CHAPITRE IX

 

MALHEUR, MISERE ET  SOLIDARITE ...

 

" DEVANT CETTE EFFROYABLE CATASTROPHE DISPA­RAISSENT LES FRONTIERES POLITIQUES ET NATURELLES QUI SEPARENT LES PEUPLES. TOUTES LES MAINS DOIVENT SE JOINDRE DANS UNE OEUVRE DE FRATERNITE CORDIALE. DANS DES CAS PAREILS, IL N'Y A QU'UNE POLITIQUE, CELLE DU CŒUR. FAUT DONC QUE TOUS, HOMMES, FEMMES, A QUELQUE CONDITION QU'ILS APPARTIENNENT, SE GROUPENT LE PLUS RAPIDEMENT POSSIBLE POUR VENIR EN AIDE AUX PARENTS DES VICTIMES"

Extrait du journal allemand « BERLINER TAGEBLATT

De partout affluent des témoignages de sympathie ... Télégrammes adressés aux maires des communes endeuillées

« Profondément ému par l'effroyable catastrophe qui met en deuil le pays minier et toute la région du Nord, le Maire de Lille, au nom du conseil municipal -et de la population lilloise, adresse à MM. les maires des communes de Billy-Montigny, Méricourt et Sallaumines, l'expression de ses dou­loureuses condoléances ».

Le maire : DELESALLE

« En présence de la terrible catastrophe qui plonge dans le deuil les communes de Billy-Montigny, Sallaumines et Méricourt, la municipalité de Douai, au nom de ses conci­toyens et de la population minière de Dorignies, envoie à ses collègues l'expression de ses plus vives condoléances »

Le maire : BERTIN

« Douloureusement accablée par la catastrophe épouvan­table, Béthune adresse à vos populations l'expression de sa tristesse et de sa sympathie profonde ».

Le maire : LEGILLON

Trois télégrammes choisis parmi tant d'autres.

« Au nom du conseil municipal de Billy-Montigny, au nom des nombreuses familles ouvrières en deuil» et en son nom personnel, le maire, TOURNAY, remerciera tous ceux, toutes celles qui adresseront des témoignages de sympathie villes ou groupements, personnalités ou simples particuliers.

Télégrammes adressés au député-maire de Lens, Basly, de la part

des électeurs de Belleville (DEJEANTE) .. .

des travailleurs de l'arrondissement de Sceaux (COU­TAUT) ...

des amis de Montceau-les-Mines (député BOUVERI) ...

de la Bourse du Travail de Nantes ...

des mineurs anglais du Pays de Galles (Northumberland) réunis en Congrès ...

Messages de sympathie par la voie diplomatique

le lord-maire de Londres, le président du Conseil du comité de Londres à l'ambassadeur de France ...

le gouvernement de sa Majesté britannique par l'inter­médiaire de son ambassadeur à Paris : « Veuillez exprimer au gouvernement français la profonde affliction du gouvernement anglais en face du terrible désastre de Courrières et sa sympathie pour les survivants »

.le président de la Chambre espagnole au gouvernement français ...

l'ambassadeur d'Italie a transmis au président du Conseil les condoléances du gouvernement ...

les ministres de Belgique, de Serbie, du Brésil ont également fait une démarche au nom de leur gouver­nement ...

Condoléances au Président de la République, à la France

télégrammes du roi de Belgique, Léopold II ; du roi d'Espagne Alphonse XIII ; du roi de Suède et de Norvège, Oscar II, et de la reine ; de l'empereur de Russie, Nicolas II et de l'impératrice ; du roi d'Italie Victor Emmanuel III ; du président des Etats-Unis, Théodore Roosevelt ...

l'empereur Guillaume II a chargé le prince de Radolin, ambassadeur à Paris, d'exprimer au président Fallières ses condoléances personnelles et celles du gouvernement allemand ...

le prince de Bulgarie a fait exprimer ses condoléances par Zolotovitch ...

le roi de Grande-Bretagne, Edouard VII, fils de la reine Victoria, a télégraphié de Biarritz ...

 

Compatir à la douleur des familles, c'est bien. Cela suffit-il? Non. Il faut agir pour que la misère ne pénètre pas dans les foyers où s'est abattu le malheur.

La quasi-totalité des journaux ouvrent leurs colonnes à des souscriptions. Des collectes sont organisées dans les bureaux, les ateliers, les écoles, les établissements privés et publics. De tous côtés sont mis en place des comités de secours : quêtes, spectacles au profit des familles des victimes.

Dans toutes les régions de France, des plus pauvres aux plus riches, se développe un immense courant de solidarité qui très vite dépasse les frontières : aux petits sous des humbles s'ajoutent les grosses pièces des gens aisés et les billets de banque des fortunés.

Albert Colas, coiffeur, rue de la Gare, est le premier citoyen de Billy-Montigny à ouvrir une souscription. Il recueille 63,25 F qu'il s'empresse de remettre au Maire ...

Le baron Henri de Rothschild, membre du Conseil d'Admi­nistration des Chemins de fer du Nord, arrive à Lens le lundi 12 mars. Il se rend immédiatement à Billy-Montigny pour visiter les lieux de la catastrophe. Au nom de sa famille, il remet une somme de 20 000 F ...

Le lendemain de la catastrophe, Basly adresse une lettre à tous les maires de la région, les invitant à réunir d'urgence le conseil municipal de leur commune à l'effet de voter un secours destiné à parer aux premiers besoins des veuves et des orphelins.

A chacun des conseillers municipaux de Lens, Basly écrit

« En présence de l'effroyable catastrophe qui vient de jeter le deuil dans notre bassin minier, je crois devoir convo­quer d'urgence le conseil municipal de Lens, à une réunion extraordinaire, qui aura lieu ce soir, dimanche, à la mairie.

Nous devons venir en aide aux familles des malheureuses victimes et adresser un appel à la population.

Je compte sur vous, ce soir.

Meilleures amitiés »

E. BASLY

 

Le conseil municipal de Lens vote un crédit de 2 000 F, celui de Lille 10 000 F. Le premier conseil municipal à se réunir serait-il celui de Denain ? Dimanche à 9 heures. Crédit voté 2000 F.

 

Le lendemain des obsèques, à 8 h 30, le téléphone sonne à la mairie de Billy-Montigny : le préfet et le commandant Lasson arriveront en gare à 9 h 25, accompagnés du commis­saire spécial de Lens, Rodière et du chef de cabinet du préfet, Roth.

Accueillis par le Maire et le Directeur de la Compagnie, ils gagnent la fosse 2. Là, ils s'inclinent devant les victimes remontées la nuit.

Puis, c'est une lente et longue marche dans les corons ... Sur la plupart des portes des maisons, du buis noué d'un ruban noir ... Dans la rue, des allées et venues ... Surtout quand court le bruit que des corps ont été remontés de la mine, chacun espérant retrouver l'être cher, disparu.

Les personnalités vont de porte en porte. Ou presque. Apporter aux familles éplorées un peu de consolation, des secours immédiats et l'assurance que le Gouvernement ne les abandonnera pas.

Au sein des foyers meurtris, rue Ste-Barbe ...               ~

Mme Louis LEBLANC reste veuve avec 5 enfants - François JOUVENET est mort : il aurait eu 16 ans le 21 septembre - Mme Victor MARBAIX est là avec ses 3 enfants ; son mari venait d'avoir 24 ans - Mme Gustave BOTTI : 5 en­fants et un sixième sur le point de naître - Mme HARDELIN pleure ses enfants : Jean-Baptiste et Joseph, âgés respective­ment de 17 et 15 ans ...

Coron Sainte-Barbe ...

Louis LEMAIRE, 15 ans et 3 mois, ne reviendra plus. « Min garchon ! min garchon ! Allez-vous me I'rindre ? ».: sa mère sombre dans une crise de nerfs - L'état de Mme François FRANÇOIS est alarmant ; son second enfant est sur le point de naître - Mme Léon BERNARD : veuve - Jean-Baptiste

LAMY, célibataire, mort à 22 ans - Mme Charles COQUELLE, 2 enfants, sanglote ; le préfet tente de la rassurer sur son avenir - Eugène DANGREMONT allait avoir 14 ans le 9 juin I Il faisait partie d'une famille de 5 enfants - Etienne MACAREZ ne verra plus les cinq enfants qu'il adorait. Son épouse tient le dernier né dans ses bras. Jamais son mari n'aurait manqué un poste, jamais il ne sortait, sa famille avant tout : « Qu'allons­ nous devenir? Nous ne sommes pas d'ici. Nous n'avons pas de parents. Rien, rien, rien » ...

C'est de nouveau la rue Ste-Barbe ...

Emile GAILLARD, 30 ans, était porion à la fosse 3. Sa mère pleure ... Un enfant plein d'avenir ... Si au moins elle pouvait le revoir. .. Avoir élevé des enfants si grands, et les perdre ainsi.. . - Veuve, Mme Alfred LORIAUX ; veuves aussi Mme Adolphe GOURLET et Mme Henri DELMOTTE : toutes trois avec un ou plusieurs enfants à charge - Désiré LENGLIN a été remonté ce matin ; sa femme, mère de 2 enfants, revient ; elle l'a reconnu, elle n'en peut plus - Mme DOUCHY, en pleurs, accueille la délégation. Le préfet l'embrasse. Il serre la main de son mari, prostré, dont les cheveux, soudain, sont devenus tout gris : leurs fils Iréné et Georges, 26 et 15 ans, sont morts, au fond, côte à côte ...

Corons de la Perche ...

Mme GUIOT a perdu son mari Jules (53 ans) et son fils Léonard mort le lendemain de ses 21 ans ; leurs corps ont été retrouvés enlacés : un vide immense dans ce foyer où il reste 2, 3 enfants? - Jean-Baptiste TONNEAU (43 ans) et son fils aîné Jean-Baptiste (20 ans) ne sont plus; Mme TONNEAU embrasse, serre contre elle un enfant d'une quinzaine d'années : il était au fond au moment de la catastrophe ; on lui cria de se sauver, il est remonté par la fosse 10, «  rescapé » Mme Henri CHARDON, un enfant - Mme Auguste CURAT, 2 enfants - Mme LHEUREUX parle de son fils Lucien qui allait avoir 17 ans : « Il était la joie de la maison. Toujours il se conduisait bien. En classe, il était toujours premier. Et la mine me l'a pris ». Et il s'en est fallu de peu qu'elle ne perde un second fils: vers 7 heures, il devait descendre avec un vérificateur - LEFEBVRE pleure son fils Emmanuel qui aurait eu 20 ans le 23 mars ...

Une pause chez Louis Wendevoir, 42 ans, remonté sans connaissance par la fosse 10. Lors du « sauve-qui-peut » général, il a voulu sauver un galibot ; il est tombé, asphyxié. Le bras encore à moitié paralysé, il souffre de douleurs dans les reins. Il n'a pas entendu l'explosion. Il est sauf ...

CANIVEZ a failli lui aussi être victime de la catastrophe ; les parents pleurent Jules, 16 ans, l'aîné de leurs 5 enfants - Jules FRIQUE, mort à 37 ans - Le père GUISON a participé aux premières opérations de sauvetage sans savoir que son fils, Aimé Constant, 17 ans, était parmi les victimes. Remonté asphyxié, il est mort brusquement le lundi. Une consolation pour les parents, ils l'avaient auprès d'eux - Georges LOBRY, 18 ans, appartenait à une famille de 8 enfants - Mort aussi à 18 ans : Louis DRUELLE ...

La visite des familles continue, continue ... Intermi­nable ... Au milieu des pleurs et des gémissements ... Ici, le préfet tente de réconforter Mme Jean-Baptiste TELLE dont l'un des 3 enfants est infirme ... Là, on pleure un jeune enfant de 15 ans, Alcide BOUCHEZ ... Plus loin, une veuve a perdu son fils, son soutien, Alphonse COILLOT ... A côté, c'est une maman âgée qui a également perdu son soutien, son fils Rémy FAUQUETTE ... Adolphe DOMISSE est mort, célibataire ; mais sa perte est durement ressentie par la famille de son beau-frère ... La douleur du père et des sœurs d'Augustin JENART arrache des larmes ... Que vont devenir les 5 enfants en bas âge de Florimond GIVERS ? ... Les familles CORNEZ et CHANDELIER ont eu chacune un enfant rescapé ; mais aussi un enfant mort : Jean-Baptiste CORNEZ (20 ans) et Alfred CHANDELIER (14 ans) ... Autre cruelle épreuve pour le père CHANDELIER : au moment de la visite du préfet, un autre de ses enfants, Raymond, 3 ans, meurt. Le pauvre père est écrasé par la douleur ...

Dans ces maisons où entrent les personnalités, ils ne reviendront plus

Emile LIBRE, 18 ans ; Achille LHOMME, 20 ans, soutien de sa mère veuve ; Léon STRADY, 26 ans; André BAJARD, 55 ans, père de famille ; Joseph PELLETIER, 15 ans, orphelin élevé par Henri Sannei ; Séverin DESHAYES, 39 ans, père de cinq enfants ; Constant CHAVAUDRA, 45 ans; César DANGLOT, 29 ans, père de 2 enfants ; Alfred DELCROIX 20 ans, l'aîné d'une famille de 11 enfants ; Augustin GOURLET, 35 ans, père de 2 enfants ; Désiré DONFUT (49 ans), et son fils Arthur (20 ans) ; Achille VERTEFOIX, 23 ans, dont la mère est veuve ; Fernand BROUILLARD, 14 ans ; André LEMAIRE, 36 ans, marié ; Alexandre CURAT, 38 ans, père de 3 enfants ; Charles DESCAMPS, 35 ans, cabaretier, victime de son dévoue­ment ; Alfred DEGAND, 38 ans; Oscar COPIN, 51 ans ...

Parmi les dernières familles visitées, un survivant : Jean­-Baptiste DELATTRE, 33 ans, père de 4 enfants. Remonté samedi à 15 heures, réanimé après 16 heures de friction, il est alité avec une fluxion de poitrine. Ses jours sont en danger. Il mourra ...

Dans chaque maison, des paroles de réconfort du préfet, un billet de 50 F remis par le Directeur Laveurs, un secours complémentaire donné aux familles en détresse par le délégué du Président de la République, le commandant Lasson.

Cette visite aux familles éprouvées : un pénible voyage à travers la misère, sous l'empire d'une émotion intense, les yeux voilés de larmes, les gorges nouées. Des scènes douloureuses. Un voyage indescriptible ...

 

L'après-midi, même démarche lugubre dans les corons de Méricourt, où il ne reste plus qu'une cinquantaine d'hommes.. .

Réunis à Paris pour les travaux de la commission prépa­ratoire à l'assemblée des évêques, les cardinaux archevêques de Paris, de Lyon, de Bordeaux, de Rennes ; les archevêques de Besançon, d'Albi ; les évêques de Luçon, de Soissons décident de s'inscrire chacun pour la somme de 100 F à la souscription publique qui sera ouverte à la suite de la catastrophe.

Le 15 mars 1906, « LE GRAND ECHO du Nord et du Pas-de-Calais » publie la première liste de souscription du comité de secours constitué à Arras sous la présidence du préfet

M. le Président de la République                                      5000,00 F

M. le ministre des Travaux publics                                    1000,00 F

M. le général Lebon                                                          500,00 F

Le Syndicat de la Presse parisienne                                   5000,00 F

M. le préfet du Pas-de-Calais                                             500,00 F

M. Jonnart                                                                      1000,00 F

L'Echo du Nord                                                               1 000,00 F

La famille Charles Seydoux                                             20 000,00 F

Compagnie anonyme des Salines de Ste-Valdrée ..                 500,00 F

Société des Sauveteurs du Nord, à Lille                                 100,00 F

Ecole publique de garçons de Combles (Somme) ..                  31,00 F

Comité républicain radical de Brou (Eure-et-Loir) ..                 60,00 F

Société de Secours mutuels de Dargnies (Somme)                   25,00 F

Comité républicain radical du canton de Senlis ..                    158,70 F

Union des Femmes de France de Boulogne-sur-Mer               200,00 F

M. et Mme G. Caussade, à Paris                                            20,00 F

Maison Carède, à Paris                                                          45,00 F

Association des Anciens élèves de l'Ecole

de garçons, 11, rue de Lesseps, Paris                                       40,00 F

Mme Francatel, receveuse des postes

à Fressenneville (Somme)                                                         5,50 F

Les Amis Philanthropes de Versailles                                        50,00 F

Ecole supérieure et professionnelle

de jeunes filles à Amiens                                                         100,00 F

Le personnel de l'usine Martel, Guérin et Cie,

à Abbeville                                                                             200,00 F

L'Association des Anciens élèves de l'école

de garçons de Roost-Warendin (Nord)                                      20,00 F

Syndicat des Crémiers de Paris et de la banlieue ..                     50,00 F

M. le maire de La Bassée                                                         100,00 F

Anonyme                                                                                10,00 F

La Chambre des Notaires

de l'arrondissement de Béthune                                                200,00 F

Les Républicains de Thiais (Seine)                                               9,90 F

Dans une liste suivante, le franc de deux garçons de bureau de Paris voisinera les 1 000 F de l'ancien Président de la République Périer, les 6 000 F de la Chambre de Commerce Américaine de Paris, les 100 000 F des frères Rothschild ...

Les édiles municipaux de Billy-Montigny se réunissent pour la première fois après la catastrophe le jeudi 15 mars à 19 heures. Avec un retard excusable. L'administration communale est en effet constamment sur la brèche.

Sont présents

Tournay Pierre, Maire ;

Laurent Alfred, Brillon Louis, adjoints ;

Ballet Octave, Bertrand Joseph, Brillon François, Broutin Charles, Brunelle Charles, Choque Benoît, Corbin Ernest, Froideval Alfred, Havet Léon, Hurbain Alfred, Lebrun Alfred, Lourtioz François, Moreau René. Mulot Jules, Pinte Louis, Renault Octave, Tréhou Jules.

 

Est absent François Wartelle.

 

Quant à Derivaux et Ternaux, le Conseil, au cours de sa réunion du 7 février 1906, avait été d'avis de les déclarer démissionnaires pour absences sans excuse.

Le maire rappelle brièvement le malheur qui s'est abattu sur la population minière. Puis, pendant plus d'une heure, c'est la lecture des lettres et télégrammes de condoléances reçus «de tous les points de la France».

Le maire avait quitté la fosse 2 pour venir présider la séance ; il y est rappelé de toute urgence. Le premier adjoint, Laurent, préside alors l'Assemblée.

Celui-ci informe ses collègues qu'un certain André Desfossés, 33, rue Marboeuf à Paris, a adressé une somme de 100 F destinée à la veuve d'un mineur la plus chargée d'enfants. Après délibération, le Conseil décide de partager cette somme entre les quatre plus malheureuses familles les veuves BOTTI Gustave, MACAREZ Etienne, VERTEFOIX Henri ainsi que CHANDELIER Alfred recevront chacun 25 F.

Le Président propose ensuite que la fosse commune où sont enterrées les victimes de la catastrophe soit une concession à perpétuité. A l'unanimité, « par reconnaissance et pour glorifier les vaillantes victimes du devoir», le Conseil approuve cette proposition.

En signe de deuil, toutes les fêtes et réjouissances prévues au cours de l'année sont supprimées.

Sur une autre proposition de son Président, !e Conseil vote pour les familles de victimes un secours de 1 000 F se décomposant comme suit : 200 F (pris sur les frais de réceptions diverses à la Mairie), 500 F (somme inscrite au budget pour les fêtes publiques), 300 F (prélèvement sur les fonds libres en caisse).

Avant de clore la séance, une commission chargée d'organiser les quêtes dans diverses villes est constituée. Elle comprend : les conseillers Ballet, Bertrand, Choque, Havet, Moreau et Mulot.

Dans la presse paraît le communiqué suivant

« La Compagnie des Mines de Courrières se soumettra sans procès, à toutes les conséquences de la loi de 1898 sur les accidents du travail. Toutes les veuves et tous les orphelins et tous les blessés recevront les indemnités et les pensions auxquelles ils ont droit. Y eut-il vingt millions d'indemni­tés à payer, les actionnaires se déclarent responsables, non seulement jusqu'à concurrence du capital social, mais encore au-delà. Les sinistrés toucheront leurs indemnités et leurs pensions, sans que la Compagnie se préoccupe d'aucune façon s'ils ont reçu leur part des souscriptions. Les secours immédiats, les indemnités et les pensions seront versés inté­gralement, si élevé que soit le chiffre de ces souscriptions »

Le montant des pensions que la Compagnie s'engage à verser ne sera pas diminué des subsides reçus. C'est normal. Mais que prévoient la loi et les règlements?

La veuve a droit comme pension au 1/5 du salaire de son mari quand la responsabilité du patron est dégagée. Ce 1/5 peut être élevé au 1/4, au 1/3 et même à la moitié lorsqu'il y a faute lourde de l'employeur. Dans le cas présent, y a-t-il eu faute lourde ? ...

Une mère a été abandonnée par son mari, avec quatre enfants en bas âge. Elle les élevait grâce au salaire d'un mineur qu'elle ne pouvait épouser, étant déjà mariée. Il est mort dans la catastrophe. La loi ne lui accorde rien ... Une veuve, sans enfant, touchera au moins 1/5 du salaire de son mari ...

Une veuve avait 7 enfants dont l'aîné, seul, était en âge de travailler ; il gagnait 2,50 F par jour. Il a été tué. La mère ne touchera que 10 % du salaire de son fils, soit 0,25 F par jour pour six enfants ... Sa voisine, mère de quatre enfants, a perdu son mari dont le salaire moyen journalier était de 5 F. Elle touchera 20 %pour elle, 40 % pour ses enfants, soit 3 F par jour ...

Coron de la Souchez à Billy-Montigny. Une mère pleure son fils de 17 ans. Autour d'elle, six enfants de 3 mois à 18 ans. Le père? Alité, les deux jambes brisées ... C'est la misère.

Qui peut tendre à apporter une certaine justice dans la répartition des fonds recueillis? Le Comité officiel? Son mode de répartition apparaît ne pouvoir être que mathéma­tique : tant pour une veuve, tant pour un enfant ... Une répartition juste en apparence, mais qui, en fait, aboutit à des inégalités de traitement.

Qui peut les corriger et tendre à une répartition plus équitable des fonds? Qui peut parer au plus pressé? Ceux qui vivent en contact permanent avec les familles ouvrières, ceux qui les connaissent .

Dès le lendemain de la catastrophe, « LE REVEIL DU NORD «, journal du « Vieux Syndicat » , a appelé tous les travailleurs sans distinction à donner en faveur des familles des victimes de la catastrophe : « Camarades, à vos poches ! » ­Les familles ont besoin de secours immédiats. 10 000 F ne présentent qu'UN SOU par personne frappée. C'est tout de suite qu'il faut donner, donner ! C'est tout de suite qu'il faut répartir les sommes reçues, et remédier à l'injustice des lois.

 

L'Administration de ce quotidien et celle de « L'EGALITE DE ROUBAIX-TOURCOING » décident de confier à un Comité spécial - indépendant du Comité officiel - la distribution des sommes recueillies par elles, et « L'HUMANITE ».

Composition de ce Comité spécial: tous les ouvriers délégués mineurs de la Compagnie de Courrières, tous les maires des communes intéressées, deux délégués du Syndicat des Mineurs, des représentants du « REVEIL DU NORD» et de la fédération socialiste du Pas-de-Calais. Présidents d'honneur : les citoyens Basly, Lamendin et Selle, députés socialistes des régions minières. Première réunion : dimanche 18 mars à 10 heures « AU GRAND SALON », à Billy-Montigny. Montant des sommes recueillies à cette date : 18 501,80 F.

Décisions prises

1 - donner aux veuves un secours d'urgence tenant compte du nombre d'enfants et des ressources possibles des familles ;

2 - pas de secours immédiat aux familles ayant perdu un enfant, sauf situation exceptionnelle (familles ayant un grand nombre d'enfants non occupés ou un parent malade) ;

3 - limiter en un premier temps à 10 000 F environ le montant global des secours à répartir ;

4 - profiter de cette première répartition pour examiner la situation réelle des familles ;

5 - fixation des sommes à allouer aux familles concernées, au vu des embryons de dossiers constitués ; en ce qui concerne Billy-Montigny, l'adjoint au maire Laurent, l'insti­tuteur David Marcelle et le garde particulier Audrain avaient terminé leur enquête samedi soir ;

6 - distribution le jour même d'une somme de 6 070 F répartie entre les familles de Billy-Montigny, Fouquières, Méricourt, Noyelles et Rouvroy : 391 familles représentant 673 victi­mes ; les familles des autres communes devant être visitées les jours suivants.

Quant au Comité de secours officiel, il a pris une certaine ampleur. Constitué à la fosse 4 le lendemain de la catastrophe, il était composé de personnalités locales, et présidé par le préfet Duréault.

C'est maintenant un Comité Général ayant à sa tête l'ancien président de la République, Loubet. Parmi les membres de ce Comité : des notabilités du Conseil d'Etat, de la Cour de Cassation et de la Cour des Comptes, les gouverneurs de la Banque de France et du Crédit Foncier, trois représen­tants de la presse. Avec trois secrétaires : un maître des requêtes et un auditeur de première classe au Conseil d'Etat, un inspecteur des Finances.

Lundi 19 mars, à Arras, le bureau du Comité de Secours officiel, chargé d'examiner les renseignements fournis par les sous-comités communaux, se réunit à 16 h 30. Le nombre des victimes de la catastrophe atteindrait 1 041. En caisse à cette date : 843 221,13 F, non compris les 500 000 F votés par le Parlement.

Le montant du premier secours est déterminé suivant des bases fixées par le Comité général:

- 100 F par veuve, plus 25 F par enfant non occupé, plus 50 F par ascendant non occupé;

- 100 F par père ou mère, ou à défaut par grand-père ou grand-mère ;

- 100 F par frère et sueur;

- 100 F par groupe d'orphelins de père et mère non occupés, en plus des 25 F attribués à chaque orphelin.

Première distribution de secours par les percepteurs en présence des membres de la sous-commission, du maire, d'un représentant des ouvriers et d'un délégué de la Compagnie de Courrières : le vendredi 23 mars à 10 heures dans les mairies de Fouquières, Méricourt, Noyelles et Sallaumines ; le samedi 24 mars à 10 heures à la mairie de Billy-Montigny ; dès le 23 mars, chez les percepteurs de leur circonscription pour les familles des victimes habitant les autres communes.

Quêtes, collectes, services, manifestations de solidarité se présentent sous les formes les plus diverses.

Jeudi 15 mars, à Paris, au Châtelet : «Concerts Colonne ». Après l'exécution de la « Rapsodie norvégienne » de Lalo, Colonne s'adresse au public : la musique est une grande consolatrice de toutes les afflictions humaines, elle ne peut rester insensible devant l'épouvantable catastrophe de Courrières. Il annonce : l'étoile du concert, Mme Schumann-­Heink, et toutes les femmes artistes de l'orchestre, vont passer dans les rangs des spectateurs. Produit de la collecte 2 376 F.

Il est question que la musique de la Garde Républicaine donne un concert au profit des familles des victimes le dimanche 1er avril au Cirque municipal de Douai : manifesta­tion organisée par le président de la société des fêtes de bienfaisance, Lemaire, aidé du vice-président Desfontaines.

En accord avec le Syndicat des Mineurs du Pas-de-­Calais, « LE REVEIL DU NORD » installe un bureau de rensei­gnements gratuits pour les familles des victimes à Billy-­Montigny, « AU GRAND SALON ». Première série de consultations : mardi 20 mars. Les consultants : Me Escoffier, avocat à la Cour d'appel de Douai ; Me Balavoine, avocat au tribunal civil de Lille ; un collaborateur du journal, Maurice Monier.

L'affluence est telle qu'il s'avère nécessaire d'installer de suite trois bureaux. Une fiche pour chaque cas ; des dossiers au nom de chaque famille : veuves, orphelins, ascen­dants, blessés, asphyxiés ... A l'aide des fiches de salaires et des renseignements recueillis, les consultants indiquent à chaque famille les formalités à accomplir, établissent le montant minimum de pension ou d'indemnité susceptible de leur être versé dans le cas où la responsabilité de l'employeur ne serait pas reconnue ; ce dont on doute.

 

Bilan de la journée : 114 cas examinés. Prochaine consul­tation : 23 mars.

Oscar Copin effectue son service militaire à Saint-Mihiel dans le 12ème régiment de chasseurs à cheval. Son frère, son beau-frère sont morts dans la catastrophe. Il a pu revenir en permission pour assister aux obsèques. Sur une démarche de son père, l'adjoint au maire, Laurent, demande par lettre au Capitaine Deménonville la réintégration dans ses foyers comme soutien de famille du cavalier Copin libérable en septembre, le père s'engageant à partager entre la sueur et la belle-sceur la moitié du salaire gagné par son fils.

 

Oscar Copin bénéficiera d'une libération anticipée.

Dimanche 18 mars, des mineurs en tenue de travail vont quêter un peu partout. Dans la matinée de samedi, le maire de Billy-Montigny leur distribue des troncs scellés ; il leur remet également une carte d'identité spéciale, ainsi qu'un document portant le cachet de la mairie. Pour éviter toutes manœuvres frauduleuses de « quêteurs » mal intentionnés.

Les mineurs Lenglet Oscar et Dupont Augustin sont chargés de quêter à Amiens dont le maire, Fiquet, est député de la Somme. Son autorisation est nécessaire. Où le trouver? Il doit se rendre au cirque municipal où le président des mutualistes de France, Mabilleau, va donner une conférence. Grâce à l'obligeance des services de police, les mineurs y sont conduits. Présentés au maire dès son arrivée, ils obtiennent satisfaction. Après la conférence, aidés de jeunes gens, ils recueillent 236,35 F ; puis, malgré le mauvais temps, ils frappent à la porte des maisons bourgeoises, vont de café en café très tard dans la nuit. Total des dons reçus : 490 F.

Sous la conduite de Claes, un groupe de mineurs dont Bacquet, Bouillez, Denoyelles, Redeau, est chargé d'une collecte chez nos amis belges à Mons, et dans les communes avoisi­nantes. Partout, les autorités leur réservent un accueil chaleu­reux ; des responsables de mouvements se mettent à leur disposition. Bien qu'une souscription soit en cours dans la région au profit de familles sinistrées à la suite d'inondations, la délégation recueille une somme de 942,78 F.

A Roubaix, cavalcade et défilé de chars : c'est la tradi­tionnelle fête de la mi-carême, placée cette année sous le signe de la solidarité.

Dans le cortège, le char de Léon Meurin, escorté de mineurs qu'accompagnent les conseillers municipaux Bertrand et Mulot ... Un peu plus loin, trois voitures et un char de la coopérative « La Paix » précédés de mineurs accompagnés d'un autre conseiller municipal, Havet ...

Sur le trajet, un groupe de la « Cécilia » roubaisienne chante la « Solidarité »

Silence ! Ecoutez, le sol gronde

On croit entendre le canon,

C'est le tueur de pauvre monde

Le grisou, fauchant sans pardon

Ecoutez ces cris d'épouvante

Echos des appels et des pleurs,

La Mine, à la gueule béante

Ecrase ou brûle les mineurs !

Dans le refrain, l'auteur Adolphe Delannoy, de la Muse de Nadaud, avait ajouté

Pitié pour ces pauvres familles

Victimes du monstre indompté ;

Pour les orphelins en guenilles

Faites la charité

Donnez pour ces pauvres familles

Au cri de : «Solidarité

Donnez tous

Vos gros sous

Aux enfants en guenilles

Bilan des quêtes - Char de Léon Meurin : 280,80 F ; groupe de la coopérative : 544,20 F.

Ce 18 mars également ...

En Italie, à Rome, les associations démocratiques défilent dans les rues principales et se rendent au cimetière où un orateur rend hommage aux victimes de la catastrophe.

En Espagne, à Barcelone, précédées de la musique municipale, de nombreuses sociétés parcourent les quartiers de la ville et collectent des fonds dont le produit est remis au consul de France.

 

En France, à l'étranger, la politique du cœur prend un essor fulgurant !

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