DIVION - LA CLARENCE (20 juin 1954)

Dimanche 20 juin. C'est la ducasse. Dans les familles, et particulièrement dans les familles minières, on prépare la fête. Chacun profite de ce jour pour inviter la parenté demeurant au loin. C'est l'occasion de réunir la famille ; c'est l'occasion de se réjouir. L'après-midi et dans la soirée, on se rendra à la ducasse : manège pour les enfants, tir à la carabine, tir à la fléchette sur des barres de nougat ; on tentera sa chance au jeu, à la loterie. Le samedi, c'est déjà la fête ; on va au bal qui se termine à une heure très avancée de la nuit, car le lendemain on peut se reposer.

Sur terre, on danse ... Dans. les entrailles de la terre, à la fosse de La Clarence, on travaille.

Le poste de nuit touche à sa fin. Soudain, à 4 h 15, une explosion ravage la taille Rosalie à l'étage 875.

« L'alerte est immédiatement donnée. Le Directeur du Siège, M. LAURENT, descend avec une première équipe de secours, activement constituée d'un chef-porion, de deux porions, du géomètre et de deux ouvriers sauveteurs dont l'un vient juste­ment de remonter de l'étage tragique. Successivement, descendent une deuxième équipe de secours de la fosse, l'équipe de sauvetage du 6 de Bruay, l'équipe du poste central de secours de Lens. Le service médical du groupe, en place dès la première heure, peut recevoir le premier blessé vers 7 heures, lui donner les premiers soins et l'acheminer vers l'hôpital. Le dernier des 6 blessés est remonté ainsi que les 4 morts, peu après 8 heures ». (M. VERRET, extrait du discours prononcé lors des funérailles).

Averti de la catastrophe, l'abbé Vincent, curé de La Clarence, se rend aussitôt à la fosse. Un à un, il voit les victimes remontées ... Kowalczyk qui lui demande s'il s'en sortira ... Quillot qu'il avait rencontré à Pernes et qui lui a souri ... Bakalasz, mort ... Watel, un de ses anciens paroissiens de Pressy avec qui il était allé à Lourdes deux ans auparavant, très agité ... Puis Lucas et Vandewelde ... Baltrukowicz, souriant dans la mort, Matuszak, Drouvin : trois cadavres, ensevelis à l'infirmerie, en présence de chaque famille ...

Deux familles attendent encore aux grilles, celles de Pauwels et de Brood, son jardinier. Sont-ils pris dans l'éboule­ment, vivent-ils encore ? L'abbé Vincent invite les épouses et leurs filles à regagner leur maison. Un premier corps est dégagé en partie vers 8 h 15, celui de Pauwels, mort. Mardi matin, plus de 50 heures après la catastrophe, le corps de Brood est retrouvé. L'infime espérance fait place au désespoir.

Jeudi 24 - Obsèques des victimes.

Les syndicats C.G.T., C.F.T.C. et F.O. sont intervenus pour que la journée des funérailles, non ouvrée, soit payée sur les bases du salaire garanti. La direction des Houillères du Groupe accepte que la journée de chômage du lundi 28 juin, soit avancée au 24. Ce jour-là, une minute de silence sera observée dans tous les puits et services des Houillères.

A l'occasion des funérailles, sept discours sont prononcés M. Roland Cressent, maire de Divion ; M. Marceau Viseur, délégué mineur de La Clarence ; M. Joseph Sauty, au nom de la C.F.T.C. ; M. Charles Morel, au nom de F.O. ; M. Léon Delfosse, au nom de la C.G.T. ; M. Alexandre Verret, Président du Conseil d'Admi­nistration des H.B.N.P.C. ; M. Georges Phalempin, préfet du Pas-de-Calais.

A travers ces discours, la catastrophe : ses effets, ses causes, ses suites, ses aspects.

La liste des catastrophes est longue, trop longue. Des noms : Courrières (1906), La Clarence (1912), Courrières (1948), Divion (1951) et, 3 ans après, encore Divion (M. DELFOSSE). Et « ce matin-même nous apprenons que deux camarades de la section C.F.T.C. de la fosse 5 sont tués, nos camarades Omer BOURDON et Robert DUPONT » (M. SAUTY).

Depuis 1948, dans les Houillères françaises, dix cata­strophes, dont quatre pour le Bassin du Nord et du Pas-de-Calais, ont fait chaque fois de 4 à 25 tués. Un mineur est tué par jour, des centaines de mineurs silicosés meurent chaque année, des centaines de milliers de mineurs sont blessés tous les ans (M. DELFOSSE).

Bilan de la catastrophe : 10 morts, 2 blessés graves.

Qui étaient ces dix hommes que la mort a brutalement enlevés à l'affection de leurs familles ? « Les morts étaient de tous les âges, de toutes les conceptions, de toutes les opinions. La catastrophe n'a pas regardé la nationalité, la religion » (M. CRESSENT).

• Edouard BAKAI.ASZ, 29 ans, 14 ans d'ancienneté à la mine. Marié, un enfant. Jeune porion. «  Elément de très grande valeur ».

•              Joseph BALTRUKOWICZ, 44 ans, 14 ans d'ancienneté. Marié, deux enfants. Chef dépileur. « Ouvrier remarquable ».

• Fernand BROOD, 42 ans, 28 ans et demi d'ancienneté. Marié, trois enfants. Chercheur de grisou qualifié. « Sa vie entière peut être citée en exemple ».

• Henri DROUVIN, 23 ans, célibataire. Aide-dépileur. « Contribuait à l'existence d'une famille particulièrement méritante, sa mère étant veuve avec trois enfants, son père étant mort silicosé, un de ses frères étant déjà décédé accidentellement ».

• Kaci HADJOUT, 30 ans, 6 ans et demi d'ancienneté. Laisse une veuve et deux petits enfants. Chef dépileur. « S'était acquis, grâce à ses qualités de travail et d'intelligence, l'estime et l'amitié de tous ».

• Dimitri KOWALCZYK, 23 ans, célibataire, 7 ans et demi d'ancienneté. « Un excellent ouvrier plein d'ardeur au travail. Il ne comptait que des amis ».

• Jean MATUSZAK, 50 ans, 32 ans d'ancienneté. Marié, trois enfants. « C'était un très bon ouvrier, assidu et courageux ».

• Gustave PAUWELS, 46 ans, 33 ans d'ancienneté. Marié, trois enfants. Maçon d'abord au jour, puis au fond « où il s'était montré un ouvrier courageux et travailleur ».

• Jean-Bart QUILLOT, 47 ans, 34 ans d'ancienneté. Marié, deux enfants. « C'était lui aussi un travailleur courageux, honnête, estimé de tous ».

• Victor WATEL, 26 ans, 9 ans d'ancienneté. Marié, un enfant. « Très bon ouvrier, assidu et courageux, il jouissait de l'estime de ses camarades et de ses chefs ».

(M. VERRET)

Huit veuves, dix-sept orphelins.

Fernand Brood était descendu dans le but de gagner une journée pour la ducasse. Jamais il ne travaillait le samedi.

Kaci Hadjout ne reverra plus le soleil de son Afrique natale ; il était descendu ce samedi soir pour remplacer un camarade.

Jean Matuszak allait commencer une nouvelle existence il devait prendre sa retraite fin octobre.

La catastrophe serait due à des conditions atmosphé­riques ? L'orage sévissant alors aurait occasionné une coupure de courant ayant provoqué un arrêt de la ventilation du puits ? Manque d'aérage, accumulation de grisou, étincelle, explosion provoquant un éboulement ? ...

- M. VISEUR rappelle certains rapports qu'il a rédigés à la suite de visites de chantiers. «Tout prouve que le coup de grisou est parti de la voie de base où, à plusieurs reprises, j'ai déjà signalé le danger et exigé par des mesures que des conséquences soient prises ». Des preuves, le délégué en apporte. Et de signaler en outre que, le samedi 13 juin, des ouvriers ont dû être évacués des chantiers des étages 933 et 875 envahis par le grisou.

La direction n'a pas pris toutes les mesures pour l'éva­cuation du grisou, le Service des Mines n'a pas accordé l'impor­tance nécessaire à ses rapports. « La catastrophe aurait pu être évitée si l'Etat-Patron ne poursuivait pas ses méthodes inhumaines d'exploitation qui n'ont vu que l'abaissement du prix de revient au mépris de la vie des mineurs ».

- M. DELFOSSE.

Après avoir rappelé le grand poète Aragon qui, parlant des mines, écrivait

« Cet enfer terrestre où l'homme est chaque jour mangé par la terre, où l'homme même est devenu et de sa force et de son courage, une marchandise dont il est froidement, cruellement, disposée par ses marchands »,

M. DELFOSSE dit : « Les marchands d'hier étaient les anciennes compagnies. Les marchands plus féroces d'aujourd'hui sont l'Etat-Patron et les directions des mines nationalisées qui disposent cruellement des mineurs ».

La catastrophe ? Une fatalité due à des conditions atmo­sphériques ? « Il faut nous expliquer ces changements d'aération que l'on avait prévus, qu'on allait faire au moment de l'explosion et qui ne sont dus qu'à une aggravation du dégagement de grisou dans ce chantier mortel ».

Une fatalité ? « Non, il s'agit de profits, de bénéfices scandaleux réalisés avec la vie des mineurs ». Politique de guerre : Viêt-nam. Exigences du plan Schuman. Les mineurs sont surexploités. Leur corporation est la plus maltraitée, une « corporation d'élite qui, la première, prenait en ses mains robustes le drapeau de l'indépendance nationale, luttant pied à pied contre l'occupant hitlérien et les hommes de la honteuse collaboration dans sa grève de mai-juin 1941 ». Les mineurs français sont les seuls des pays capitalistes d'Europe à avoir augmenté leur rendement de plus de 50 %, et ils sont les plus mal payés. Depuis 1948, ils devraient toucher 300 F de salaire en plus par jour. « Brimades, amendes, rabiot forcé » font partie de leurs conditions de travail. Après cela, la retraite : « Leurs retraites sont les plus faibles et de moins en moins avantageuses en comparaison des autres régimes » ...

On pouvait éviter la catastrophe. Le puits est extrêmement grisouteux. A plusieurs reprises, le délégué a signalé le danger. « Qu'a-t-on fait devant ses rapports ? Pourquoi continuer une exploitation aussi dangereuse ? ». La taille en cause était celle « au plus grand rendement ». L'extension des pouvoirs des délégués mineurs « aurait permis à notre camarade Viseur d'arrêter un tel chantier ».

La C.G.T. exige la vérité sur la catastrophe et le châtiment des responsables. Au nom de la F.N.S.S., elle exige une commis­sion d'enquête avec la participation de toutes les organisations syndicales.

« Au nom du Conseil municipal, je demande la création d'une commission d'enquête composée de parlementaires, d'élus municipaux, des représentants des organisations syndicales et de techniciens » (M. CRESSENT). « Ce droit à la vérité, nous le revendiquons dans l'esprit d'union et de dignité dont les familles de nos disparus sont le vivant témoignage. Toutes les compé­tences sont appelées à unir leurs efforts pour rechercher les causes de la catastrophe » (M. SAUTY). « Nous avons le droit et le devoir de revendiquer une enquête approfondie » (M. MOREL). »Nul plus que les Houillères ne demande que toute la vérité soit apportée » (M. VERRET). « Toute la lumière sera faite sur les causes de ce nouvel accident » (M. PHALEMPIN).

F.O. n'a pas pour habitude d'exploiter les circonstances. A chaque catastrophe, « les éloges ne manquent pas, les Pouvoirs Publics en sont parfois prodigues. Il serait souhaitable que ces sentiments, honorables en soi, se traduisent par des décisions plus concrètes ». F.O. demande une revalorisation de la profession refusée par le Gouvernement, et de renouveler le serment devant les cercueils « de tout mettre en oeuvre pour aboutir à l'amé­lioration des conditions de vie et de travail des mineurs ainsi que de leurs familles ».

- M. PHALEMPIN, au nom du Département et du Gouvernement

A l'heure de l'ultime adieu, les polémiques n'ont pas leur place ; le respect et le recueillement s'imposent avant tout. Aucune parole de réconfort ne peut être à la mesure de l'épreuve des familles. « Tout sera mis en oeuvre pour les préserver du besoin ». Le souhait de tous ? « Une amélioration constante de la Sécurité du travail », amélioration sensible depuis le début du siècle. La leçon essentielle de cette catastrophe ? « Il faut que tous, d'un même cœur et surtout dans une même confiance réciproque, multiplient leurs efforts pour que la grande famille des mineurs n'ait plus à déplorer comme aujourd'hui la disparition prématurée de ces nobles victimes du travail auxquelles j'exprime une dernière fois la reconnaissance de la nation tout entière ».

Le sentiment de tous.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, à la fosse 5 bis, à quelques kilomètres de La Clarence, deux nouvelles victimes de la mine, écrasées par un énorme bloc de rocher

-          BOURDON Omer, 37 ans, marié, deux enfants.

-          DUPONT Robert, 22 ans, marié, deux enfants.

Orner était sapeur-pompier. Il avait préparé sa tenue pour conduire jeudi ses camarades à leur dernière demeure. Sa femme lui avait suggéré de ne pas aller travailler, le lendemain aurait été pour lui une journée fatigante, et par ailleurs chômée.

Orner s'en est allé vers la fosse dans laquelle il est descendu. La MORT était au rendez-vous.

Benoît Léonard allait partir pour faire son service militaire. Il avait droit à des congés qu'il comptait prendre avant son départ à l'armée. Samedi soir devait être son dernier poste à l'occasion duquel il aurait repris ses outils et dit a au revoir » à ses camarades. En fin de journée, l'un de ses voisins l'invite à se rendre au bal. Benoît ne va pas travailler. Sans cette ren­contre et sa décision d'aller danser, son nom aurait figuré parmi les victimes.

Gaston Thellier est l'un des rescapés. Il est remonté avec le corps d'Edouard Bakalasz. Au vestiaire, il a été examiné, s'est rhabillé, est monté sur sa moto, a filé comme un fou chez lui à Hestrus, un village à 15 kilomètres de la fosse.

Son regard est perdu. Ses « loques ed fosse », son pull-over : brûlés, noircis, en lambeaux. Il s'est vu mourir. Il songe ...

Il faisait partie de l'équipe chargée de renvoyer l'air : le porion Bakalasz, Brood, Pauwels et lui-même ... C'était le moment d'effectuer le « renvoi d'air ». Une précaution préalable : voir s'il n'y avait plus personne sur les lieux. Etant chef d'équipe, il indiqua à Brood et à Pauwels où ils devaient se mettre. Le porion avait gagné un embranchement où il devait attendre que tout le monde ait quitté les lieux.

Gaston Thellier arrivait à un plan incliné. Ce fut l'explosion. Le souffle le fit « dégringoler » quarante mètres plus bas. Une langue de feu passa au ras de son dos. Les sauveteurs le ramassèrent sans connaissance.

Maintenant, il est chez lui, il vit. Rescapé, il est harcelé de questions de toutes parts. Le docteur lui a donné huit jours de repos. Et après ? « Si ça va mieux, je redescendrais ... Pourquoi pas ? ».

Dans le cimetière de Divion, se dresse près du calvaire un monument élevé à la mémoire des 22 victimes de la catastrophe de LA CLARENCE en 1912.

 

Photos bruits de fond

 

Apposée sur ce monument ancien, une plaque

 

Victimes de la catastrophe du 20 juin 1954

BAKALASZ Edouard

BALTRUKOWICZ Joseph

BROOD Fernand

DROUVIN Henri 

HADJOUT Kaci

KOWALCZYK Dimitri

MATUSZAK Jean

PAUWELS Gustave

QUILLOT Jean-Bart

WATEL Victor

                Souvenons-nous aussi de

BOURDON Orner               

DUPONT Robert

 

Document Daniel Marir

la Clarence prise 2 ans avant la tragédie de 1954,le nouveau chevalet au 1er plan sera démonté et installé à la fosse Sabatier où il est encore visible bien qu'amputé de la structure du faux-carré.
Concernant la fosse La Clarence ,les Houillères auraient pu garder l'ancien chevalet du puits N°2,pour en faire un lieu de mémoire en respect aux mineurs victimes en 1912 et en 1954 et à ceux qui n'ont pu être remontés lors du coup de grisou de 1912;.
Ce lieu est un tombeau et méritait d'être préservé.
Mais 50 ans après, il est sans doute trop tard .
 
Daniel Marir.

 

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