CHAPITRE V

 

DE PARIS, D'ALLEMAGNE :

ILS ARRIVENT AU SECOURS DES MINEURS ENSEVELIS

 

Lundi 12 mars, à 5 heures du matin, arrivent à la fosse 4

de Sallaumines des sapeurs-pompiers de Paris ... Ils sont huit

le sergent              GODEFROY           Mie 211, de la 9ème Compagnie

les caporaux         LEFEVRE               Mie 2702, de la 9ème Compagnie

VOGEL                                                 MIe  4151, de la 9ème Compagnie

PROUX                                                 MIe 3188, de la 11ème Compagnie

LAPORTE                                            MIe 3453, de la 11ème Compagnie

DENIEL                                                MIe 3739, de la 11ème Compagnie

les sapeurs           LE COUEDIC           Mie 4261, de la 9ème Compagnie

                    DEFARGES               Mie 4265, de la 9ème Compagnie

                    ANDRE                     MIe 4699, de la 11ème Compagnie

 

Leur présence : pourquoi ?

Les gaz empêchent la descente dans les puits sinistrés et l'exploration des galeries : une situation très grave. Comment y remédier? En faisant appel au corps des sapeurs-pompiers de Paris disposant d'appareils indispensables à la poursuite des opérations de sauvetage. Et c'est ainsi que, le dimanche après-midi, Lavaurs avait fait appel au Colonel commandant ce corps d'élite pour l'envoi de ces appareils.

Celui-ci avait avisé le Préfet de police qui, après accord du Gouverneur militaire de Paris, décida l'envoi immédiat d'un détachement de huit hommes. Départ de la gare du Nord : 22 h 30 ...

Aussitôt le détachement arrivé à Sallaumines, le sergent Godefroy se met en rapport avec la Direction des Mines ... Des heures passent, sans qu'il soit fait appel aux services des sapeurs-pompiers ...

Affectés aux travaux de sauvetage à la fosse 2, ils y arrivent dans la journée. A quelle heure? ...

Dans l'après-midi de ce lundi, en gare de Billy-Montigny, arrive par ailleurs une autre équipe de secours : un groupe de sauveteurs allemands revêtus d'une longue tunique sombre, sanglés d'un large ceinturon, coiffés d'une casquette plate à petite visière, le pantalon disparaissant dans de larges bottes. Leur uniforme, leur démarche altière rappelle l'armée prussienne, la guerre de 1870: une défaite française ... Leur arrivée jette un froid. Et pourtant ...

Dimanche 11 mars. Meyer prend son petit déjeuner.

Qui est-il ? Le directeur de la mine «  Shamrock » apparte­nant à la Société « Hibernia » de Herne, une Compagnie des mines de Westphalie. Un directeur? Mais aussi un chercheur, un technicien, un spécialiste de la construction d'appareils respiratoires destinés à secourir dans les conditions les plus périlleuses les travailleurs des mines en détresse.

Avec les appareils de sa conception, Meyer, soutenu par l'inspecteur principal des mines, Engel, secrétaire général de l'Association pour les intérêts miniers du district houiller de Dortmund, a constitué une équipe de secours qui travaille en collaboration étroite avec un corps de sapeurs-pompiers de la mine « Rheinelbe » à Gelsenkirchen commandé par le capitaine Koch. Ce «commando» de secours qui exige de chacun une endurance à toute épreuve, une connaissance approfondie de la mine et de ses dangers, un esprit de complète abnégation, avait déjà eu l'occasion de faire ses preuves, notamment en 1905 lors d'un important incendie dans la mine « Borussia » à Dortmund. De plus, lors d'essais, il avait été prouvé qu'avec ces appareils l'on pouvait rester environ deux heures dans des secteurs emplis de fumée et de gaz toxiques.

Il est environ 9 heures. Le téléphone sonne. Au bout du fil, Engel. Il appelle d'Essen.

Avez-vous entendu parler de la catastrophe de Courrières ? demande-t-il à Meyer.

Je l'apprends à l'instant par la presse.

Les fosses, des exploitations minières du Nord de la France sont-elles bien équipées en appareils de secours? s'enquiert Engel.

Non, et c'est ainsi dans toutes les exploitations françaises.

Le dialogue se poursuit, un dialogue d'une importance capitale, un dialogue aux conséquences historiques.

- Considérez-vous comme possible une aide éventuelle des équipes de secours de la Ruhr?

- L'idée ne m'en est pas venue.

- Peut-être pourriez-vous vous rendre à Courrières avec votre équipe de sauvetage. C'est une occasion de mettre à l'épreuve votre matériel.

- Pas question d'y aller ! A moins que les Français nous le demandent, et avec Insistance !

- J'ai l'intention, poursuit Engel, de contacter le Directeur de la Compagnie des Mines de Béthune, Mercier, que je connais personnellement, pour savoir si notre aide lui paraît souhaitable.

- D'accord, interrompt Meyer. Mais à une condition expresse : votre télégramme exprimera clairement que notre équipe de secours n'ira à Courrières que sur sollicitation directe des Français.

Et d'ajouter que, si l'on pouvait compter sur lui et ses hommes, il lui faudrait d'abord s'en référer à la direction de la Société « Hibernia », et avoir son accord pour l'envoi éventuel de l'équipe de sauvetage, créée et entretenue par ladite Société.

Sur ce, Meyer se rend à son bureau où il fait part de son entretien avec Engel. Le comité de l'Hibernia doute également que des ingénieurs français s'abaissent à solliciter une aide de l'Allemagne ; et l'on s'accorde pour juger préférable qu'Engel n'intervienne pas auprès de Mercier.

Meyer rappelle Engel par téléphone, en vain. Passant outre les règlements, celui-ci, mû par un sentiment humanitaire, est parti à la poste.

En cours de route, il rencontre l'adjoint de Lôwenstein, membre de l'Association à laquelle il appartient ; il invite ce dernier à rechercher dans les archives tous documents sur les mines de Courrières et à se mettre en rapport avec la Direction des chemins de fer d'Essen.

 

Peu après 11 heures, part le télégramme : souhaitait-on l'aide des équipes de secours allemandes? Dans l'affirmative, il conviendrait de s'adresser au directeur de la mine « Shamrock » à Herne, Meyer.

Pressentant en outre le caractère dramatique de la situation, il intervient également par personnes interposées auprès de la Direction des Mines de Courrières. A 13 h 30, en accord avec les collaborateurs de Lôwenstein, un troisième télégramme est envoyé : « Nous sommes volontiers à votre disposition si besoin en est avec appareils et troupes de sauvetage ».

20 h 30. Meyer reçoit la réponse de Mercier : « Mines Courrières très sensibles sentiments condoléances ; acceptent avec reconnaissance votre proposition d'envoyer équipage de sauvetage gare Billy-Montigny Pas-de-Calais - Mercier ».

La Société « Hibernia » charge aussitôt Meyer de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de gagner les lieux de la catastrophe : réunion immédiate des membres de l'équipe de secours, acheminement jusqu'à la gare, chargement des appareils.

23 h 11. Meyer et l'équipe des sauveteurs de « Sham­rock » quittent Herne. A Gelsenkirchen, le capitaine des sapeurs-pompiers, Koch, et ses hommes de « Rheinelbe » se joignent à eux. A Altenessen, montent dans le train Engel et diverses personnalités minières.

Changements de train. Par télégraphe, les gares sont informées du passage de l'équipe de sauvetage. Un personnel conséquent est prévu. Le matériel passe d'un train à l'autre dans les meilleures conditions, sans perte de temps.

Dans le wagon-lit mis' à leur disposition à partir de Cologne, les sauveteurs ne dorment pas. Ils étudient les plans des fosses de Courrières, achètent les derniers journaux dans les gares principales, situent le foyer d'incendie, les galeries dévastées par l'explosion

Lundi matin, 11 h 23: arrivée à Lille où les accueille Mercier.

Départ : 11 h 58.

Ces hommes qui, en début d'après-midi, descendent du train en gare de Billy-Montigny, qui sont-ils?

Georg Albrecht Meyer, directeur, mine de Shamrock. Adolf Sternberg, directeur, mine d'Alstaden

Julius Ruhe,                       chef-porion, mine de Schlâgel et Eisen.

Wilhelm Diekmann,           chef de porions de quartier, mine de Shamrock.

Peter Hansmeler,                porion de quartier, mine de Shamrock.

Heinrich Middendorf,         porion de quartier, mine de Shamrock.

Heinrich Droste,                  surveillant, mine de Shamrock.

Friedrich Funke,                  chef de taille, mine de Shamrock.

August Hans,                       chef de taille, mine de Shamrock.

Hermann Nünker,                chef de taille, mine de Shamrock.

Dietrich Osiek,                     chef de taille, mine de Shamrock.

Friedrich Eickhoff,               haveur, mine de Shamrock.

Eduard Funke,                      abatteur, mine de Shamrock.

Hermann Hülsberg,               abatteur, mine de Shamrock.

Georg Jâger,                          rocheur, mine de Shamrock.

Johann Reinking,                   rocheur, mine de Shamrock.

Friedrich Wulfmeier,             soudeur, mine de Shamrock.

Karl Krauskopf,                     pompier, mine de Rheinelbe.

Karl Freund,                           pompier, mine de Rheinelbe.

Willy Berghaus,                     chef-pompier, mine de Rheinelbe.

Hugo Koch,                           inspecteur du service incendie, mine de Rheinelbe.

Karl Montag,                         pompier, mine de Rheinelbe.

Friedrich Hüls,                       pompier, mine de Rheinelbe.

Engel,                                     inspecteur des mines, administration.

Frentzel,                                 inspecteur adjoint, administration.

Vers 15 heures, l'équipe des « feuermann » arrive sur le carreau de la fosse 2.

Devant eux, des hommes épuisés, découragés, désem­parés. Des hommes anéantis par le malheur qui s'est abattu sur la corporation minière.

L'aérage des puits sinistrés continue à donner des soucis aux ingénieurs. Dès le matin, il était en effet apparu que si l'air entrait bien au puits 2, il n'en était pas de même au puits 4 par lequel l'air vicié continuait à sortir. Le ventilateur du puits 3 ne parvenait pas à aspirer l'air entrant par les puits 2 et 4.

Des sauveteurs ont été victimes de leur devoir ; il n’y a plus de survivants. Convient-il de risquer d'autres vies pour remonter des cadavres? L'air, au fond, est irrespirable et les éboulements nombreux. La mine ne serait plus qu'un brasier activé par le renversement de l'aérage. Toute descente est suspendue.

L'aérage ne s'est pas établi dans le sens espéré. Ultime tentative : fermer les puits 4 et 11. En cas d'échec, pour vaincre l'incendie, pour chasser les gaz, une mesure extrême : inonder les fosses. Une idée qui germe ...

Et voilà qu'arrive d'Allemagne, pays contre lequel la France a failli de nouveau entrer en conflit à propos d'une crise marocaine, un groupe de sauveteurs munis d'appareils spéciaux et entraînés, dit-on, aux besognes les plus rebutantes.

Descendre au fond de la mine dans les conditions actuelles? Pas question ! C'est trop dangereux, estiment les Français. Les responsables allemands insistent. Au cours d'essais n'ont-ils pas manœuvré dans une atmosphère de gaz et de chaleur intense? Ils sont sûrs de leurs appareils.

Les Allemands, après leur étude dans le train, ont bien une idée approximative des lieux de la catastrophe ; mais ils ont besoin des Français pour les accompagner, pour les guider dans le dédale des galeries souterraines ; des Français munis, bien sûr, de leurs appareils.

Meyer d'ailleurs ne cache pas ses intentions : son équipe est venue pour participer aux premières opérations de sauvetage, mais aussi pour familiariser les mineurs français avec les appareils allemands. Une fois cette formation assurée, tout au plus une semaine, son groupe rentrerait en Allemagne.

Chez les Français, les avis sont d'abord partagés. Mais, si l'on veut tenter une descente, il faut bien qu'ils sachent se servir du matériel allemand : idée à laquelle finalement on se rallie. Devant les personnes présentes, Meyer effectue une démonstration.

En ce qui concerne par ailleurs l'aérage, conformément à la décision prise le dimanche, on se résigne, vers 16 heures, à abandonner les recherches par le puits 4. Celui-ci, et le puits 11, seront fermés. L'air sera aspiré par les .venti­lateurs des puits 3 et 4 tirant ensemble sur le puits 2.

Tel n'est cependant pas le point de vue de Meyer les opérations de sauvetage pourraient être menées simultané­ment par les puits 2 et 4.

C'est Delafond qui décide : tous les efforts seront concentrés à la fosse 2 de Billy-Montigny où abondent les cadavres.

Léon ne dissimule pas ses craintes. Les gaz, le feu - dont on ignore l'importance - , le nouveau courant d'air créé ce sont des explosions en puissance. Les Allemands se seraient-ils dérangés inutilement? Leur matériel, leur confiance en ce matériel forcent la décision : on descendra à l'étage 340 ! Objectif : s'approcher le plus près possible du foyer d'incendie supposé la cause principale de l'explosion.

Il est environ 17 h 30. L'heure est grave. Les hommes qui vont descendre ont écrit leur nom sur une feuille de papier. Au cas où ils disparaîtraient : morts. Ils sont équipés d'un appareil respiratoire, ils sont prêts.

 

La cage s'emplit d'un premier contingent. Elle descend lentement ... lentement ... Dans la salle du moulinage, l'attente est longue ... longue, angoissante : c'est la tentative du déses­poir, avec le matériel le plus perfectionné qui soit ... Des coups de sonnette, enfin ! La cage est bien arrivée à l'accro­chage 340. Elle remonte. On peut descendre !

La cage plonge une deuxième, puis une troisième fois, emportant le reste des hommes, des planches aménagées en civières et une demi-douzaine de ballons d'oxygène.

A 340 mètres sous terre, en tenue de travail : les Ingénieurs Léon, Cuvelette, Petitjean, des porions et ouvriers français ; les Allemands Meyer, Engel, Koch, Hansmeler, Middendorf, Droste, Eickhoff ; auxquels s'est joint le Docteur Deswartes.

Après avoir trempé leurs gants dans un seau de sublimé, ces hommes quittent l'accrochage. L'air n'est pas vicié : on peut respirer librement sans le secours de l'appareil respiratoire. L'opération aérage aurait-elle réussi ?

Petitjean ouvre la marche. Le groupe traverse d'abord l'écurie où gisent quelques cadavres, puis s'enfonce sans trop de difficultés dans les profondeurs de la mine mortelle. Sur le chemin, de nombreux cadavres marqués par les signes d'asphyxie, la plupart en décomposition. Certains gisent sur le ventre, les bras en croix ; d'autres sont adossés à la paroi de la galerie. Des passages sont si empestés que d'aucuns marchent quelque peu «  à reculons » , respirant l'air frais venu du puits.

Ils avancent ainsi sur plusieurs centaines de mètres, sans rencontrer ni gaz, ni fumée. Et c'est le chaos : des pierres, des bois sans dessus dessous. Impossible d'aller plus loin : tout est bouleversé. C'est le retour à l'accrochage.

Dans Billy-Montigny, la nouvelle de la descente à la fosse 2 d'une équipe de sauveteurs allemands s'est répandue rapidement. Une foule anxieuse s'est de nouveau rassemblée aux abords du puits. Après une longue attente, des- sauveteurs remontent : ils n'ont trouvé que des cadavres. Nulle trace de vie, nul indice permettant de croire en l'existence de survivants. La mine est devenue une immense nécropole vérité, ô combien cruelle ! pour ces familles qui, envers et contre tout, caressaient encore quelque espoir.

Un grand point est cependant acquis : cette reconnais­sance des lieux a redonné un certain moral aux sauveteurs français. Bien que, par suite des éboulements, les explorations lointaines soient impossibles, la mine reste accessible. Elle ne sera pas noyée. De nombreux morts pourront être rendus à leurs familles.

 

 

 

 

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