CHAPITRE 1

 

 

BILLY MONTIGNY…

 

 

62420 : commune du département du Pas-de-Calais située sur la RN 43 entre LENS et HENIN-BEAUMONT (ex HENIN-LIETARD). A environ 220km de PARIS. Sans feux rouges.

Altitude : 33 mètres Superficie : 270 hectares.

Recensement de 1968 : 10 028 habitants dont 1 134 étrangers ; 5 444 électeurs ; 2 981 maisons ; 3108 logements.

Dans les temps les plus reculés, il y a quelque trois cent millions d'années, la région était recouverte d'une immense forêt de fougères, de Végétaux pouvant atteindre 20 à 30 m de hauteur.

Cette forêt est à l'origine du charbon, produit de la décomposition de végétaux à l'abri de l'air.

                Comment cela s'est-il passé ? Affaissement du sol, invasion des eaux, recouvrement des végétaux par les alluvions : une première veine de charbon en puissance, la plus profonde. Nouveau mouvement de l'écorce terrestre :la terre reparaît, une nouvelle végétation se développe. Et le cycle recom­mence : affaissement, inondation... C'est l'époque carbonifère.

Les êtres humains, quant à eux, prennent pied sur notre sol à l'époque néolithique, période la plus récente de l'âge de la pierre, celle de la pierre polie ; une cité lacustre rassemble quelques habitants dans une zone compri­se entre la rue nationale et la fosse 6 de Fouquierès-lès-lens...

La Gaule... Les Romains l'envahissent et occupent le lieu où habite

un certain Bill, lieu qu'il faut situer sur la carte de l'empire romain. Ce sera BILLIACUM,"acum" voulant dire demeure.

La table druidique qu'avait dressée les Gaulois à l'emplacement actuel de l'église est remplacée par un temple dédié à un dieu romain.

Vers l'an 360, BILLY et sa région sont évangélisées par un ancien lé­gionnaire, St Martin, qui a donné son nom à quelque cent-quarante églises du diocèse d'Arras. Vers 500, BILLY cesse d'être tributaire des Romains...

Nos ancêtres subissent ensuite l'invasion des Normands venus des paya scandinaves. A la suite des destructions que ceux-ci occasionnent, les "petits" se groupent autour des Seigneurs. Et c'est ainsi qu'en 877 Billy tombe sous une autre domination, celle du Comte des Flandres

A cette époque est édifié un château dont l'emplacement se situe dans l'actuel quartier du Vieux Billy ; la rue Victor Hugo n'était-elle pas an­ciennement dénommée rue du Château ?

BILLIACUM devient BILLY-MONTENSNI (1129), puis BILLY (1182).

La nièce du Comte des Flandres se marie en 1191 avec Philippe Auguste, roi de France. Le Comte donne en dot à sa nièce la province de l'Artois. Nos aïeux deviennent Français.

Passé ensuite avec l'Artois dans la Maison de Bourgogne en 1384, BILLY

vit pendant près d'un siècle dans une grande misère : guerres consécutives notamment aux rivalités entre les Maisons de Bourgogne et d'Orléans, famine, peste. En 1439, BILLY ne compte plus que 109 habitants.

Puis en 1492, l'Artois dépend de la Maison d'Autriche, et connaît le règne de Charles-Quint, empereur d'Autriche (1506-1555) ; celui-ci ayant abdiqué le 25 octobre 1555, notre province tombe sous la coupe du roi d'Espagne, Philippe II, qui lui a succédé.

 

La Seigneurie de Billy, pairie du Château de Lens, change ainsi plusieurs fois de mains. Sous les comtes d'Artois se succèdent, à compter de 1312, les châtelains de la Maison de Récourt. Elle est ensuite l'objet de tractations les Couppelot, notamment, l'achètent aux Lannoy en 1409, puis la vendent en 1454 aux Saint-Quentin dont une descen­dante, Jeanne, baronne de Billy, épousa Gaspard de Robles, illustre seigneur espagnol qui, dans une bataille livrée en 1547, sauva la vie de Charles-Quint dont il portait le guidon impérial.

 

Sous Louis XIV, par le traité des Pyrénées (1659) et celui de Nimègue (1678), l'Artois reprend sa place parmi les provinces françaises.

 

 

BILLY devient successivement BILLY-EN-GOHELLE en 1720 et BILLY-LES-HENIN en 1744. Le village compte 110 habitants en 1730.

 

La noblesse jouit de privilèges importants. Le clergé possède d'immenses domaines : la plupart des terres appar­tiennent à l'abbaye de Saint-Vaast.

 

Pour les autres, le Tiers-Etat, c'est la grande misère qui conduit à la Révolution de 1789. La féodalité est abolie ; les Droits de l'Homme sont proclamés.

L'Artois, le Boulonnais et le Calaisis sont réunis pour former le département du Pas-de-Calais. BILLY-MONTIGNY ? Une commune du canton de Lens-Est.

D'essence agricole, notre région est devenue minière? Pourquoi?

Au début du XVIIlème siècle, les industriels lillois sont menacés par une pénurie de bois. A tout prix, il leur faut ce charbon de terre » qui fait la prospérité des régions de Mons et de Charleroi. Et de faire procéder à des recherches en France.

A force de ténacité, un habitant de Condé, Nicolas Desaubois, et ses associés, découvrent le 3 février 1720 une veine de charbon de quatre pieds d'épaisseur ...

 

Que de déceptions cependant et que de capitaux englou­tis avant que Madame de Clercq, demeurant à Oignies, ne soit la cause involontaire d'une ruée vers l'or noir ! Pour agrémenter d'un étang le parc de son château, elle fait creuser en 1842 un puits d'où jaillirait l'eau nécessaire. Le sondage révèle la présence de charbon. D'autres recherches sont entre­prises, aussi fructueuses. Des associations se créent ; des concessions minières sont accordées ...

C'est ainsi que MM. BIGO, CRESPEL, DANEL et MARTIN-MUIRON, personnalités du monde industriel lillois, s'associent et font procéder à un sondage à Courrières en avril 1849 ; à 150 mètres de profondeur environ, la houille ! ...

 

Sur demande formulée le 9 mars 1850, LOUIS-NAPOLEON, Président de la République Française, par décret en date du 5 août 1852, signé au Palais des Tuileries, «  fait concession aux sieurs Bigo, Crespel, Danel et Martin-Muiron des mines de houille comprises dans les limites ci-après définies, commu­nes de Carvin, Oignies, Courrières, Hénin-Liétard, Rouvroy,

Méricourt, Billy-Montigny, Montigny, Harnes, Salau, Avion, Loison, Dourges, Noyelles-sous-Lens, Fouquierès-lès-lens, Annay, Estevelles (Pas-de-Calais). . . »

Première de la concession à être ouverte, la fosse 1 de Courrières est mise en exploitation en 1851. La teneur du charbon en matières volatiles est de l'ordre de 8 à 30 % ; la présence de grisou rend en outre l'exploitation dangereuse. Après de longues recherches, on réussit à trouver trois couches de charbon de bonne qualité, mais peu épaisses. Un bilan décevant.

 

D'autres sondages sont entrepris, et successivement sont mises en exploitation les fosses 2 de Billy-Montigny (1er juillet 1856), 3 de Méricourt (1860) et 4 de Sallaumines (1867). Comme à Courrières, les premières veines de charbon appa­raissent à 150 mètres de profondeur ; mais la teneur en matières volatiles est bien meilleure : de l'ordre de 34 à 40 %.

Quant au puits 10 de Billy-Montigny, les travaux de creusement débuteront en 1896 et seront achevés en février 1900.

L'exploitation des richesses du sous-sol nécessite de la main-d’œuvre. Cette main-d’œuvre, il faut l'attirer, l'avoir à sa disposition sur place, la « lier » à l'exploitation de la houille. A cet effet, la Compagnie des Mines de Houille de Courrières entame un programme de constructions de maisons dont les douze premières sont édifiées en 1854 le long de l'avenue qui relie la fosse 2 à la rue nationale.

 

La Compagnie en possède 646 en 1876 et 696 en 1878, logeant 2 800 personnes dont 1 100 ouvriers.

 

Ces habitations, groupées par pavillons de 8 à 20 suivant la catégorie, sont de trois types

 

- petite : une pièce au rez-de-chaussée, une autre à l'étage, et une cave ;

- moyenne : une grande pièce et un cabinet au rez-de-chaussée, deux chambres à l'étage, et une cave ;

- grande : deux grandes pièces et un cabinet au rez-de­chaussée, deux chambres à l'étage ;

le tout bâti sur un terrain permettant à chaque famille d'avoir un jardinet d'un are à un are et demi de superficie.

 

Le prix de revient d'une maison? 2 250 F, non compris le prix du terrain et des dépendances. Suivant le type de maison, les ouvriers paient un loyer mensuel de 2 à 4 F. Dans les villages avoisinants, le montant de la location est triple.

Avec le développement de l'exploitation minière et l'accroissement de la population apparaissent des institutions de bienfaisance

 

deux écoles et un asile, édifiés près de la fosse 3, peuvent accueillir 700 élèves ; les autres enfants, près de 1200, fréquentent les écoles communales et reçoivent une instruc­tion gratuite ;

- une église est construite pour les besoins du culte non loin de cette même fosse ;

- une bibliothèque et un ouvroir sont mis à la disposition de la population ;

- des cours du soir sont offerts aux jeunes ouvriers ;

- un service de santé est assuré par quatre docteurs dont un, résidant à Billy-Montigny, est spécialement attaché à la Compagnie ; les médicaments sont délivrés gratuitement aux ouvriers et à leur famille.

De la fosse 1 de Courrières sont extraites 4 000 t de charbon en 1851, 7 100 t en 1852, 11 700 t en 1853, 18100 t en 1854, 16 800 t en 1855, 20 500 t en 1856.

 

La fosse 2, ouverte en 1857, démarre avec une production Je 54 000 t ; celle-ci est de l'ordre de 56000 t l'année de l'ouverture de la fosse 3. En 1870, ces deux fosses produisent chacune 91 600 t de charbon ; la fosse 4, ouverte en 1868, atteint déjà une production de 80 000 t. Dix ans plus tard, de chacune de ces trois fosses sont extraites plus de 136 000 t de charbon alors que la production annuelle de la fosse 1 oscille entre 20 000 et 21 000 tonnes.

 

En 1888, les fosses 2, 3 et 4 produisent chacune plus de 173 000 t de charbon. L'exploitation de la fosse 1, jugée non rentable, est arrêtée.

Avec l'accroissement de la production se pose le pro­blème de l'expédition du charbon.

 

En 1856, les propriétaires des mines envisagent en un premier temps de canaliser, de Courrières à Harnes, une rivière dite la Souchez ; puis de relier Billy-Montigny à cette rivière par un canal à aménager dans la vallée de Montigny. Seule, la première partie du projet est retenue : la Souchez est canalisée du pont d'Harnes à son point de jonction avec la Deûle, soit sur une longueur de 3,800 km.

 

Dans le même temps, les fosses sont reliées par chemin de fer au canal d'une part, et à la gare de Billy-Montigny par un embranchement particulier d'autre part.

Le 1er janvier 1897, la Compagnie des Mines de Houille de Courrières se transforme en société anonyme, ayant siège social à Billy-Montigny. Son capital est de 6 000 000 F divisé en 60 000 actions de 100 F chacune. Ses statuts sont déposés chez Me Gennevoise, notaire à Douai.

En 1900, on compte environ 7 000 personnes travaillant à la Compagnie : 5 800 sont occupées au fond, 670 dans les installations minières du jour et 530 en dehors de ces installations.

En 1905, les productions suivantes sont enregistrées 231 070 t (fosse 2), 276 469 t (fosse 3), 321 025 t (fosse 4), 291 724 t (fosse 5), 392 457 t (fosse 6), 304 110 t (fosse 7), 100 128 t (fosse 8), 268 202 t (fosse 9), 232 775 t (fosse 10).

Le Conseil d'Administration à cette époque comprend huit membres ;

 

Alfred Dupont, Président ;

 

Paul Schneider, Vice-Président ;

 

Charles Derome, Charles Mathieu, Louis Piérard, Léonce Alagrave, Charles Boca et Paul Maurice, administrateurs.

Le Conseil d'Administration, dont le secrétaire est Charles Thellier de Poncheville, est aidé dans sa tâche par le directeur Lavaurs, l'ingénieur en chef Bar, le directeur du personnel Cantineau et le secrétaire de direction Fremaux.

Début 1906, la situation financière de la Compagnie des mines de Courrières se présente comme suit

 

ACTIF

- Valeur de la Concession au 27 octobre 1852              5 400 000,00 F

-Chemin de fer et canal de Souchez ....                            600 000,00 F

-Dépenses extraordinaires et de premier

établissement, matériel et immeubles utilisés

industriellement depuis le lier janvier 1897 .                21 313 955,62 F

- Charbons restant en magasin                                            232129,35 F

- Approvisionnements : magasins, chantiers

et ateliers                                                                           3138511,72 F

- Valeurs mobilières                                                       14 220 864,45 F

- Immeubles sans utilité industrielle immé­diate               1497873,11 F

- Banquiers                                                                        3167369,17 F

- Marchands, fournisseurs et comptes à régler                 3781 158,77 F

- Acompte sur dividendes de l'exercice ..                          2325000,00 F

- Espèces en caisse                                                              110 718,87 F

- Portefeuille                                                                        728 824,68 F

                                                                                              ——————

56 516 405,74 F

 

PASSIF

 

- Capital social                                                                     6 000 000,00 F

- Réserve statutaire                                                              3 000 000,00 F

- Fonds de prévoyance et amortissement

depuis le 1er janvier 1897, origine de la Société

Anonyme, des dépenses extra­ordinaires et de premier

 établissement ; matériel et immeubles utilisés

industrielle­ment ; immeubles sans utilité industrielle

immédiate                                                                              36 976 608,37 F

Banquiers             -

- Marchands, fournisseurs et comptes à régler                     4510028.05 F

Profits et pertes                                                                     6029769,32 F

                                                                                              ——————

                                                                                              56 516 405,74 F

 

C'est la « Belle Epoque ». L'or noir rapporte.

 

 

Production

en tonnes

Dividendes

 Montant

Années

suivant :

 

 

par

 

Statistique

Document

distribués

action

 

de 1907

de 1953

 

 

1897

1 674 836

1 676 196

3600000 F

60 F

 

 

 

 

 

1898

1 791 327

1 797 969

4 200 000 F

70 F

 

 

 

 

 

1899

1 930 868

1 836 694

5400000 F

90 F

 

 

 

 

 

1900

1 969 211

1 974 330

7500000 F

125 F

 

 

 

 

 

1901

1 972 966

1 979 680

6600000 F

110 F

 

 

 

 

 

1902

1 816 681

1 802 696

6 000 000 F

100 F

 

 

 

 

 

1903

2 225 730

2 226 920

6 000 000 F

100 F

 

 

 

 

 

1904

2265477

2 267 059

6000000 F

100 F

 

 

 

 

 

1905

2408684

2 417 960

3 900 000 F

65 F

 

L'exploitation du charbon transforme la Gohelle : la cam­pagne recule devant l'extension des installations minières et le développement des corons.

 

La population de Billy-Montigny croît : elle passe de 361 habitants (1846) à 876 (1861), puis de 1 404 (1876) à 2 788 (1892), pour atteindre le chiffre de 4 500 en 1902. La population a plus que décuplé sur moins de 60 ans!

Mais est-ce la « Belle Epoque » pour tous ? Quels souve­nirs en gardent Jean-Baptiste Colcanap, son épouse et la mère de celle-ci, Mme Augustin GOURLET dont le mari a été victime de la catastrophe de Courrières ?

 

La veille de la Ste Barbe 1973, nous nous retrouvons, assis bien au chaud, autour de la table de la salle à manger de leur coquette maison, sise rue du Bois, dénommée ainsi parce qu'elle menait au bois dont certains arbres se dressent encore près de la bretelle de la rocade minière.

 

Mme Stéphanie Gourlet - la doyenne de la population? - est née à Billy-Montigny le 15 décembre 1875 de parents fermiers, les Lantoine.

 

D'une lucidité et d'une vivacité d'esprit rares à son âge, elle vit heureuse au milieu de ses enfants dans une maison bâtie sur un terrain payé avec les indemnités perçues à titre de veuve après la catastrophe. Une maison qui possède maintenant tout le confort ; et ce, grâce surtout aux aménagements apportés par son gendre dont elle est fière.

 

1900, pour elle, c'était hier. Elle situe la ferme de ses parents rue Victor-Hugo, l'ancienne rue du Château. Son grand-père, lui, habitait une maison construite à l'extrémité de la rue du Marais, l'actuelle rue Gambetta.

 

Des fermiers, à l'époque, il devait y en avoir une dizaine. Et de citer quelques noms. Le dernier des cultivateurs à Billy ? M. Brillon, aujourd'hui reconverti, et qui possède des vestiges de l'époque gallo-romaine trouvés dans ses champs. Il habite également rue du Bois, dans le quartier du Vieux-Billy.

Comme dans tous villages d'alors, l'école avoisine la mairie. Ou ? A l'emplacement de l'ancienne école Voltaire, rue nationale. De l'autre côté de la rue, presque en face, jouxtant « Dom Polski », un bâtiment à la façade vétuste, porte et fenêtre irrémédiablement condamnées : « AU GRAND SALON », salle de bal où étaient également organisés des cafés-concerts, un lieu dont on reparlera ...

A l'emplacement de l'actuelle mairie était érigé le château Tourtois. Face à ce château, à la place du magasin COOP, se dressait le calvaire, transplanté depuis au cimetière. Quant à la poste, elle se trouvait rue de l'usine à gaz, en prolongement de la rue Etienne-Dolet. Et Jean-Baptiste de rappeler que son grand-père était allumeur de réverbères. Près des corons, la rue du Commerce, devenue rue Carnot.

 

Quant au secteur de Billy situé au-delà du passage à niveau, il ne faisait pas bon s'y aventurer : gare aux coups de couteaux ! 'Des immigrés belges venus travailler dans les mines, des Flamands occupés dans une briqueterie y faisaient la loi.

 

 

Par suite de la découverte du charbon, la population locale subit une mutation. Les ouvriers agricoles se tournent vers la mine qui leur procure un salaire, des avantages particuliers, et surtout une maison

La famille Lantoine abandonne la ferme pour ouvrir un café où Stéphanie sert les consommateurs. Parmi eux, un jeune mineur entré dans le métier à l'âge de 16 ans, Augustin Gourlet qu'elle épousera.

Devenue femme de mineur, elle habite une maison de coron où, comme partout, l'on s'éclaire au quinquet. Elle est entrée dans un milieu social dur, pauvre : l'un des corons n'est-il pas dénommé « Coron sans beurre » ?

 

Son mari, elle le revoit quittant la maison revêtu de ses vêtements de travail : un pantalon et un jupon blancs. Elle le revoit rentrant avec ses vêtements noircis par le charbon, vêtements qu'il déposait dans un panier avant d'effectuer sa toilette dans un baquet rempli d'une eau bien chaude.

Comment se nourrissaient alors les mineurs et leur famille ? Ils partaient au travail avec un maigre - briquet » : des tartines de pain sec frottées avec une gousse d'ail ou « beurrées »avec du saindoux, un morceau de fromage parfois, un bidon d'eau additionnée de café ou de jus de chicorée. «  Faire briquet », c'est l'occasion d'une pause qui coupe 9 à 10 heures de présence sous terre. Le repas familial était plus consistant. Bien souvent du lard et des pommes de terre. La viande est chère. Certains élèvent des cochons de manière à ce qu'ils soient bons à tuer une vingtaine de jours avant la Ste Barbe, fête patronale. D'autres, et ils sont nombreux, élèvent lapins et volailles.

Quant au pain, on en achetait rarement chez le boulan­ger. La Compagnie avait en effet aménagé, dans divers secteurs des corons, des fournils où chaque famille, à jour fixe, pouvait y faire son pain à la grande joie des enfants à l'affût d'une aubaine : une boule de pâte croustillante. Jean-Baptiste se souvient que, parfois, après la classe, il allait même y faire cuire une pomme coupée en deux et dans laquelle il avait mis un peu de cassonade.

Les pommes de terre et autres légumes étaient récoltés dans des champs loués à la Compagnie et que les ouvriers cultivaient pendant leurs loisirs.

Mais, dans les corons, on était loin de manger à sa faim ! Aussi, à cause d'une nourriture insuffisante et par suite d'un certain manque d'hygiène, la mortalité infantile était-elle importante dans le bassin minier.

Pour y remédier, sur l'initiative du préfet, et consécuti­vement à des conférences organisées par le Dr Budin, la Compa­gnie de Courrières décide, la première, d'appliquer à Billy-­Montigny l'œuvre de « LA GOUTTE DE LAIT ». A cet effet, elle organise des consultations hebdomadaires dans un local de la « Chambre » proche de la fosse 2 où, après examen, le Dr Lourties décide de l'ouverture du droit à la distribution de lait stérilisé aux mères dans l'impossibilité d'assurer un allaitement  normal ou convenable.

Mais au fait combien gagne un mineur ? En moyenne 3,80 F par jour entre 1884 et 1890, 4,65 F en 1900. Soit environ 1 090 F par an entre 1885 et 1891, 1 333 F en 1900. Il convient cependant de noter que les ouvriers du fond touchent 9 de plus que ceux du jour et qu'entre eux le salaire journalier peut varier de 4 à 7,50 F.

Quels sont les prix des denrées alimentaires? Entre 1885 et 1909, seule denrée en hausse, la viande : le kg passe de 1,47 F à 1,67 F. Sont en baisse : le litre de lait (0,28 F à 0,22 F), le kg de pain (0,28 F à 0,22 F), le kg de sucre (1,08 F à 0,63 F), le kg de beurre (3,14 F à 2,58 F), le kg de fromage (1,25 F à 1,22 F), le kg de pommes de terre (0,08 F à 0,07 F), le kg de poisson (0,62 F à 0,53 F), le litre de vin (0,65 F à 0,24 F). Sans changement, le prix de l'œuf :0,09 F.

L'exploitation d'une mine de charbon est conditionnée par l'aérage qui nécessite l'existence de deux puits communi­quant entre eux. Ces deux puits et les chantiers souterrains qui s'y rattachent forment un siège d'exploitation pouvant fonctionner indépendamment d'autres sièges.

 

Cette autonomie de fonctionnement était quasiment la règle jusqu'au jour où, en 1891, les galeries d'une fosse de la Compagnie des mines de Bruay furent ravagées par une inon­dation. L'administration autorisa dès lors le creusement de voies de communication entre deux ou plusieurs sièges ; en cas d'inon­dation, les eaux s'étaleraient ainsi sur une plus grande étendue et seraient évacuées plus rapidement, les dégâts seraient limités et les secours facilités.

Les fosses 2 et 10 de Billy-Montigny, la fosse 3 de Méricourt, les fosses 4 et 11 de Sallaumines : comment se présentent-elles en 1906? L'air entre par les puits 10 et 11 et sort par les puits 2 et 4. Quant au puits de la fosse 3, il est aménagé d'une façon un peu particulière ; deux cloisons en fortes planches allant du jour au niveau 231 le divisent en trois compartiments : le compartiment central, le plus important, sert à l'extraction et à l'entrée de l'air; l'un des compartiments latéraux, appelé goyot, est utilisé pour la sortie de l'air aspiré par un ventilateur, tandis que l'autre est muni d'échelles pour la circulation du personnel. Autre caracté­ristique de l'aérage au 3, l'air qui entre par ce puits est envoyé dans trois directions : vers les puits 2 et 4, et dans un quartier au sud de la fosse 3 ; seul l'air dirigé dans ce quartier remonte par le goyot.

Si le métier de mineur est pénible, dangereux, les tra­vailleurs. des fosses précitées semblent être privilégiés : on s'éclaire, on travaille au fond avec des lampes à feu nu. Les fosses 2, 3 et 4 ne sont-elles pas réputées comme les moins dangereuses du bassin? Des mineurs y élèvent néanmoins des souris blanches qu'ils nourrissent des restes de leur casse-croûte : le comportement de ces rongeurs peut en effet révéler les endroits grisouteux.

 

Une certaine inquiétude gagne cependant la population. Un incendie s'est déclaré dans un quartier de la fosse 3. Dans les estaminets, dans les familles, on ne fait qu'en parler.

A quel endroit de la fosse s'est déclaré cet incendie? Dans la veine « Cécile «, dont l'exploitation est terminée. Un ouvrier ramenait son cheval à l'écurie quand, passant près de la veine, il aperçut de la fumée. Il alerta aussitôt des camarades : le feu couvait dans un vieux tas de bois. Sous la conduite d'un porion, ils dressèrent rapidement un barrage fait de terres et de cailloux. C'était dans la nuit du 6 au 7 mars 1906.

Alerté, Barrault, l'ingénieur de la fosse, fit établir un nouveau barrage à la bifurcation de la veine Cécile avec la bowette de l'étage 280, puis d'autres encore afin de localiser et d'étouffer l'incendie. On y travailla toute la journée du 7 mars, les 8 et 9 mars également.

 

Pierre Simon, dit Ricq, délégué mineur depuis 1891 - le deuxième après Ballon élu en 1889, date à laquelle furent créés les délégués à la sécurité du personnel - insiste pour que l'on arrête les descentes : à son avis, il y a danger de poursuivre l'exploitation du charbon ...

Chez les Carrière, père et fils s'opposent sur les pro­cédés employés en vue d'enrayer l'incendie. Le père, c'est l'Ancien. Le fils, Damas, géomètre à la fosse 4, un jeune imbu de cette science qu'il a acquise à I'Ecole des Mines de Douai dont il vient de sortir.

 

Le père, agent de maîtrise, trouve inhumaines les condi­tions dans lesquelles les ouvriers sont occupés à dresser les barrages. Ils n'en peuvent plus de travailler dans la chaleur, dans la fumée. Pour leur permettre de tenir le coup, on leur fait même respirer de l'oxygène ! ...

 

- C'est fou ce qu'on nous fait faire là ...

 

- Mais non, réplique Damas, c'est la bonne tacti­que ... Vous supprimez l'air et le foyer s'éteindra. C'est simple. Vous êtes « vieux jeu » et vous ne voulez pas comprendre !

 

A ces mots, le père Carrière rudoie son « galibot » ... . Leur dernière discussion ...


 

 

   HAUT        ACCUEIL

   RETOUR BILLY AU COEUR DE LA CATASTROPHE DE COURRIERES