Vendredi 9  octobre

 

Brouillard le matin. Dès qu'il se lève vers neuf heures, le combat recommence.

Temps très beau.

 

L'action semble plus proche. Sur certains points, car on a entendu non seulement le canon mais encore les feux de mousqueterie.

 

Beaucoup de femmes se présentent pour toucher le salaire de leurs maris qui sont enfuis en grande partie. Malheureusement elles n'ont pas pour la plupart de fiches de paie, ces fiches n’ont pu être faites aux 2, 3, 6 et 10 les seules fosses qu'on puisse aborder pour le moment, on trouve pêle-mêle quelques carnets de porion qui pourront nous servir pour créer ces fiches. Malheureusement le personnel employé de ces fosses est introuvable à part quelques exceptions rares.

 

Comme les Allemands ont emmené un certain nombre d’hommes pour faire des tranchées et enterrer leurs morts, ceux qui ont pu se cacher ont bien soin de ne pas se montrer.

 

Les vivres, viande et pain commencent à devenir rares.

 

La journée se termine assez calme, on n’entend plus le canon que très loin.

 

Il est venu fréquemment des voitures chercher des fourrages. Nous n'avons plus de voitures à part un très lourd chariot, et la vieille ambulance à chevaux. Plus de harnais et les chevaux du jour qui nous restent sont tous éclopés. Nous avons 300 chevaux environ chez les cultivateurs des environs.

 

Nuit assez calme.

 

Samedi 10 octobre

 

Le temps continue très beau. Il arrive de l'artillerie qui, ne trouvant plus de place pour ses chevaux ne s'arrête pas ici comme elle devait le faire.

 

Matinée calme. Le combat se déroule assez loin.

 

Dans l'après-midi, voyant deux militaires (dont un officier) dans le parc derrière la maison, je vais près de l'officier pour lui parler. Le soldat était assez éloigné de lui.

Je demande à cet officier ce qu'il veut.

 

 

 

Aussitôt il siffle celui qui l'accompagnait, ce dernier accourt après avoir mis sous son vêtement de chauffeur d’auto, son coutelas qu'il avait sorti de sa gaine. Il me saisit, me fait lever les mains et se met à me fouiller ; ma femme à la vue de cette scène était accourue avec M.Desbleu ; elle était très émue en présence de ces menaces, l'officier avait sorti son revolver.

 

Celui qui me fouillait trouve dans la poche de mon pardessus un corps dur qu’il sort triomphalement pensant que c'était un revolver. C'était mon livre de messe que j'avais pris le matin pour lire les prières des morts à l'enterrement de notre blessé n'espérant pas avoir un prêtre.

Notre curé est en effet toujours retenu, le vicaire est soldat ; heureusement le curé de Fouquières avait pu venir au cimetière.

Je fais appeler par Desbleu un soldat qui parle français et je demande des explications.

On me répond qu'il y a dans le parc une odeur asphyxiante et que c'est moi qui ai dû la répandre. Prétexte stupide et de pure fantaisie.

Je réponds alors qu il est incroyable qu'on traite de cette façon le Directeur de la Compagnie qui a chez lui l'Etat-major, qui loge en ce moment un officier depuis quelques jours.

Les agresseurs paraissent fort gênés de leur acte et on me laisse tranquille.

 

À 16 h nouvel incident.

Je vais au numéro 2 où l'officier que j'ai chez moi demandait des explications sur le fonctionnement des cages. Je lui explique que la fosse est arrêtée.

Il me demande si on ne pourrait pas descendre pour s'assurer s'il n'y aurait pas, comme on le croit, des soldats cachés dans la mine.

Il dit qu'il a avec lui deux mineurs de son régiment qui pourraient accompagner la personne que je mettrais à sa disposition.

Je fais mander le porion contrôleur Chavaudra.

On se met à descendre par les échelles, mais on est arrêté à une quarantaine de mètres, une échelle avait été enlevée pour une réparation à faire au cuvelage. On ne peut aller plus loin, beaucoup d'eau tombant dans le goyau.

Cela semble étrange à l'officier qui me demande par où on pourrait accéder au fond.

Je lui dis qu'il n'y a pas d'autre issue que par le numéro dix.

On décide d’y aller. J'envoie chercher un deuxième employé nommé Lecocq, surveillant au numéro 2, pour accompagner la colonne et on se met en route.

 

Mais comme je n'avais pas été appelé d'abord au numéro 2, que j'y étais allé par hasard, je pensais qu'on n'avait pas besoin de moi au numéro 10 et je rentrais tranquillement chez moi, lorsque l'officier s’en apercevant me court après, me rattrape vers l'extrémité des bureaux, m'interpelle violemment et me dit de le suivre, prenant en même temps les personnes qui étaient rassemblées près de la place de la Régie, Messieurs Frémaux, Leborgne et Levallois (les deux médecins),Vuillot vétérinaire, Desbleu et le commissaire de la commune.

 

Je calme alors l'officier en lui expliquant que je ne comprends pas la raison qui peut provoquer sa colère, qu'il ne m'a pas demandé de l'accompagner et que je n'ai pas jugé ma présence utile ; il se radoucit beaucoup et nous fait entrer dans un local de la fosse numéro 2, mettant deux factionnaires devant la porte et il me dit qu'il reviendrait bientôt.

 

Il était 17 h 40 et il n’était de retour qu’à  23 h 30. Nous avons donc attendu près de 6 h Je craignais en le voyant tarder si longtemps qu'il lui fut arrivé un accident ce qui aurait singulièrement aggravé notre situation.

 

Les ventilateurs étant arrêtés et le numéro 10 dégageant beaucoup de grisou on pouvait redouter une explosion ou une accumulation de mauvais air ; les lampes qu'ils avaient prises avaient déjà servi et pouvaient n’être plus suffisamment garnies pour continuer à brûler.

 

Aussi vers 22 heures, anxieux ne pas voir revenir l'expédition, fis-je demander un officier pour lui faire part de mes craintes ; on décida d'aller au 10 et on allait  nous y emmener, lorsque, ô providence, la colonne arrivait juste à ce moment-là.

 

L'officier  me dit qu'on avait dû continuer à donner à manger aux chevaux et par conséquent descendre dans la mine ; qu'il avait donné l'ordre à Chavaudra de faire remonter les ouvriers descendus, faute de quoi, il l'avait menacé de le fusiller.

Revenu chez moi où il prend ses repas et loge, il s'excusa auprès de ma femme qui m'attendait en larmes, il m’exprima aussi des regrets d'avoir du prendre cette mesure issue d'un malentendu.

Mes compagnons  étaient délivrés avec moi bien entendu, quant à Chavaudra, on ne l'a pas revu et j'ai expliqué à l'officier que terrorisé, sans doute par sa menace , il chercherait à se cacher et je le suppliais de ne rien faire contre lui ; il me le promit.

 

En somme on est hanté dans l'armée allemande de cette idée qu’on abrite des combattants dans les fosses ; mon officier me disait que dans un des puits de la Compagnie de Lens (le numéro huit paraît-il) on aurait utilisé le chevalement et les cages pour y installer des mitrailleuses.

 

C'est sur un ordre venu du Général que toutes ces recherches sont faites. Je lui ai dit que mon désir serait que le Général envoyât ici un officier qui soit ingénieur des mines qui examinerait nos installations toutes arrêtées et qu'ainsi il se rendrait compte que les soupçons que l'on a ne sont pas fondés.

 

Dimanche 11 octobre

 

Dans la matinée et l'après-midi, on entend la canonnade dans la direction Méricourt Avion. Ce sont des coups espacés de même que ceux venant du Nord entre Pont-à-Vendin et Carvin.

 

Après-midi l'officier me demande communication des plans de nos travaux intérieurs des fosses. M. Storez toujours très dévoué et qui me rend beaucoup de services, les lui montre avec moi et nous lui donnons les explications qu'il désire pour faire sans rapport au Général qui est à Lens.

 

À 16 heures, deux autos ambulances allemandes viennent avec un major et des infirmiers prendre les blessés que nous avons en traitement. Ils en  emmènent 20 à Douai, nous en laissant un très grave et l'autre intransportable pour le moment.

 

Lundi 12 octobre

 

Dans la nuit du 11 au 12, entre 21 heures et 2 heures du matin, le canon reprend toujours dans la même direction.

Ca doit se passer très près d'ici, car parfois les fermetures des portes et fenêtres vibrent très fort et on entend même les feux de mousqueterie.

 

Un piéton d’Hénin-Liétard vient nous dire que tout est tranquille maintenant. La ville est occupée, mais on y circule sans difficultés et hier les offices religieux y ont été célébrés et très suivis.

Quand pourrons-nous en dire autant ?

 

La ville de Lens aurait, paraît-il, été saccagée et c’est par centaines qu'on emmène prisonniers les groupes de civils pris parmi les hommes de 18 à 50 ans. C'est un défilé presque constant aussi de convois de blessés  allemands.

 

Pour le moment et depuis dix jours nous ne devons pas sortir de Billy, de telle sorte que nous sommes dans l'impossibilité absolue de savoir  ce qui s'est passé à nos différents sièges. Le numéro 5 aura été certainement très maltraité, mais probablement pas la fosse numéro 12 du même siège.

On m’a affirmé qu'il n'y avait rien au 21/ 22 bien qu'il ait été occupé pendant longtemps par les Allemands et qu'il y ait eu de la fusillade et des coups de canon de ce côté.

Le numéro 4 serait indemne aussi.

 

 

Lorsque nous pourrons circuler, ce sera un triste et désolant pèlerinage à accomplir en voyant tant de ruines accumulées, tant de sacrifices et d'effort perdus, tant de désastres à réparer !

 

Nous n'osons y penser sans être atterré de l’impuissance dans laquelle nous nous sommes trouvés de préserver toutes ces richesses confiées à notre garde.

 

Dans l'après-midi, continuation du combat que nous croyons devoir se dérouler suivant une ligne qui passerait par Eleu, Liévin, Pont-à-Vendin et Carvin.

 

L’officier que j’ai chez moi demande à ce que l'on tente demain matin de sortir les chevaux qui se trouvent au numéro 2  parce qu’il en a besoin.

C'est très compliqué ; nous n'avons pas de machiniste sous la main et rien qu'un seul surveillant, Lecocq, qui s'est très bien conduit.

Heureusement Storez se met en quête, muni d'un laissez-passer et trouve le nécessaire.

 

Le soir à 6 heures on finit par savoir que Chavaudra était remonté la nuit précédente du numéro 10 exténué de fatigue après y avoir séjourné 48 heures.

Je l'annonce à l'officier lui rappelant sa promesse de ne pas l’inquiéter.

Il me la confirme.

 

Mardi 13 octobre

 

Dès le matin, on organise la remonte des chevaux du numéro 2, opération longue et difficile étant donné qu'il faut tout remettre en état, provisoirement au moins.

L'officier présent me donne 8 hommes à lui qui assistés de Lecocq et du porion d’abouts Delbarre, effectuent cette corvée en quatre heures, on remonte 10 chevaux sur lesquels il en prend six, pour lesquels il donne des bons de réquisition.

Ses prix d'estimation sont élevés. Il prend le vingtième de la valeur d'achat que je suis à même de lui donner, multiplie ce quotient par le nombre d'années de service du cheval et en déduit le produit du prix d'achat.

Ainsi un cheval de1200 francs ayant  trois années de service est estimé 1020 francs.

 

N’ayant pas assez de chevaux l'officier projette de faire la même opération au numéro 10.

Je lui réponds que cela me semble impossible.

 

On y va en effet l'après-midi avec lui.

 

De l'examen fait, il résulte que les chaudières sont absolument vidées, que nous ne disposons pas sur place de moyens de les remplir et que les cages sont dans le puits au rechangeage,  c'est-à-dire au point de rencontre de la cage montante et de celle descendante.

On a du culbuter des berlines sur les cages pour les enlever, on devra employer un treuil à bras, ce qui nous demandera plusieurs jours.

On renonce donc à remonter les chevaux.

 

Cette visite permet de constater qu'à la machinerie il n'y a pas pour le moment de dégâts sérieux.

 

À peine rentré avec moi à quinze heures, l'officier reçoit l'ordre de départ et  en une heure de temps, les convois de ravitaillement, les dragons, l'infanterie, l'artillerie partent dans la direction de Courrières.

 

Je ne sais rien du numéro huit.

 

Aurons-nous encore des troupes allemandes envahissant la contrée ?

Est-ce de la fin du cauchemar ? Dieu le veuille ?

 

Ce qui est certain c'est que nous sommes toujours très près de l'action. Le mouvement de cette après-midi nous apparaît comme un recul de l'ennemi.

 

Les Français viendraient-ils les remplacer, nous n'osons encore l’espérer.

 

Pendant toute cette occupation, tout a été mis au pillage ; nos fourrages, nos magasins pour tout ce qui était fournitures de bureaux, pétrole, menus objets, fers à cheval, nos voitures, camions, harnais, tout cela pris sans réquisitions.

L'absence de surveillance permettait tous ces larcins.

Les maisons inoccupées du village sont absolument déménagées par les Allemands et les femmes du peuple.

Celles habitées ont été respectées.

 

Parmi les personnes très énergiques, je citerai en tête madame Myon qui est resté chez elle avec ses neuf enfants, madame et mademoiselle Scherrer et madame Detrans.

 

Un peu avant la tombée du jour le canon recommence et continue à gronder très fort une partie de la nuit malgré l'obscurité profonde ; il semble être du côté de Wingles. Les coups se succèdent à moins d’une minute d’intervalle.

 

Une ou deux compagnies d'infanterie étaient arrivées sur la route nationale vers 17 heures (5 à 600 hommes). C'était une compagnie composée de beaucoup de soldats alsaciens ; ils étaient exténués, venant de faire seize jours de marche. Leurs officiers étaient très durs. Tout ce monde s’est cantonné sur la route sans s’écarter.

Cette compagnie devait aller dans la direction de Lens.

 

 

Mercredi 14 octobre

 

Mais elle part pendant la nuit dans la direction de Courrières.

 

Nous avons oublié de dire que pendant toute la journée d'hier il est passé pendant presque toute la journée d'immenses autos transportant vers Lens de l'infanterie.

 

Les autos revenaient à petite allure avec les blessés.

 

 

Le service de ravitaillement et le transport sont fait d'une façon admirable avec un matériel très complet et en parfait état.

 

Les hommes et les chevaux ne paraissent pas fatigués à part quelques compagnies.

 

A 14 h, nous apprenons que notre maison d'ingénieur du numéro 10 est en flammes. L'incendie a du être allumé le matin, on a vu deux soldats allemands sortant de l'immeuble. Il était impossible de combattre l'incendie faute d’eau.

Les voisins ont sauvé quelques meubles qu ils ont sortis dans le jardin. Le peu qui a été retiré, a été mis dans les maisons voisines.

Nous avons fait rapporter un petit coffre-fort qu'on avait essayé d’éventrer sans y réussir.

Est-ce par dépit que les Allemands ont mis le feu, ou est-ce un signal de départ.

Le fait est que ce départ de Rouvroy a eu lieu quelques heures après.

 

On canonne violemment jusqu'à seize heures.

 

Grand mouvement de troupes ennemies prenant la direction Nord. On demande à plusieurs reprises la route de Carvin.

 

Nous recevons au milieu de l'après-midi, la visite de M. Maurice Thellier de Poncheville qui, autorisé par l'Etat-major allemand du 7ème corps dont une partie est encore à Lens à aller  chercher de la farine, est passé par ici pour savoir ce que nous étions devenus.

Il peut nous renseigner un peu sur ce qu'il a vu et appris.

 

Il habite sur la haute nationale à l'entrée de Lens à 150 mètres avant d'arriver au pont sur le canal.

 

Là se sont livrés des combats de mousqueterie pendant quatre jours. Sa maison n'a pas été atteinte. Il a eu de nombreux officiers chez lui après.

 

Pendant tout ce temps là, il s’est consacré avec un dévouement admirable à enterrer les morts.

 

Il nous dit que pendant 8 jours, les ennemis ont cherché à percer  le passage du côté de Liévin Avion sans pouvoir y parvenir, que ces deux localités ont beaucoup souffert et que les installations de la compagnie de Liévin ont du être très atteintes.

M Reumaux a été emmené à la fosse numéro 8 située à l'Ouest de notre 21/22. On prétendait (c'est toujours cette idée fixe qu'on y avait dissimulé dans le puits des soldats français et devant lui on a précipité les cages au fond en coupant les câbles et on aurait  incendié les installations de récupération des fours à coke situées à ce siège (sur ce point pas de détails).

 

M. Maurice Thellier de Poncheville ne sait rien des fosses avoisinant Lens, il n'est pas fixé non plus sur le point extrême Ouest qu’ont atteint les Allemands, peut-être  dit-il sont-ils allés jusqu'à Bully-Grenay.

 

On aurait, d'après les renseignements, lancé une centaine d'obus sur le faubourg Sainte-Catherine d'Arras qui se trouve à l'entrée de la ville en venant de Lens, mais les Allemands n’auraient pu gagner Arras, ni par Douai ni par Lens.

 

Nous avons ainsi une explication de la canonnade  persistante que nous avons entendue dans cette direction pendant tous ces jours derniers, on s’est battu aussi pendant toute cette période dans la direction de Wingles et de Pont-à-Vendin, où il y aurait beaucoup de dégâts.

 

Enfin, il nous dit que la bataille de l’Aisne est une victoire, du reste les opérations qui se déroulent autour de nous permettent de le croire, cette bataille se continue de nos côtés.

 

Il y avait à Lens le 7ème et 14ème corps d'armée ennemie, le 14ème est parti hier et le 7ème n’est plus au complet.

 

La ville de Lens a été frappée d'une contribution de 900 000 francs et Liévin (la ville ou la Compagnie ?) de 300 000.

 

Le soir vers 21 heures, on entend le canon dans la direction d'Annay jusqu'à 24 heures.

 

 

 

Journal de bord de Monsieur Lavaurs

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