CHAPITRE XIII

 

RETOUR AU PAYS NATAL ...ET REFERENDUM

 

Je suis né en 1925 dans une modeste maison, cité de la fosse 2 à Mazingarbe (Pas-de-Calais), où j'ai vécu mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse.

La maison donnait sur les champs. Et, dans le lointain, au-delà de ces champs : à droite, la cité des Brebis ; au centre, le complexe industriel de l'usine de Mazingarbe ; à gauche, une partie du mur d'enceinte du château « Mercier», du nom de celui qui fut pendant plus de 30 ans directeur de la Compagnie des mines de Béthune.

J'ai fréquenté les salles d'asile de la cité, école mater­nelle dirigée par une religieuse portant la cornette, sœur Amélie, chargée en outre des soins donnés au dispensaire. Ma vie scolaire s'est ensuite déroulée jusqu'au certificat d'études primaires à l'école des Brebis, école dite libre par opposition à l'école communale, une école appartenant à la Compagnie et dont les instituteurs étaient payés par elle. Sur le plan religieux, nous dépendions de la paroisse Ste­ Rictrude de Mazingarbe-Village où je fis ma communion solennelle ...

Adulte, combien de fois n'ai-je entendu dire que la Compagnie des mines de Béthune était très difficile quant au recrutement de son personnel... et combien les pratiques religieuses - plus ou moins sincères - influaient sur l'avance­ment dans la hiérarchie professionnelle ! ...             ,

Bref, Mazingarbe, Bully-!es-Mines, Vermelles, c'est un petit coin de France que je connais particulièrement bien pour avoir arpenté mainte et mainte fois ses rues et quartiers les voitures étaient rares à l'époque, mais nous avions de bonnes jambes !

Aussi est-ce avec beaucoup d'attention et un réel intérêt que j'ai suivi l'enquête menée par un journaliste du REVEIL DU NORD le vendredi 16 mars 1906.

Ce vendredi matin, sur les quelque 58 000 travailleurs des Compagnies minières du Pas-de-Calais, il y aurait environ 25 000 grévistes. Où travaille-t-on? A l'ouest du bassin minier, c'est-à-dire dans les concessions de Nœux, Bruay, Martes, La Clarence, Ferfay, Ligny. Entre ces secteurs et les secteurs en grève, la Compagnie de Béthune.

Société au capital de 30 000 francs-or, créée en 1850, elle était devenue la Compagnie des mines de Béthune, voca­ble contesté puisque la ville de Béthune se trouve sur la concession de Nœux et les « Grands Bureaux » étaient prévus à Bully. Cette Compagnie va-t-elle, à son tour, être touchée par la grève ? ...

Le vent tourbillonne, souffle en tempête. Il pleut. Impossi­ble de tenir un parapluie ouvert. Un temps triste, maussade, à l'image de la situation.

Nous sommes dans les corons Carrat qui dépendent du puits 1 de Bully, corons formés de pavillons stylés, entourés de jardins. Mais des corons « fermés par des murs supportant des grilles formidables à pointes acérées ; les portes de fer s'ouvrent et se ferment au gré du gardien ».

Un gardien qui entrerait dans les maisons pour voir « s'il y a un bon dieu accroché au mur et si saint Joseph occupe la place d'honneur ". Un gardien qui contrôlerait le journal lu par les résidents. Un gardien qui « à la moindre rouspétance » brandirait la menace d'une mise à la porte.

Au puits 1, le mouvement de grève est amorcé.

Sur la route qui conduit à Mazingarbe : les corons des Brebis. Ils dépendent de la fosse 6. « A perte de vue les maisons ouvrières dans un immense enclos et tout autour de hautes murailles : deçà, delà, des grilles résistantes et puis des piliers de fonte où s'accrochent des chaînes, où se glissent des barres de fer et qui ferment les routes, comme autrefois les chemins au temps des péages ».

Le gardien ? « La terreur des locataires de cette prison ". Sa « bête noire » : Beugnet, le trésorier du Vieux Syndicat. « Il pénètre après lui dans les maisons où il s'est arrêté et assassine les gens de questions plus indiscrètes les unes que les autres ».

Dans cette cité, une église au clocher altier avec en face, hors cité et de l'autre côté de la route qui la longe, « un massif édifice de briques rouges qui doit abriter tous les services administratifs » de la Compagnie.

A la fosse 6, le travail est normal.

Des Brebis, une route mène directement aux corons de la cité 2, une cité accueillante. Pas de murs de trois mètres de haut, « la Compagnie s'est contentée de planter des palissa­des ». On y respire.

Pas plus qu'aux Brebis la grève n'est amorcée.

Dès la première heure, de nombreux fermiers se sont présentés à la fosse pour enlever du charbon. On n'en délivre plus. Même si l'on a payé d'avance, tel ce boulanger de Mazingarbe qui présente un acquit sur sa commande. Manque de charbon ou stockage en prévision de la grève? ...

Terme de l'enquête : les corons du « Philosophe » situés sur le territoire de Mazingarbe ? de Vermelles ? Pour y aller, « je longe le parc seigneurial de M. Mercier ; une muraille de plus de trois mètres de hauteur le protège ... Voici le château princier du Directeur : une grille aussi haute que les murs, armée de défenses redoutables, en fer forgé, ferme l'avenue ».

Puis, notre journaliste emprunte le boulevard de Vermelles, devisant avec un ancien mineur, rencontré en chemin, amputé du bras droit à la suite d'un accident de travail et devenu charretier. Le sujet de conversation? Les indemnisations pour accidents de travail? Un cas, celui de Décatoire Alphonse. A peine croyable. On lui aurait alloué une rente de sept sous par jour. « ... Il a plaidé ; il a dû quitter la fosse ; il a ouvert un estaminet pour vivre. Il a trois enfants ; la mine leur aurait refusé du travail »   

Les corons du « Philosophe », d'aspect délabré et situés sur la route de Lens à Béthune, comptent parmi les plus anciens de la Compagnie. Des gendarmes arrivent. La grève est-elle pour demain ? On verra. « Lundi pour sûr, si la grève est partout . »

Au 8 de Sailly, au 9 d'Annequin, au 10 de Sains-en­Gohelle, c'est le même son de cloches : « Nous ferons comme les autres ».

Samedi 17 mars. Le bassin minier compte quelque 30 000 grévistes ... Aux mines de Béthune et de Nœux, un tiers seulement des mineurs sont descendus. On tend vers la grève générale ...

Mercredi 21 mars. Ils sont plus de 50 000 à ne pas travailler. C'est le sommet de la grève dans le Pas-de-Calais. Car, le lendemain, à Bruay, le travail reprend. Par contre, la grève est générale dans le bassin du Nord et s'étend dans le bassin d'Anzin.

Ce même jour, à la suite du Congrès tenu la veille à Lens, Basly informe Reumaux, président de la délégation patronale, que les délégués des Syndicats des mineurs du Nord, d'Anzin et du Pas-de-Calais ont décidé de maintenir le programme des revendications présentées à Paris.

Par lettre du 23 mars, Reumaux répond que les Compa­gnies restent sur leurs positions. Comment réagiront les travailleurs ?

Dimanche 25 mars. Réunis en Congrès à Lens, les délégués de chaque bassin examinent la situation. Décider de la poursuite de la grève ou de la reprise du travail: un rude dilemme. Après plusieurs heures de délibérations, le Congrès estime devoir procéder à une consultation indivi­duelle par voie de référendum, seule procédure permettant aux ouvriers de se prononcer librement et aux responsables syndicaux d'avoir un reflet aussi exact que possible de l'opinion.

Le lendemain, auprès de la fosse 10 de Billy-Montigny, une centaine de grévistes se sont réunis à 10 h 30 chez Broutin. Préside la réunion : Broutin lui-même ; sont nommés assesseurs : Bertin et Hurbain. Le citoyen Moinier d'Avion rend compte du Congrès de Lens, invite les travailleurs à maintenir leurs revendications et à poursuivre la grève. La coopérative d'Avion a d'ailleurs en caisse une réserve de 200 000 F : du pain assuré aux grévistes pendant trois mois ! Le Vieux Syndicat est vivement acclamé.

Un peu partout dans le bassin minier, des réunions du même genre sont organisées.

Dans une lettre adressée aux maires des communes concernées, les préfets du Nord et du Pas-de-Calais précisent certaines modalités du référendum

- Le vote aura lieu le mercredi 28 courant, de 10 heures du matin à 5 heures du soir, soit à la mairie soit dans des salles de scrutin aménagées dans les écoles.

- Le bureau de vote sera composé du maire ou de son représentant, président, et de deux délégués de la section locale du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, assesseurs.

- A défaut de liste, les délégués reproduiront les nom, prénom, âge et numéro de la fosse de travail des votants, assumant seuls la responsabilité d'écarter éventuellement des suffrages des personnes qui se présenteront pour voter.

- Le maire ou son représentant assure la régularité des opérations en mettant dans l'urne les bulletins de vote qui lui seront remis par les électeurs et en certifiant, à l'issue du scrutin, l'exactitude du dépouillement des suffrages.

Sont électeurs tous les ouvriers âgés d'au moins 18 ans, qu'ils soient syndiqués ou non, Français ou Etrangers.

 

Seuls bulletins de vote valables, ceux établis par le Vieux Syndicat, bulletins ainsi présentés et libellés

TRAVAIL

Accepte les propositions des Compagnies

GREVE

Les repousse

                                

L'électeur déchire le bulletin suivant le pointillé et remet au maire la partie qui l'intéresse. Tout bulletin comportant des textes différents pourrait être refusé.

Après la fermeture du scrutin, les membres du bureau procéderont au dépouillement et dresseront un procès-verbal qui sera signé par le maire. Les procès-verbaux seront centra­lisés à la mairie de Lens et les résultats proclamés le jeudi lors d'un Congrès prévu à 10 heures.

Les résultats du référendum dans le Pas-de-Calais ? Le préfet les communique

POUR LA GREVE :                           20 569

POUR LE TRAVAIL :                        12 567

ABSTENTIONNISTES :                    21 000 environ.

 

Le syndicat « Broutchoux » avait distribué des bulletins

« 8 heures, 8 francs ». Lors du dépouillement, on en dénom­bre 338.

Quelques résultats locaux

 

Communes

Votants

Grève

Travail

Billy-Montigny

Fouquierès-lès-lens

Loison

Méricourt

Noyelles-sous-Lens

Rouvroy

Sallaumines

540

565

142

198

244

607

472

328

377

124

154

224

500

429

95

95

18

43

10

107

42

Hénin-Liétard

Lens

1 629

2 806

1 526

1 712

102

784

Béthune

Bully

Mazingarbe

Vermelles

48

476

569

193         

13

260

346

137         

34

215

222

53

Auchel

Bruay

Divion

2 141

5 164

1508

1 017

819

220

1 123

4 345

1 288

               

                                              

Comment interpréter les résultats du Pas-de-Calais ? A première vue, la reprise du travail, et partant les propositions des Compagnies sont repoussées par la majorité des tra­vailleurs. Compte tenu du nombre important des abstentionnistes, certains pensent cependant que, dans leur for intérieur, une majorité désire reprendre le travail.

« LE REVEIL DU NORD », journal du Vieux Syndicat, dans son numéro du 30 mars, estime que sur l'effectif du personnel employé au fond (55 019), il convient de retrancher les victimes de la catastrophe (1 200), les jeunes de moins de 18 ans qui n'ont pas pris part au vote (8 072: 15 % environ du personnel) et les agents de maîtrise ou employés du fond (2 152, soit 4 %) qui ne sont pas touchés par les discussions avec les Compagnies. De ce fait, le total des électeurs est ramené à 43 595.

Le résultat du vote dans le Pas-de-Calais s'établirait comme suit

POUR LA GREVE                               21913

POUR LE TRAVAIL                           14 453

POUR LES 8 FRANCS                            834

ABSTENTIONNISTES ET NULS          6395 

                                                           43 595

 

 

Le nombre des abstentionnistes s'élèverait donc à 6 395 au lieu des 21 000 annoncés, nombre qu'il convient cependant encore de réduire : des ouvriers n'ont pu participer au vote du fait qu'ils habitaient dans des communes situées hors du bassin minier (mineurs de l'arrondissement d'Hazebrouck notamment), ou par suite d'un manque de temps des communes pour l'organisation du scrutin (celle de Lillers par exemple). En fin de compte, le nombre des abstentionnistes s'élèverait tout au plus à 5 000, soit 10 % des inscrits.

La même règle étant appliquée pour les travailleurs du département du Nord, on aboutit aux chiffres suivants

- Nombre d'électeurs : 16 714, soit le nombre des mineurs employés au fond (20 634), déduction faite des employés et jeunes gens (3 920).

- Résultat du vote

POUR LA GREVE                               10 607

POUR LE TRAVAIL                             3 621

ABSTENTIONNISTES ET NULS         2 486

Les résultats du vote pour l'ensemble des deux départe­ments seraient les suivants

- Nombre d'électeurs : 60 309.

- Résultat du vote

POUR LA GREVE                32 520

POUR LE TRAVAIL             18 074

8 HEURES, 8 FRANCS             834

NULS                                        78

ABSTENTIONNISTES         8 803

En présence des résultats complets du référendum, le quatrième Congrès des délégués des syndicats des mineurs du Nord, d'Anzin et du Pas-de-Calais, réuni à Lens, décide la poursuite de la grève et une nouvelle démarche auprès des représentants des Compagnies.

Mais, ce vendredi 30 mars, un événement d'une extrême importance influera sur ces résultats ... Le détonateur d'une grève à outrance? ...

 

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