CHAPITRE VII

 

REMONTE DES CADAVRES A LA FOSSE 2

 

L'équipe de sauvetage allemande avait emporté neuf appareils respiratoires du type « Shamrock - et deux appareils « Dräger » dont s'étaient également munis les sapeurs-pompiers de Paris. D'autres appareils devaient être envoyés par la suite.

Cet appareil « Shamrock », utilisé spécialement pour les opérations de secours dans les mines, se compose d'un groupe de trois bouteilles d'acier entourées d'un sac protecteur contre les chocs et munies d'une valve de communication avec la canalisation d'oxygène. Le sac protecteur renferme dans sa partie inférieure un régénérateur contenant des morceaux de potasse qui fixent l'acide carbonique, lequel sac porte en outre une soupape de sûreté laissant échapper le gaz au-delà d'une certaine pression. La réaction « potasse - acide carbo­nique » réchauffe l'air, rendu plus respirable par le passage dans un tube métallique formant autour des bouteilles une sorte de cadre. La respiration s'effectue par l'intermédiaire d'un masque, ou couvre-nez, relié au sac respiratoire par un tube en caoutchouc. Autonomie de marche : 2 heures.

Cet appareil, utilisable par ailleurs pour réanimer des personnes évanouies, permet aux sauveteurs protégés de vête­ments d'amiante de s'introduire dans des passages très étroits où il n'est possible d'avancer qu'en rampant. Ils opèrent de ce fait beaucoup plus facilement que leurs camarades équipés du modèle « Dräger », ceux-ci ayant la tête emprisonnée dans un casque.

Après l'exploration des lieux lors de leur première descente, les sauveteurs allemands se mettent au travail. Ils ramassent des cadavres, les chargent sur leurs épaules et, au pas de course, les portent à l'accrochage où, dans la nuit de lundi à mardi, ils en rassemblent une quarantaine.

Régulièrement, ils regagnent la surface pour puiser un peu d'air frais ; ils y sont accueillis avec une considération qui va grandissante.

Au cours de cette nuit, 25 cadavres sont remontés et conduits à la lampisterie après avoir été aspergés de chlore et de phénol. La plupart sont noirs, gonflés, méconnais­sables. Seront néanmoins reconnus grâce en partie à leurs vêtements ou aux objets qu'ils portent

- GAMAND Félix (29 ans) de Fouquières ;

- CAILLERET Emile (20 ans), DEPREZ Joseph (18 ans) de Rouvroy ;

- CHEVALIER Raymond (40 ans), DUBOIS Henri (15 ans), OWEL Léon (15 ans) d'Hénin-Liétard ;

- BAJART André (55 ans), COUSIN Adolphe (37 ans), CURAT Henri (40 ans), DEGAND Alfred (38 ans), DOU­CHY Iréné (25 ans), FRIQUE Jules (37 ans), LADANT Nicolas (35 ans), LAMY Jean-Baptiste (22 ans), LEGRAND Léon (23 ans), LHOMME Achille (20 ans), MARBAIX Victor (24 ans), PARMENTIER Frédéric (38 ans), SALOME Camille (28 ans), VANDERNOTTE Louis (35 ans) de Billy-Montigny.

Des scènes poignantes, déchirantes, accompagnent chaque fois la douloureuse épreuve de la reconnaissance des corps.

Une femme, avertie que son mari était parmi les morts, arrive, soutenue par un jeune garçon. A dix mètres de la salle, elle s'arrête. Statue vivante de la douleur. Les forces lui manquent ; elle n'ose, elle ne peut pas entrer. Elle repart, se traînant, sanglotant tout bas, au milieu des assistants en pleurs.

Vers 10 heures, alors que, dans le hangar tout proche se prépare la cérémonie religieuse, une femme arrive de Méri­court. Il reste cinq cadavres à reconnaître dont celui d'un adolescent. Elle cherche son enfant. C'est lui. Elle s'arrête, le regarde, se jette sur son corps en décomposition, l'embrasse éperdument. Avec peine, on la dégage de cette étreinte dangereuse.

La première équipe allemande est restée au fond tard dans la nuit, sous la direction personnelle de Meyer. Une autre équipe, dirigée par Frentzel, lui succède.

A la surprise générale des Allemands : suspension des travaux de 10 à 16 heures. Ordre de Delafond. La raison ? Permettre à tous d'assister aux obsèques des victimes remontées ...

15 h 30, sur le quai de la gare de Billy-Montigny Meyer et la majorité des sauveteurs allemands. Ils prennent le train de 15 h 40 pour Lille. Ils retournent en Allemagne ...

Que s'est-il passé?

Meyer représente l'Allemagne. Delafond, la France. Deux pays diplomatiquement en conflit, deux pays qui en « décou­dent » - à Algésiras.

Meyer est un technicien, un « praticien » de la mine, un spécialiste du sauvetage. Delafond, un inspecteur général des mines à Paris, chargé de diriger les opérations de sauvetage.

Ces opérations auraient pu être menées simultanément par les puits 2 et 4, avait estimé Meyer ; Delafond ignora la suggestion. Dans la nuit de lundi à mardi, Meyer et ses collaborateurs avaient donné diverses idées sur la conduite des opérations. Delafond les ignora. Qu'on arrête les travaux une demi-journée pour les obsèques, les Allemands ne le comprennent pas : c'est perdre un temps précieux. Il faut redoubler d'efforts, et enrayer, de suite et par tous les moyens, le feu ; le laisser s'étendre, c'est risquer d'annihiler toutes chances de sauvetage.

Delafond avait méconnu Meyer. Bien plus, il ébauchait, dit-on, ses plans en secret ; ne les confiant même pas, semble-t-il, aux ingénieurs français : parce qu'ils seraient acquis aux idées des Allemands ? Pour Meyer, il était apparu claire­ment que Delafond ne voulait pas collaborer avec lui : l'équipe allemande était-elle de ce fait encore utile aux Français ? L'attitude de Delafond avait exaspéré Meyer. Plier devant Delafond ? Cela, jamais ! Meyer choisit de partir, la tête haute ! Et surtout aussi, parce que tous étaient convaincus qu'il n'y avait plus de survivants dans la mine.

Meyer, Delafond : deux hommes face à des circonstances exceptionnelles réclamant des décisions rapides, inhabituelles, dans un contexte de politique internationale tendue ; deux personnalités ayant mis au-dessus de tout l'honneur national.

Meyer s'en va, laissant néanmoins huit hommes sur place à la disposition des Français ... La veille, l'accueil des Allemands avait été plutôt froid ; mais, en moins de 24 heures, ils avaient gagné l'estime, le respect de la population. Aussi, malgré les obsèques encore toutes proches, il y a foule à la gare, sur le quai, et au passage à niveau.

Leur départ est empreint d'une certaine sympathie de la part des autorités, et de chaleur humaine de la part de la population. Il manque un sauveteur à l'appel ? Le chef de gare retarde le départ du train. Lorsque celui-ci s'ébranle, c'est au milieu de cris : « Vivent les sauveteurs allemands ! ».

Un pompier parisien lance à leur adresse :

- Malgré l'affaire marocaine, nous sommes de bons camarades !

La foule agite des mouchoirs, des chapeaux ….

La forte impression produite par l'arrivée des sauveteurs allemands a mis momentanément dans l'ombre le détachement de sapeurs-pompiers de Paris, que viendra rejoindre, le 14 mars, le Capitaine De Salles de Hys,  (capitaine De Salles de Hys)envoyé par le Préfet de Police sur la demande de leur Colonel.

Ils sont employés conjointement avec les huit sauveteurs allemands à l'exploration des galeries, à l'enlèvement des cadavres.

En avant, un guide : ouvrier ou agent de maîtrise ; suivi de deux sauveteurs munis de leur appareil respiratoire, prêts à intervenir pour ramener immédiatement leur guide à l'air frais en cas d'indisposition.

L'institut Pasteur avait envoyé un important contingent de souris blanches. On les abandonne un peu partout dans les galeries et chantiers du fond. Où elles vivent, l'homme peut passer. Mortes, il y a danger : présence d'oxyde de carbone.

L'exploration est progressive. Dès le mercredi, des équipes ont pu cependant s'éloigner de plusieurs centaines de mètres du puits 2, frayant ainsi la voie en direction de la fosse 3. Au fur et à mesure qu'elles avancent, les éboulements sont plus nombreux, les cadavres plus pénibles à voir : la figure effroyablement déformée, des traînées de sang partant de la bouche, le regard terrible, la peau se détachant en lambeaux. Certains sont noircis, momifiés, absolument mé­connaissables.

Les corps remontés continuent à être alignés dans l'ancien réfectoire transformé en morgue où les familles ont libre accès. Instinctivement, les visiteurs mettent à la face un mouchoir. Les corps sont dans un tel état que l'atmosphère de la fosse et des environs est imprégnée d'une odeur de chair putréfiée. Chaque voyageur, arrivant en gare de Billy-montigny, est aussitôt saisi à la gorge par cette odeur.

Quel courage, quel esprit d'abnégation ne faut-il pas aux sauveteurs!

« Vous ne pouvez vous faire une idée de ce qui se passe là-dessous. Il me semble que ce n'est pas plus terrible dans un enfer. On ramasse de tous côtés des jambes, des bras, des têtes, et, avec cela, une odeur épouvantable se dégage des galeries. Je crois bien que je sentirai le cadavre pendant toute ma vie ! » dira plus tard à un journaliste le mineur Thomas Arcel, venu d'Auchel participer aux opérations de sauvetage dès le premier jour de la catastrophe.

De leur côté, le maire, ses adjoints Laurent et Brillon, se succèdent en permanence à la fosse dans une salle adjacente à la lampisterie, salle aménagée en bureau.

Vers 16 heures, dans les mairies de Billy-Montigny, Méricourt et Sallaumines, arrive de la Préfecture d'Arras la dépêche suivante

«Très urgent - Du rapport du Docteur Lourties, chef du service médical, il résulte qu'il devient nécessaire de procéder immédiatement à l'inhumation des victimes de la catastrophe de Courrières ».

« Un délai maximum de une heure sera accordé aux familles pour la reconnaissance des victimes. Ce délai expiré, les corps seront transportés d'urgence à Méricourt. Les cada­vres reconnus seront immédiatement inhumés».

A 18 heures, sortent du carreau de la fosse quatorze cercueils répartis sur deux véhicules. Les services religieux de mardi ont été célébrés pour tous les morts remontés ou non des fosses ; le convoi funèbre part directement au cime­tière. Dans la nuit tombante se rassemblent rapidement un millier de personnes, parmi lesquelles le maire et son adjoint Laurent.

Au cimetière, des femmes s'opposent à l'inhumation dans la fosse commune où reposent déjà une quarantaine de victimes. La mise en terre dure plus d'une demi-heure ; elle s'achève dans une obscurité à peine trouée par la lueur de quelques lanternes fumeuses.

Du mercredi 13 au jeudi 15 à l'aube, une soixantaine de corps sont extraits de la fosse ; 43 seront reconnus

- FREMY Louis (24 ans) de Dourges ;

- LEPOT Emmanuel (32 ans) de Thélus ;

- DUBOIS Julien (18 ans), DURIEZ Pierre (17 ans) d'Hénin-­Liétard ;

- DELBROUCQUE Jean-Baptiste (18 ans), DUBOIS Jean­ Joseph (43 ans), LEFIN Henri (43 ans), LEROY Lucien (25 ans), MANOUVRIEZ Elle (24 ans) de Méricourt ;

- CASIMIR Edouard (32 ans), DUPUIS Jules (37 ans), DUSSART Alexandre (38 ans), LAMAND Marcel (16 ans), LIEGEOIS Auguste (26 ans) de Montigny ;

- COGNET Philippe (16 ans), GAILLARD Jules (24 ans), GOUBE Victor (15 ans), GOURDIN Arthur (14 ans), GOURDIN Henri (49 ans), LEVEQUE Philippe (54 ans), PLE Charles (20 ans) de Fouquières ;

- BERNARD Léon (32 ans), BERTIN Alexandre (16 ans), BIREMBAUX Edmond (19 ans), BOUILLIEZ Henri (17 ans), CANIVEZ Jules (16 ans), CHARDON Henri (30 ans), CLIQUE Etienne (43 ans), COQUELLE Charles (39 ans), DELCROIX Alfred (20 ans), DANGREMONT Eugène (14 ans), DRUELLE Louis (18 ans), GOURLET Adolphe (36 ans), GRIVET Joseph (36 ans), JOUVENET François (15 ans), LENGLIN Désiré (44 ans), LIBRE Emile (18 ans), LORIAUX Alfred (32 ans), MAHIEUX Alcide (28 ans), QUANTIN Victor (19 ans), QUESNOY Dominique (17 ans), STRADY Léon (26 ans), DONFUT Désiré (49 ans) de Billy-Montigny.

 

Un peu partout dans le carreau de la fosse, sur des piliers, des pancartes. En gros caractères, une inscription -Il y a grand danger à toucher les morts ».

Malgré l'effroyable odeur de chair pourrie qui se dégage, deux femmes, admirables de dévouement, font inlassablement la toilette des morts avant de les ensevelir. Avec une extrême simplicité, elles accomplissent une tâche - ô combien dangereuse ! - Leur nom ? Mme Tondeur, Mme Guilbert.

Les instructions du Préfet sont vite connues de la population. Aussi, ce jeudi matin, sous une pluie glaciale transformant en boue l'épaisse couche de neige, la foule est-elle nombreuse sur le carreau et aux abords de la fosse.

Des mineurs vont et viennent. Dans le hangar, où sont entassées des croix sans inscription, les uns déposent des cercueils sur des tréteaux, d'autres les portent sur des convois.

Part à Thélus le corps d'Emmanuel LEPOT. Un camion emporte trois cercueils à Fouquières. Douze autres, dont dix portent la mention « Inconnu » ; sont rangés dans un fourgon de chemin de fer ; destination : Méricourt-Corons.

Quant aux victimes de Billy-Montigny, leur départ pour le cimetière est prévu à 10 heures.

Jusqu'au dernier moment on procède à la reconnaissance des corps dans les cercueils. Quelqu'un vient de reconnaître un adolescent. La mère, présente dans la foule, se précipite vers son enfant, une masse informe ; éclate en sanglots. Le cercueil est fermé, puis hissé sur un chariot où sont déjà empilés treize autres cercueils recouverts d'une bâche rouge.

Et c'est la levée des corps en présence du maire.

En tête du cortège, la fanfare municipale de Fouquières venue rendre un suprême hommage à l'un de ses membres, Jules Gaillard. Une foule considérable accompagne les victimes. Des femmes aux longs voiles, vêtues de noir, se comptent par centaines. Ce sont toutes les familles endeuillées qui, chaque fois, se rassemblent.

Dans la tranchée nouvelle, creusée auprès de la fosse commune, les cercueils sont descendus. Au milieu de sanglots, de cris de douleur. De cris de désespoir.

Au nom du conseil municipal, le maire, après avoir évoqué le souvenir des morts, leur adresse un dernier adieu. Delacour, du Syndicat « dissident » , des mineurs du Pas-de­-Calais ; puis Omer, de la « Jeunesse de Montigny-en-Gohelle » A crient vengeance ! De la foule s'élèvent des clameurs « Assassins ! », « Vive la grève ! », « Vive la Révolution ! ».

Dans la matinée de jeudi, le bruit court à Lens qu'on a retrouvé 125 vivants à la fosse 2... Alors qu'un nouveau drame se joue à environ 800 mètres du puits ...

Lors d'une tournée au fond, Petitjean et Domaison ont aperçu à quelque 30 mètres devant eux, au détour d'une galerie, des flammes. Un incendie s'est déclaré. Il est 8 h 30.

Alerte générale ! Remonte immédiate de tout le person­nel au fond, y compris les sauveteurs.

Delafond, resté seul pour diriger les travaux - Léon étant tombé malade à la suite d'une descente trop prolongée - décide de barrer les bowettes par lesquelles arrive l'air susceptible d'aviver le feu.

Des berlines de briques, truelles et autres matériaux sont descendues. Une équipe de maçons, accompagnée des pompiers, édifie trois barrages dans la bowette 340 et un quatrième dans la bowette 306.

Dans l'après-midi, un communiqué : « On fait des barra­ges contre les feux et on va commencer à relever les cadavres de la veine Ste-Barbe. C'est à tort que l'on a mentionné l'espoir de retrouver des ouvriers vivants aux recettes de la fosse 3. Les alentours de ce puits ont été explorés samedi et dimanche (...) sans rien trouver »

Les mesures de protection prises, on décide de poursui­vre les travaux de sauvetage à l'étage 306.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, quinze nouveaux cadavres sont remontés.

Chaque matin, depuis la catastrophe, le jeune Roland Laurent, âgé de 17 ans, fait la navette entre les fosses 2 et 10 avec le secret espoir de retrouver son père.

Ce vendredi matin, Roland va de l'une à l'autre des victimes remontées la nuit. Elles sont dans un état de décom­position très avancée. Enflées, méconnaissables. Il hésite, regarde les vêtements. Soudain, à une ceinture, une pincette en cuivre. Comme celle qu'il avait fabriquée pour son père dans l'atelier d'ajustage, annexe de la fosse, afin de lui permettre de remonter la mèche de sa lampe suivant les nécessités.

Son cœur bat. Il avait gravé le nom de son père sur cette pincette. Serait-ce lui? Oui ! Vite, il court à la maison avertir sa mère, son jeune frère, et les autres membres de sa famille pour l'enterrement. Il faut aussi prévenir sa sœur mariée qui se trouve très éloignée de Billy-Montigny.

 

Parmi les quinze cadavres remontés, onze sont reconnus

- WADOUX Eugène (26 ans) de Fouquières ;

- COILLOT Alphonse (30 ans), COPIN Oscar (50 ans), CORNET Jean-Baptiste (20 ans), DELVALLEE Emile (28 ans), DESHAYE'S Séverin (39 ans), LAURENT Emile (45 ans), LHEUREUX Lucien (17 ans), TELLE Jean-Baptiste (55 ans), TONNEAU Jean-Baptiste (20 ans), WARTELLE Arthur (14 ans) de Billy-Montigny.

Ceux qui n'ont pas été reconnus sont dirigés vers le cimetière de Méricourt-Corons. Pour les autres, enterrement à 10 heures.

Devant la plupart des cercueils rangés dans la fosse commune et recouverts `d'une épaisse couche de chaux vive, le maire, Tournay, prononce l'allocution de circonstance, une allocution d'un caractère assez exceptionnel.

Citoyennes, Citoyens,

C'est le cœur rempli d'une indicible tristesse que je reviens encore aujourd'hui devant cette immense tombe qui à jamais va devenir célèbre par les nombreuses victimes qu'elle renferme.

Camarades victimes du travail, vous êtes morts pour la plupart en héros, périssant en voulant vous arracher mutuellement au danger qui venait vous surprendre au travail.

L'abominable catastrophe qui vous a ravis si brusque­ment et d'une façon si tragique nous avait jetés dans la consternation, mais à cette heure où le sang-froid nous est revenu, nous venons vous dire que nous saurons faire tout pour assurer l'existence à ceux qui vous étaient si chers, et pour qui vous travailliez si courageusement.

Femmes veuves, orphelins, que ces paroles puissent vous apporter une légère consolation, et vous, chers morts, reposez en paix. La terre qui doit à jamais vous recouvrir ne sera plus souillée, car le terrain qui contient vos dépouilles mortelles vous a été dans l'assemblée communale d'hier concédé à perpétuité.

Une dernière fois, frères du travail, adieu  »

Le feu prenant de l'extension, la recherche des cadavres est de nouveau interrompue vendredi matin, tandis que des travaux de maçonnerie sont exécutés à l'étage 306.

Le Directeur de l'Institut Pasteur de Lille, le Docteur Calmette, sur invitation d'une commission d'ingénieurs, descend au cours de la journée dans la fosse : l'exploration des galeries est très dangereuse, le contact des cadavres risque d'infecter mortellement des sauveteurs blessés au sang, même légèrement. Dans ces conditions, n'est-il pas préférable de cesser tout maniement, tout transport de cadavres?

L'après-midi, tous les travailleurs sont remontés.

Samedi 17. Poursuite des travaux en vue d'enrayer les progrès de l'incendie.

La commission des médecins nommée par Clémenceau, commission dont fait partie le Docteur Calmette, arrive vers 11 h 30 à Lens qu'elle quitte aussitôt pour Billy-Montigny.

Après avoir rencontré les responsables du Vieux Syndicat et de la « Fédération Syndicale », Clémenceau arrive à son tour à Billy-Montigny vers 14 h 30 où il est reçu par le Directeur de la Compagnie, Lavaurs, et l'inspecteur principal des mines, Delafond. En cours de route, il s'était arrêté à la fosse 4 de Sallaumines où l'ingénieur Weiss lui a expliqué les conditions d'aérage dans les puits sinistrés.

A la fosse 2, le ministre se fait exposer la situation. Il souhaite saluer les sauveteurs allemands. lis sont occupés sous terre. Il prie Delafond de leur présenter ses félicitations, ainsi qu'aux autres sauveteurs.

Clémenceau assiste ensuite à une partie de la séance tenue par les médecins réunis dans l'un des bureaux de la Direction. Puis, après une rapide visite des installations du jour, il remonte en automobile. La voiture roule sur la route nationale en direction d'Hénin-Liétard où elle s'arrête à l'entrée de la ville : une courte visite à la fosse 6 du Tonkin ... .

Qu'a décidé la commission médicale ?

Après la réunion, un communiqué est publié.

« MM. le professeur Chantemesse, inspecteur général des services sanitaires, et le docteur Jules Renault, inspecteur général adjoint, délégués par M. le Ministre de l'intérieur, après enquête sur place, estiment que les travaux entrepris en vue d'extraire les cadavres de la mine, ne laissant pas l'espoir de ramener des personnes vivantes et présentant de très grands dangers pour les sauveteurs, doivent être conduits suivant une méthode différente ».

Et ces délégués de préciser leur pensée. La ventilation, telle qu'elle est pratiquée, ne présente pas de danger. Bien au contraire, elle permet de lutter contre l'incendie d'une part, et de procéder au relèvement d'un petit nombre de galeries d'autre part.

Ainsi tous les recoins de la mine pourront être explorés assez rapidement, et les mineurs ensevelis ramenés au jour par la suite.

«  Les familles des malheureuses victimes n'ont pas à se préoccuper de cette situation ; les corps seront tous remontés dans un délai assez court et les reconnaissances ne seront pas plus difficiles qu'aujourd'hui, attendu qu'elles n'ont déjà lieu qu'au moyen d'objets trouvés sur les victimes, tels que : montres, vêtements, chaussures »

Dans la population atterrée, un bruit court : la recherche, la remonte des victimes sont reportées à deux, et même trois mois. Passé ce délai, la décomposition des corps serait telle que l'enlèvement des « restes » ne présenterait plus de danger...

La recherche, la remonte des cadavres sont suspendues ? La mine les rendra-t-elle ? Ceux qui ne sont pas reconnus seront enterrés dans le « silo » de Méricourt-Corons. Combien sont-ils ?

Sur les quatre faces du monument commémoratif sont inscrits 272 noms dont ceux de 20 victimes de Billy-Montigny

 

CURAT Alexandre (38 ans)                              MACAREZ Etienne (36 ans)

DONFUT Arthur (20 ans)                                 MAHIEUX Ernest (28 ans)

DOUCHY Emile (34 ans)                                    MAHIEUX Louis (23 ans)

DURIEUX Nicolas (33 ans)                               PERLOT Ildephonse (15 ans)

FRANÇOIS François (32 ans)                          RUOL Florimond (19 ans)

GAILLARD Emile (32 ans)                TONNEAU J.-Baptiste (43 ans)

HARDELIN J.-Baptiste (17 ans)                       TONNEAU Fortuné (39 ans)

HARDELIN Joseph (15 ans)                             VERTEFOIX Achille (23 ans)

LAURE Théodore (17 ans)                               VIMEUX Gustave (17 ans)

LENGLIN Emile (25 ans)                                    WIART Auguste (17 ans)

Quant aux victimes ci-après, certaines sont sans doute décédées des suites de leurs blessures ou d'un début d'asphyxie, soit à leur domicile - tel SARVILLE Louis - soit à l'hôpital ? Les autres? Des victimes remontées le jour de la catastrophe? Ou tardivement, mais reconnues grâce à des détails vestimentaires, à des objets qu'elles portaient. Qui sait ?

AUDEGOND François (20 ans)                        HUCHON Louis (40 ans)

BOTTI Gustave (39 ans)                                    JENART Augustin (25 ans)

BOUCHEZ Alcide (15 ans)                               LEMAIRE André (36 ans)

BROUILLARD Fernand (14 ans)                     MANOUVRIER Ernest (26 ans)

DELASSUS Victor (15 ans)                               PELLETIER Joseph (15 ans)

DOMISSE Adolphe (24 ans)                            REMY Charles (32 ans)

DUBOIS Emile (21 ans)                                      SARVILLE Louis (20 ans)

DUPAS Constant (27 ans)                                TONNEAU Henri (15 ans)

FAUQUETTE Rémy (23 ans)                            VERMUSE Désiré (16 ans)

GIVERS Florimond (41 ans)                              VICAIGNE Louis (24 ans)

HAMEAU Eugène (24 ans)                              VIMEUX Oscar (14 ans) HOYOIS Oscar (21 ans)

Ajoutées aux victimes citées par ailleurs, elles repré­sentent le tribut payé à la mine par Billy-Montigny lors de la catastrophe de Courrières

114 MORTS

 

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