CHAPITRE XV

 

MIRACLE A BILLY-MONTIGNY !

 

Sur six colonnes, u LE REVEIL DU NORD » du 31 mars 1906 titre

 

LA CATASTROPHE DE COURRIERES
Stupéfiante découverte

_____________________________________

Après Vingt jours de Souffrances et d'Angoisses,
Treize Mineurs sortent vivants du Puits No 2
sur Billy-Montigny

 

 

Devant eux dans le lointain, tel un feu follet, une flamme. Est-ce une hallucination? Les treize mineurs ensevelis décou­vrent progressivement la roche rugueuse, le lieu où ils sont l'entrée de la bowette et, à gauche, la porte d'une écurie.

Wattiez passe la tête, appelle. Le garde d'écurie, troublé, stupéfait, regarde ces êtres hâves, éperdus, les yeux enfoncés dans les orbites. Spectres ou revenants? Une voix lance

- Nous sommes des rescapés !

L'ouvrier réalise, clame la nouvelle. L'équipe d'ouvriers occupés dans la bowette 306 accourt. Embrassades ; une goutte de café, des tartines de pain partagées. Le tout dans une joie indescriptible.

Il est environ 7 h 30, ce vendredi 30 mars. Au jour, c'est l'alerte. A l'accrochage, des berlines sont garnies de paille pour y installer les rescapés. La cage descend une première fois ; puis remonte emportant plusieurs hommes.

- Nous voilà ! s'écrie Nény, sorti le premier de la cage, suivi de Castel.

Danglot fait partie de la 2ème cage, il remonte avec son ami Stiévenard.

Les témoins, d'abord paralysés par l'émotion, réagissent. Vite, il faut s'occuper de ces hommes dont certains trébuchent en marchant. Des camarades de travail arrivés à la hâte portent les moins vaillants sur leur dos.

Tous les rescapés sont ainsi conduits dans le local de « la « Goutte de Lai »t  transformé entre-temps en infirmerie.

De maison en maison volent les noms : Boursier, Castel, Couplet, Danglot, Dubois, Lefebvre, Martin, Nény, Noiret, Pru­vost Charles et Anselme, Vanoudenhove, Wattiez. Une émotion indicible s'empare de la population. Qui sait? Il y a peut-être d'autres survivants.

Sur la route de Lens à Billy-Montigny, une foule de parents, d'amis accourt avec l'espoir de retrouver l'un des leurs.

Très vite, près de 2000 personnes envahissent l'avenue de la fosse 2, maintenues avec peine par un cordon de gendarmes. Sur le mur d'une maison sont affichés les noms des «ressuscités». On s'y écrase. 13 noms seulement ! Des sanglots éclatent.

Les rescapés, répartis dans deux pièces, sont couchés dans des lits installés à la hâte.

Le père Pruvost, voyant pour la première fois la tête de son fils, demande une grâce

- Je veux que mon garçon soit dans le lit à côté de moi. Je veux le voir mourir ...

Anselme aurait-il lutté 20 jours pour rien? La poussière de charbon, agglutinée sur la plaie, forme une croûte. Le Dr Lourties l'arrache. La plaie est grouillante de vers, la blessure est infecte. L’œil tient à peine.

- Je te sauverai, lui dit le docteur.

Les vers ont mangé au fur et à mesure la chair gangre­née : Anselme leur doit son salut

Bien que les rescapés aient besoin de repos, leurs parents sont admis à les voir, ainsi que quelques journalistes.

- Mon fils, c'est mon fils ! s'écrie une femme en se jetant sur un lit. Elle l'étreint. L'assistance pleure. Le Dr Lecat la retire avec ménagement ...

La femme de Pruvost tombe sans connaissance devant son mari ...

Nény, en voyant sa femme, s'étonne - Tiens ! pourquoi es-tu en deuil ? ...

La veuve Castel s'écroule sur la couche de son fils, l'embrasse à pleine bouche. « Et ton frère? »  lui demande-t­elle. Il ne sait pas ...

Le médecin-chef Lourties, les docteurs Minet et Lecat sont aux petits soins auprès des rescapés, surveillant notam­ment leur alimentation. Avec peine, ils leur font d'abord absorber un peu de lait, boisson qui leur sera servie toutes les heures.

Nény, loquace, est le pôle d'attraction des visiteurs. Il raconte le drame vécu au fond de la mine. Mais à sa façon. Il apparaît le sauveur. De tous, il tient la meilleure forme ! ...

A 16 h 30, le Dr Lourties prie tous les visiteurs de se retirer. La journée a été forte en émotions pour les rescapés ; ils ont besoin de repos.

Après des jours et des jours de séparation, le père Pruvost et son fils avaient eu la joie suprême de se retrouver dans les entrailles de la terre.

Que s'est-il passé après ces retrouvailles? Les 13 hommes décidèrent de gagner la fosse 2 de Billy-Montigny.

Wattiez connaît la communication des fosses 2 et 3 par l'étage 280. Mais comment atteindre ce point? Vieux mineur, le Père Pruvost réfléchit longuement. Longuement. Dans le silence, il rassemble ses souvenirs. Puis, en route

Le groupe gagne l'étage 250 et aboutit à l'étage 280 par un beurtiat.

Depuis longtemps, Wattiez a envie de tabac. La route est jonchée de cadavres contre lesquels on bute, et que parfois l'on fouille. Danglot découvre par chance une blague. Plusieurs prennent une pincée de tabac qu'ils se mettent à chiquer.

Maintenant Pruvost tâtonne. Une pause est nécessaire. Wattiez en profite pour rayonner dans les galeries, en quête de la bonne direction.

Il revient décidé, prend le commandement. En route ! La voie s'élargit. Serait-on dans la bonne direction? D'après les outils, oui. Wattiez pousse soudain un cri de joie. Il reconnaît une glissière en tôle, et les berlines sont métalli­ques !

Les 13 morts-vivants sentent le salut proche. Ils descen­dent un treuil, heurtent des tuyaux d'aérage, arrivent dans une bowette où circule un courant d'air frais. S'aidant des tuyaux, ils avancent face à l'air. Au loin un point scintille une lampe. Ils sont sauvés ! C'est la fin du cauchemar !

Vingt jours et vingt nuits sous terre ! Dans les ténèbres, avec les gaz et des obstacles infranchissables : la Mort jouant avec ses prisonniers. Dans une atmosphère empuantie, en la compagnie des cadavres de camarades et de chevaux. Avec comme régime alimentaire : du bois, de la toile, de la charogne, de l'avoine pour apaiser la faim ; de l'urine, de l'eau empoisonnée pour assouvir la soif. Aucun abri sûr. L'angoisse de ne plus jamais revoir le jour, les siens. L'an­goisse de la Mort.

Ils ont mangé des écorces de chênes riches en tannin, de la viande putréfiée contenant des principes toxiques ; en outre, plusieurs n'ont pas excrémenté depuis la catastrophe. Les privations, l'oxyde de carbone auraient dû avoir raison des organismes affaiblis. Et pourtant ils ont résisté à la Mort ? Pourquoi ? Le Dr Lourties en donne la raison

- Si les échappés n'ont pas été plus intoxiqués, si ces aliments ne leur ont pas été funestes, cela tient à ce que leurs selles étaient absolument noires et chargées de charbon qui joue toujours le rôle d'antiseptique ...

Et il ajoute

- S'ils ne commettent pas d'imprudence, ils sortiront tous avant huit jours. Nous allons leur donner un bon lave­ment antiseptique, puis nous leur servirons un bon déjeuner. Ce déjeuner consistera en quelques légumes, car il est rigou­reusement prescrit de ne pas leur donner d'aliments solides avant au moins deux ou trois jours.

Ce samedi 31 mars, aux abords de la e Goutte de Lait »», tout est calme. Pour assourdir le bruit des voitures et des pas, et favoriser ainsi le repos des rescapés, on a étalé de la paille autour du local. De nombreux parents et amis, des journalistes, attendent le droit de pénétrer dans l'infirmerie. Quelques gendarmes seulement montent la garde.

Les rescapés n'ont cependant pas bien dormi. Ils souffrent des pieds et des jambes : ils sont restés chaussés vingt jours ! Malgré les fatigues de la veille, aucun cepen­dant n'a la fièvre. Seul un galibot marque une tendance à l'hypothermie

A 7 heures, les familles sont admises par groupe de 6 à 8 personnes ; le Dr Minet veille sur la durée des entretiens.

Vers 11 heures arrive le préfet. Il pénètre dans la salle et s'avance la main tendue vers Nény

- Je vous apporte les félicitations du gouvernement de la République et le témoignage de notre admiration pour l'héroïsme que vous n'avez cessé de montrer depuis la catastrophe.

Les larmes aux yeux, Nény le remercie et répond :

- Vous vous occuperez de nous? Car vous ne l'igno­rez pas, nous n'avons droit, nous autres, à aucune indemnité.

Le préfet le rassure, puis va réconforter les autres survivants.

Nény raconte à nouveau les péripéties des vingt jours vécus hors du monde.

- Taisez-vous, lui lance le préfet, vous n'avez pas cessé d'être interviewé hier, vous devriez vous reposer un peu aujourd'hui.

Mais Nény continue à parler, à parler. Il apparaît et se comporte comme le héros du jour. Certes, il avait fait une chute lui occasionnant quelques contusions à l'épaule et aux genoux. Mais après un repos de deux jours, il avait pu reprendre ses explorations. Quelles sont ses intentions?

Ecrire les horreurs qu'il a vécues... « Mais je ne le ferai que plus tard, car je veux dire toute la vérité. Certaines révélations concernant la conduite de mes camarades pouvant leur être désagréables, j'ajourne mon projet ... ».

Ce matin à 9 heures, la Commission d'Enquête Parle­mentaire s'est réunie sous la présidence de Dron à l'Hôtel de Ville de Lens où ont été successivement entendus les délégués Hurbain et Simon dit Ricq.

L'après-midi, cette Commission n'a pu entendre les ingénieurs de contrôle qui ont estimé de leur devoir de poursuivre les explorations : 13 hommes sont remontés, peut-être que d'autres encore errent dans les profondeurs de la terre.

Avant de se séparer, la Commission a fait adresser le télégramme suivant au Dr Calmette de l'institut Pasteur à Lille : « Serait intéressant examiner spectroscope sang des échappés mine. Signé : Basly ».

Ce 31 mars, six ouvriers de la fosse 1 de Bully-les-­Mines se rendent le matin à leur travail quand ils sont pris à partie par des grévistes. Trois d'entre eux s'échappent. Les autres sont contraints à porter des drapeaux. Sur le dos de l'un, cette inscription : « A bas les poires cuites » ; sur celui des deux autres, une grande croix blanche.

Les manifestants se dirigent vers Lens, Sallaumines, Méricourt, Billy-Montigny, Hénin-Liétard où doit se tenir une réunion.

Avisé de ces faits, le commandant de gendarmerie siégeant en permanence à la fosse 2 de Billy-Montigny envoie au-devant du défilé un détachement de gendarmes à cheval.

Après une courte échauffourée, les non-grévistes sont placés sous la protection des forces de l'ordre qui par ailleurs s'emparent des drapeaux.

Face à la mairie de Billy-Montigny, une rixe éclate entre gendarmes et grévistes ; Laurent, ceint de son écharpe, tente de rétablir l'ordre. Emportant les drapeaux et accompa­gnés des non-grévistes, les gendarmes se replient.

Le nombre des manifestants grossit ; ils ne quitteront pas les lieux sans leurs drapeaux.

Le maire, Tournay, gagne la fosse 2, confère avec le commandant de gendarmerie. Puis, escorté par deux gendarmes, il revient, porteur des drapeaux qu'il rend aux grévistes.

Ceux-ci s'en retournent vers Lens, sans autre incident.

L'événement important de ce dimanche 1er avril, c'est la venue à Billy-Montigny de Barthou, ministre des Travaux publics.

A la « Goutte de Lait », les rescapés, qui reprennent des forces, attendent le ministre. Les esprits se sont échauffés ; un certain malaise règne.

Un journaliste s'approche de Danglot pour un brin de causette. Celui-ci le rabroue : il n'est pas d'accord sur tout ce qui a été écrit dans les journaux concernant leur odyssée.

- Et puis, il y a Pruvost ! lance-t-il. Tous les journaux parlent de Nény ; mais on ne dit rien de Pruvost ; pourtant c'est lui qui a fait le plus. Pas vrai, Pruvost?

- C'est lui qui nous a conduits, approuvent les autres.

- C'est'y vrai, reprend Danglot que le ministre n'appor­te qu'une croix pour Nény ? Pruvost l'a méritée le premier ; et puis, s'il y a des médailles, nous en méritons tous. Chacun a fait son devoir.

- Bien sûr, que Pruvost nous a tous conduits, admet Nény ; il connaissait tous les chemins ; mais j'ai surtout agi par la force morale. C'est Pruvost qui a recherché l'air.

Les langues se délient : Nény n'aurait rien fait, il fallait le traîner ; il aurait abusé de son galibot. C'est Pruvost qui doit être médaillé, estime-t-on dans la chambrée. Finalement, Nény donne son accord. Le calme se rétablit aussitôt.

Arrivé à Lens par l'express de 11 h 30, Barthou, accom­pagné du préfet et de nombreuses personnalités, gagne Billy­Montigny par train spécial.

A pied, le long d'une voie de garage, le cortège se dirige vers le carreau de la fosse 2 où les accueillent Léon et Delafond.

Le Dr Lourties accourt vers le ministre. S'il décore seulement Nény, cela fera un drame !

Le ministre le rassure ; il a emporté deux croix. Rapi­dement, avec sa suite, il entre dans le local de la « Goutte de Lait ».

On lui désigne le lit de Nény. Il s'avance.

- D'abord Pruvost, c'est surtout lui, dit Nény en le désignant à l'opposé de la salle.

Le ministre se dirige alors vers Pruvost.

- Je' suis heureux, et je suis fier aussi, lui dit-il, de vous apporter avec mes félicitations personnelles, les félicita­tions du gouvernement de la République. Je vous remercie et je vous félicite du merveilleux courage que vous avez montré en ces pénibles circonstances ; par votre admirable présence d'esprit, vous avez sauvé la vie de vos camarades.

Puis il épingle la croix éclatante sur la poitrine du rescapé.

- Charles Pruvost, au nom du gouvernement de la République, je vous fais chevalier de la Légion d'honneur.

C'est ensuite l'accolade et une chaude poignée de mains. Les yeux du vieux travailleur se remplissent de larmes.

Le ministre revient alors vers Nény.

- Quant à vous, Nény, je vous félicite aussi au nom du gouvernement et je vous félicite d'autant plus que par votre geste de tout à l'heure vous avez ajouté encore à l'étendue de votre dévouement et de votre courage.

Au milieu des applaudissements, le ministre attache sur la chemise de Nény la Croix des braves.

Enfin, s'adressant aux autres survivants, il ajoute

- Et vous tous, mes amis, vous avez aussi été de braves gens ; dans cette terrible aventure vous avez tous payé de votre personne. Tous vous avez contribué au sauve­tage de vos camarades ; vous êtes dignes aussi d'être ré­compensés. J'ai la joie de vous annoncer que le gouvernement vous décerne à tous la médaille d'or de première classe, la médaille qui récompense les grands dévouements et les belles actions des hommes courageux.

La joie se lit sur tous les visages. Les applaudissements éclatent.

Le ministre annonce en terminant que le chef des sauve­teurs allemands sera également décoré de la croix de la Légion d'honneur et que tous les sauveteurs recevront la médaille d'or.

Le ministre fait le tour des lits, adresse des paroles aimables aux uns et aux autres, félicite le Dr Lourties qui lui est alors présenté, ainsi que les médecins qui l'ont aidé dans sa tâche depuis la catastrophe.

La remonte des 13 rescapés a posé le problème des conditions dans lesquelles ont été organisées les opérations de sauvetage.

Après la remise des décorations, Barthou se rend dans l'un des bureaux de la Direction où il procède à l'installation d'une Commission chargée d'enquêter sur les dites opérations.

Cette Commission se compose d'Adolphe Carnot, pré­sident ; d'Aiguillon et Nivoit, inspecteurs généraux des mines ; de Kuss, ingénieur en chef ; de Cordier et Evrard-Bernard, délégués mineurs.

- Et maintenant, dit le ministre, je veux descendre dans la fosse et refaire la route qu'ont suivie les échappés. Je veux aller du puits No 2 au puits No 3 par le fond.

Les personnes présentes en sont médusées ...

Combien de temps prendra la visite? Trois heures, aller et retour.

- Allons-y, ordonne le ministre.

Il pénètre dans la salle des lavabos. Et en sort revêtu de la tenue de mineur. Il est environ 13 h 30.

Des journalistes insistent pour l'accompagner. D'accord, .pour un journaliste seulement ! Et les autres? Untel repré­sente la presse régionale, tel autre la presse parisienne, celui-ci la presse étrangère, celui-là la presse ouvrière. Finale­ment, ce sont dix journalistes qui rejoindront le ministre à l'étage 306.

Dans la voie de fond de la veine Mathilde, le cortège rencontre Weiss et Petitjean, présentés au ministre. Le groupe s'arrête. Weiss expose que les treize survivants doivent leur salut grâce à la décision prise par les ingénieurs de renverser le sens de l'aérage.

- Où voulez-vous aller? demande Weiss au ministre. - Le plus loin possible.

Le groupe grimpe des plans inclinés, passe par un étroit boyau et se retrouve au sommet d'un treuil où une légère pause est observée. Non loin de là, chargés sur des berlines, des cercueils attendent d'être ramenés vers l'accrochage.

Puis, de nouveau, les visiteurs s'engagent dans une voie étroite et basse où l'on «  marche » à quatre pattes. Plus loin, un éboulement s'est produit dans un plan incliné ; une équipe d'ouvriers à laquelle s'est joint le délégué Hurbain répare le passage à l'aide de berlines. Le groupe aboutit enfin dans une galerie où des mineurs travaillent sous la direction de Domaison. Impossible d'aller plus loin. L'accro­chage du 3 est à 300 m. Mais les galeries qui y conduisent sont jonchées de cadavres. L'air est quasi irrespirable.

On s'assied sur les cercueils descendus. Une discussion s'engage sur la façon dont ont été menées les opérations de sauvetage. Barthou s'inquiète : certains cadavres ne portent ­ils pas des signes de mort récente? Il confronte les déclara­tions des ingénieurs avec la déposition faite la veille à Paris par le délégué Ricq. Tous les cadavres sont couverts de plaques de moisissure. Il ne peut s'agir de morts récentes.

Le ministre veut néanmoins en avoir le cœur net. Tandis que, muni de son appareil respiratoire, passe un pompier de Paris, Barthou et ses accompagnateurs bouchent de ouate leurs narines.

Une galerie conduit à l'accrochage de la fosse 3. Ils s'y enfoncent. Première rencontre : trois cadavres, face contre terre, couverts de moisissure. Puis, un charnier d'une trentaine de corps dont celui de l'ingénieur Barrault. Tous semblent morts asphyxiés alors qu'ils couraient vers l'accrochage. Au terme de ce pèlerinage courageusement accompli, l'émotion étreint le ministre.

Le retour s'effectue sans incident, coupé de nombreuses pauses. Une pensée entre autres : ce qu'a pu être la vie des treize rescapés pendant les vingt nuits et vingt jours passés en compagnie de la Mort ...

La cage remonte. Une surprise attend le ministre.

De la foule se détache une jeune femme blonde venue le féliciter: l'ancienne nourrice de son fils mariée à Billy­Montigny.

Une rapide toilette. Un verre de café. Il est 17 h 30. Le ministre regagne Lens en automobile où il est reçu à l'Hôtel de Ville par le conseil municipal. Puis c'est le retour à Paris, via Arras.

Alors que Barthou annonçait à Billy-Montigny la décision du gouvernement français d'honorer les sauveteurs allemands, ceux-ci étaient fêtés le même jour à Herne. Thème des discours prononcés : l'espoir de voir se rétablir des relations cordiales entre la France et l'Allemagne grâce à l'exemple de solidarité donné par les sauveteurs.

Le lendemain, après avoir assisté à l'entrée des hussards de Westphalie dans sa nouvelle garnison de Krefeld, l'empereur Guillaume Il se faisait présenter les sauveteurs à qui il dira notamment

- Vous avez prouvé qu'il existe quelque chose qui franchit les poteaux frontières et unit les peuples entre eux, à quelque race qu'ils appartiennent. Ce quelque chose, c'est l'amour du prochain ... Tous, nous nous en sommes vive­ment réjouis. Nous vous remercions de votre esprit de sacri­fice et surtout du mépris de la mort, avec lequel vous êtes descendus sous la terre pour sauver des frères étrangers.

A l'issue de cette allocution, chaque sauveteur sera décoré.

A la suite du télégramme de Basly, les professeurs Lescœur et Patoir le dimanche soir, le professeur Calmette le lundi, rendent visite aux rescapés. En vue de rechercher les effets de l'oxyde de carbone sur les globules sanguins, des prélèvements de sang sont effectués. Les professeurs recueillent également un peu d'urine et des déjections.

A l'exception de Martin encore couché et fiévreux, l'état des rescapés est des plus satisfaisant. Le Dr Lourties sollicite une consultation du Dr Lemoine, professeur de clinique médi­cale à Lille. Celui-ci arrive dans l'après-midi de mardi rien ne s'oppose à leur sortie, sauf pour Martin atteint d'une fluxion de poitrine.

Après quelques recommandations d'hygiène et de nombreuses effusions, laissant Martin seul et attristé, les miraculés de la mine quittent la « Goutte de Lait », et retournent paisible­ment chez eux, respirant à pleins poumons, heureux de retrou­ver leurs parents et amis, leur maison qu'ils avaient bien cru ne jamais revoir ...

Ainsi se termine le 3 avril 1906, sur une petite note de bonheur, une tranche dramatique de la vie de Billy-Montigny.

 

   HAUT        ACCUEIL

   RETOUR BILLY AU COEUR DE LA CATASTROPHE DE COURRIERES