très impressionnée.

 

L’écho du nord 9/12/1900

Le rapport du délégué mineur

Le Réveil du Nord a publié vendredi matin te rapport de M. Eugène Bécart, délégué mineur à la fosse Saint-Louis, relativement à l'explosion des mines d’Aniche

Nous reproduisons ci-dessous la fin de ce rapport. Elle confirme entièrement les renseignements que nous avons recueillis nous-mêmes au cours de notre enquête :

Voici les Indices que j'ai pu recueillir d'après le récit de deux témoins ; ceux-ci ont passé à la poudrière deux ou trois minutes avant ta catastrophe.    .

Louis Bertinchamps était occupé à écrire, sur un petit carnet avec sa lampe de sûreté à côté de lui.

Ces deux témoins retournaient vers l'accrochage, après leur travail terminé ; leurs effets étaient déposés à une dizaine de mètres dans la voie du sondage du couchant. A peine leurs effets étaient-ils remis que la détonation se produisit.

Je ne puis vous donner de détails plus précis, ni sur la nature de la catastrophe, ni sur le nombre de kilos de grisoutine et dynamite qu'il y avait au dépôt.                        .

La poudrière se trouvant à proximité du passage des ouvriers et de presque tout le personnel, c'est ce qui a fait qu'il y a eu tant de victimes, de même parce que c'était l'heure de la descente et de remonte de la coupe à terre.

J'ai interrogé quelques-uns de ceux qui se trouvaient dans la cage au moment de la catastrophe. Ils m'ont déclaré qu'ils avaient aperçu comme une flamme passer à côté d'eux. Ce qui les a garantis, c'est le dessous de la cage et le sang-froid du mécanicien qui a remonté la cage au lieu de la déposer sur les taquets.

Dans cette cage, il est un ouvrier qui est arrivé an jour mourant (asphyxié), Adolphe Danel, de Fenain.

Je conclus que je ne peux absolument pas me prononcer sur la nature de la catastrophe.

Les obsèques du mineur Descarpentries

Les obsèques du mineur Descarpentries, l'une des victimes de l'explosion d’Aniche ont eu lieu à Fenain, sous une pluie battante, jeudi, à 3 heures de l’après-midi.

Toute la population de Fenain, où le défunt était très estimé ; avait tenu, malgré le mauvais temps, à assister à cette cérémonie.

On remarquait dans l'assistance outre les sociétés communales au grand complet, MM. Lemay, ingénieur général des mines d'Aniche ; Allard sous-préfet de Douai ; le docteur Dransart, conseiller général, Pennequin maire de Somain, et toutes les autorités communales et municipales.

A la tombée de la nuit le cortège s'est dirigé vers le cimetière, MM. Lemay, Dransart et Allard y ont successivement pris la parole ; puis un ouvrier mineur s'est avancé, sur le bord de la tombe et a dit adieu, en des termes d'une touchante simplicité, à son camarade, « mort au champ d'honneur du travail ».

 

 

 

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