MANIFESTATION A BILLY-MONTIGNY, CONFERENCE A PARIS
Le 18 mars, rappelle « L'ACTION SYNDICALE », c'est l'anniversaire de la Commune. « Le jour où toutes les villes socialistes et révolutionnaires protestent contre les massacres des ouvriers parisiens par la réaction versaillaise, il est du devoir des mineurs de protester contre le massacre des mineurs courriérois »'. Tous à Billy-Montigny !
En prévision de la manifestation, un important service d'ordre est mis en place. Le maire demande le retrait des gendarmes. Il obtient gain de cause. Quelques-uns resteront, symboliquement.
Deux cortèges se forment vers 11 heures. L'un sur la route nationale : manifestants venus surtout de Lens, précédés de deux drapeaux rouges dont l'un est porté par la citoyenne Mairesse, les cheveux ornés d'un ruban rouge. L'autre, au-delà du passage à niveau, sur la route de Rouvroy ; en tête, un drapeau rouge.
Deux mille personnes environ se dirigent ainsi vers le cimetière de Billy-Montigny où elles se rassemblent aux abords de la fosse commune.
La foule est calme. Sur le monticule de terre qui borde la fosse prennent place les orateurs.
Quillent, de la Confédération Générale du Travail, après avoir salué les victimes, invite le prolétariat à s'organiser. Des enquêtes officielles, il ressort toujours que chacun a fait son devoir. C'est aux ouvriers qu'il appartient d'assurer la sécurité ! Leur salut? Le syndicat.
« Syndiquez-vous » répètent Dalzant, puis Chalmandrier, délégué de Montceau-les-Mines, qui rappelle des engagements pris lors de catastrophes à Montceau, engagements non tenus.
« Les morts engloutis dans ce silo crient vengeance » clame d'un ton violent Evrard-Bernard, délégué mineur à Hénin-Liétard. Les mineurs ne doivent plus être « un bétail docile » que l'on « conduit à la boucherie ».
Broutchoux, quant à lui, proteste contre « les mensonges de la presse capitaliste ». S'il y a eu catastrophe, c'est parce qu'il y a eu surproduction. La faute en incombe non seulement à la Compagnie de Courrières, mais à la société capitaliste tout entière. Aux salaires s'ajoutent des primes ? Une « fumisterie » qui permet de bien payer « les rouffions et les poires cuites ». Pour les exploitants, la production charbonnière est tout, les vies humaines ne sont rien. « Si pour chaque ouvrier tué, on tuait un patron, ceux-ci - qui tiennent à la vie pour les jouissances qu'ils y trouvent - feraient plus attention à la sécurité des travailleurs ».
Après avoir égratigné au passage la religion, Broutchoux réclame pour les mineurs plus de considération, une meilleure répartition des produits de la mine. De la mort des victimes doit sortir une amélioration du sort des travailleurs. Comme les orateurs précédents, il conclut : « Unissez-vous, syndiquez vous. Quand vous serez unis, vous serez invincibles. Vous ne verrez plus un ministre venir vous expliquer pourquoi on envoie des troupes, car on n'en enverra plus. Des mineurs dépend le sort de toutes les industries. Fédérés dans le monde entier, ils constitueront une puissance absolument irrésistible qui dictera ses volontés à tous ».
La manifestation de Billy-Montigny, une manifestation qui s'est terminée sans incident.
A Lens, Clémenceau n'avait pu rencontrer Broutchoux, parti à Tourcoing. Plus précisément à l'imprimerie Gallet, rue de Tourcoing à Roubaix où est imprimé « L'ACTION SYNDICALE », organe hebdomadaire de la « Fédération Syndicale des ouvriers mineurs et similaires du Pas-de-Calais», affiliée à la Confédération Générale du Travail. Un journal de format modeste par rapport aux quotidiens. Rédaction et administration 29, rue de Lille, à Lens. C'est là que toute correspondance doit être adressée au nom de Benoît Broutchoux, secrétaire de la rédaction. Correspondant à Billy-Montigny : Louis Guilain.
Broutchoux était parti chercher les exemplaires du 18 mars. En titre, sur toute la largeur de la feuille :
LES ASSASSINS DE LA COMPAGNIE DE COURRIERES.
IL Y AURAIT PLUS DE 1 500 VICTIMES!
L'INDIGNATION ET LA REVOLTE DES « NOIRS ».
VERS LA GREVE GENERALE : 30 000 GREVISTES.
IL NOUS FAUT 8 HEURES ET 8 FRANCS.
En raison de la situation, le journal paraîtra le jeudi et le dimanche. Et plus souvent si cela s'avère nécessaire.
Concernant les secours aux victimes, les broutchoutistes ne veulent pas de l'or des enrichis, fruit de l'exploitation des travailleurs. « Achetez des bijoux à vos dames et à vos maîtresses, roulez en voiture, amusez-vous, donnez du luxe à vos rejetons pendant que les orphelins de nos victimes sont en guenilles ». Mais, « prenez garde que votre maladie du métal maudit ne soit pas la cause de votre perte ».
Pour les secours, deux comités sont formés. Le premier, celui des officiels dont fait partie « le député de l'alliance des classes, le roublard Basly » : les bourgeois qui rendent une partie de ce qu'ils ont pris aux travailleurs. Le second comité, c'est celui des ouvriers. Qu'ils envoient leur obole au comité du syndicat, au trésorier Léon Lobel, 128, rue de Lille à Lens.
Les sauveteurs allemands sont à l'honneur. Le journal publie la lettre qui leur a été adressée le 15 mars, au nom de la Fédération Syndicale, par le secrétaire Georges Falempin. Une lettre qui est plus qu'un merci aux «camarades allemands: « Entre nous ce sera toujours à la vie et à la mort » et « Soyez assurés que nous ne prendrons jamais les armes contre vous-. Fraternité des peuples et condamnation des guerres à la base desquelles on trouve « l'appétit capitaliste ».
Sont également reproduits
- le discours prononcé par André Philibert, de Montceau, sur la tombe des victimes à Billy-Montigny : des condoléances certes. Mais aussi une condamnation de la société : « Au lieu de produire pour les besoins de la consommation, on produit pour faire des bénéfices ». Et surtout un appel à la réaction « Nous ne devons plus être de la chair à travail », « Préparonsnous pour la Révolution sociale ! » ;
-Le rapport sur la catastrophe du délégué mineur, Simon Pierre, dit Ricq, qui a quitté le Vieux Syndicat plutôt préoccupé, à son avis, des « intérêts électoraux de Basly que des intérêts économiques des mineurs », pour adhérer à la Fédération Syndicale estimée « apolitique ».
A en croire les journaux patronaux, le bilan de la catastrophe serait de 1 095 morts. « L'ACTION SYNDICALE » conteste ce chiffre. Il y aurait au moins 1 500 victimes auxquelles il faut ajouter 1 100 veuves et 6 000 orphelins.
Le comité de grève s'est réuni. Les revendications du Vieux Syndicat? Des améliorations sans importance. Que demande la Fédération Syndicale?
1) Journée de 8 heures : de la descente à la remonte.
2) Suppression du travail à la tâche.
3) Salaire horaire par catégories : à 13 ans, 40 centimes ; à 14 ans, 50 centimes ; à 15 ans, 60 centimes ; à 16 ans, 70 centimes ; à 17 ans, 80 centimes ; à 18 ans, 90 centimes : à partir de 19 ans et au-dessus : 1 F.
4) Réintégration de tous les congédiés dans leurs Compagnies respectives.
5) Retraite de 2 F par jour après 25 ans de travail, sans condition d'âge.
6) Droit au logement pour les veuves et pensionnés ; maintien des avantages du personnel en activité : charbon, médecin, etc. .... sans retenues.
7) Liberté de conscience absolue.
8° Médecins nommés par les ouvriers.
9) Droit pour les délégués mineurs d'arrêter le travail, lorsqu'ils le jugeront nécessaire pour la sécurité des ouvriers.
Dans le rapide qui les conduit à Paris, les 25 délégués désignés au Congrès de Lens sont inquiets. L'entrevue de Clémenceau avec les broutchoutistes n'implique-t-elle pas une sorte de reconnaissance de la « Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais » ? Celle-ci n'est-elle pas en puissance de traiter directement avec les Compagnies?
La délégation ouvrière arrive à 11 heures au ministère des Travaux publics. La délégation patronale est déjà réunie dans la cour d'honneur Clémenceau et Duréault se promènent.
C'est l'heure de la conférence. Dans une salle de réunion, Barthou accueille les délégations dont les intérêts sont solidaires. « Le Gouvernement qui vous a rapprochés et réunis attend avec confiance les résultats de vos délibérations ». Puis il s'en va, laissant les parties en présence.
Reumaux se plaint qu'il n'y ait pas eu, comme par le passé, des pourparlers préalables à la grève. Basly rétorque le mouvement a été spontané. Avant de passer aux délibérations, Casimir-Périer observe que la délégation patronale ne comprend que 11 membres. Parmi les 25 délégués, 11 sont donc choisis pour participer aux délibérations, les autres restant dans la salle comme observateurs.
A 12 h 30, fin de la première séance. Résultats ? La délégation patronale rejette l'examen de la proposition concernant le salaire minimum ; quant à l'augmentation des salaires, Reumaux et Casimir-Périer semblent animés de dispositions conciliantes. Seul point acquis : plus de travail à forfait à Liévin.
L'après-midi, poursuite des débats. Les délégués présentent les revendications formulées par les mineurs au Congrès de Lens. Ils les défendent avec une telle compétence et une telle loyauté qu'au nom de toute la délégation patronale Reumaux et Casimir-Périer tiennent à assurer la délégation ouvrière que, seul, le Vieux Syndicat sera reconnu comme interlocuteur dans le conflit en cours.
Les délégués ouvriers avaient apporté leurs revendications ; et les représentants patronaux des propositions, des directives
1) Relèvement de la prime de 30 à 40 % sur la base de 4,80 F.
2) Maintien du système des primes, la fusion de la prime avec le salaire étant repoussée ainsi que le salaire minimum.
3) Augmentation du salaire des galibots dans des proportions à discuter.
4) Prorogation de 5 ans d'avantages sur retraites établis par une décision de 1902.
5) Proposition d'un moyen de contrôle des salaires, mais qui ne serait pas le carnet de paie établi en double exemplaire.
6) Aucun engagement concernant le maintien des veuves et des pensionnés dans les corons.
Finalement, la délégation patronale concède quelques menus avantages liés à une reprise immédiate du travail. La délégation ouvrière prend acte de ces avantages qu'elle soumettra à ses commettants. La base décidera.
Mardi matin arrive à Lens le directeur du journal « L'ouvrier mineur allemand », Wyssmann, venu faire une enquête sur la catastrophe et voir comment répartir équitablement les fonds recueillis en Allemagne. Il apporte un premier secours de 5 000 marks (environ 6 000 F) pour les familles des victimes.
Vers midi, à la Maison du Peuple, conférence. Broutchoux appelle les deux organisations syndicales à fusionner et invite les grévistes à se rendre en masse à 14 heures devant la mairie pour réclamer l'entrée des délégués de la Fédération au Congrès. La citoyenne Sorgues attaque le Vieux Syndicat, et surtout Basly.
14 h 30. Les broutchoutistes ne sont pas admis à participer au Congrès. Dehors, c'est le vacarme.
Basly, après avoir déclaré la séance ouverte, passe la parole à Wyssmann. Thomas de « L'HUMANITE » traduit.
Qu'a constaté Wyssmann ? Les profits des Compagnies vont croissant, et les salaires diminuant. Un conseil : constituer une organisation solide et calme. Une organisation solide grâce à des cotisations fortes : le mineur français verse au Syndicat 0,16 F par semaine ; le mineur allemand, 0,60 F. « Avec de telles cotisations, nous pouvons instituer des caisses de solidarité pour le cas de grève ou de chômage ».. Un militant est-il chassé de la mine? Le syndicat assure sa vie. « C'est pour cela que nous sommes forts, que nous pouvons aller, avec fierté, trouver nos patrons et discuter avec eux». Une organisation calme. L'an dernier, 200 000 mineurs en grève dans la Ruhr : les mineurs se rendaient aux réunions, calmes ; ils y discutaient avec calme ; ils rentraient chez eux, calmes. « Pas d'énergumènes comme ceux que j'entends d'ici ... Nous estimons, nous, que des désordres, comme ceux dont je suis ici le témoin attristé, déshonorent une organisation ouvrière».
Basly donne ensuite la parole à Bouveri, député de Saône-et-Loire. Le groupe parlementaire socialiste, favorable à la fusion des syndicats, l'avait désigné comme médiateur. Le matin, il a rencontré des représentants du syndicat Broutchoux ; ceux-ci désiraient la fusion. Maintenant ils « conduisent le boucan » ; et, en réunion, ils ont outragé les membres du Congrès. Si la fusion s'avère impossible, Bouveri partira.
Basly le remercie et passe à l'ordre du jour du Congrès. Après avoir traité du problème de la fusion, il rappelle la visite de Clémenceau et insiste : -Si la grève se déroule avec calme, il vous laissera faire ; si vous vous laissez aller à des violences, vous reverrez les soldats dans nos rues et sur les chemins». Il résume ensuite les travaux de la conférence de Paris. Chacun sait à quoi s'en tenir, et d'ajouter « Je ne vous dis pas, voilà ce que vous devez accepter ; je vous dis : délibérez, pesez, et puis prononcez-vous en toute indépendance».
Plusieurs orateurs se succèdent. Les uns les autres font appel à l'union des travailleurs, décrivent l'état d'esprit qui règne dans leur secteur, discutent certains points du programme des revendications.
Cadot donne lecture d'un manifeste condamnant l'attitude des dirigeants de la « Fédération Syndicale «. Qui sont-ils ? « L'un est professeur sans emploi ; l'autre est verrier ; un autre est journaliste anarchiste ; le quatrième est anarchiste aussi et voleur par-dessus le marché ». D'où viennent-ils ? Quels sont leurs moyens d'existence ? « Aucun n'est du bassin houiller ; tous viennent de Paris ou d'ailleurs, sans être appelés par personne, avec de l'argent qui vient de quelqu'un pour semer la division ouvrière ». Ce manifeste est voté par 171 voix contre 4 ; abstentions : 2.
Des résolutions sont mises aux voix. Une proposition tendant à demander un salaire de 8 F pour 8 h de travail est repoussée. Le programme des revendications arrêté au précédent Congrès - dont la journée à 7,18 F - est maintenu. Les Compagnies seront immédiatement informées de cette décision.
Quant à la fusion, les délégués du Vieux Syndicat se déclarent prêts à s'unir avec la « Fédération Syndicale », à la condition que ses adhérents se débarrassent de leurs éléments troubles, étrangers à la corporation minière, « les Vautours de l'anarchie ».
Pendant ce temps que font les broutchoutistes ? Ils manifestent leur mécontentement d'avoir été exclus des négociations. Des gendarmes à cheval empêchent l'accès de la place de la mairie. Ils forcent le barrage. Une bagarre éclate. Trois arrestations dont celle de Broutchoux. Quelques minutes avant la fin du Congrès, ils sont extraits du « violon municipal » et conduits à la prison de Béthune.
Le Vieux Syndicat a repoussé les propositions des Compagnies. La « Fédération Syndicale » repousse également ces propositions, ainsi que celles - jugées trop timides - du Vieux Syndicat. Broutchoux est en prison. Qu'adviendra-t-il ?
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BILLY AU COEUR DE LA CATASTROPHE DE COURRIERES