Dimanche 4 octobre

 

Un officier vient le matin vers 8 heures, c'était M. Baum. Il m’apporte un sauf conduit pour permettre à M. Storez d'aller aux fosses 7 et 9. Il a cinq heures pour faire cette tournée.

 

Il n'y avait personne aux fosses, les feux sont tirés, il doit chercher les porions pour leur dire qu'il est interdit de les rallumer jusqu'à nouvel ordre. Il n'y avait bien entendu personne au fond.

 

M. Baum et moi partons pour que je donne les mêmes  ordres aux 3, 6, 10 et 2. Comme il restait encore une voiture non volée et des débris de harnais et qu’il me voyait fatigué il me conduit en voiture après avoir demandé à ma femme de faire préparer pour son retour un déjeuner pour trois officiers.

 

À la fosse 3, je constate que les chaudières sont éteintes, que par conséquent on ne peut remonter ni descendre au fond autrement que par les échelles.

J’entre dans la salle des machines et y constate une grosse avarie à la turbine causée vraisemblablement par une cartouche de dynamite.

 

De là nous allons au 6/14. Le bâtiment de la fosse 6 est brûlé, il ne reste que les murs ; quelques avaries au  groupe électrogène, manomètres et compteurs de tours brisés.

 

 

 

Personne à la fosse. Il  juge inutile d'aller au numéro dix et se rend bien compte lui, directeur d'une mine en Westphalie que personne ne doit être au fond.

 

 

 

 

 

En revenant, je lui fais observer qu'il n'y a plus d’eau à Billy, que nous n'avons plus de courant électrique et je lui demande l'autorisation qu’il me donne écrite d'allumer deux chaudières à vapeur au numéro 2 pour faire fonctionner la pompe à vapeur du château d’eau.

 

Dans l'après-midi, des officiers  viennent demander combien d'argent nous avons dans le coffre fort !

Il y a plus d'un million dont 40 000 francs en or et 60 000 en numéraire

Il nous défend de toucher à cet or et à ce numéraire et sur mon observation que nous devons assurer le paiement du personnel employé, des ouvriers, des secours de la compagnie, il me dit que nous ne devons prélever ces sommes que sur les billets de banque.

  

Je passe sur les demandes de vins de Champagne qui m'ont été faites à diverses reprises par des officiers, sur les réquisitions d'avoine, sur les voitures, chariots, fourrages qui ont été volés.

 

Le soir à 19 heures, un officier de cantonnement que j’ai vu à diverses reprises pendant ces deux dernières journées vient m’informer que 6000 cavaliers arriveront dans un instant que j'aurai à coucher le Général et son Etat major, c'est-à-dire 31 officiers, 200 cavaliers et chevaux.

Le général arrive à 21 heures ; il est courtois. Il se couche de suite, les officiers  prennent leur repas à la maison, il leur est préparé par deux cuisiniers à eux avec les vivres qu'ils apportent.

 

Du reste nous n'avons pas de provisions et nos domestiques se sont sauvés, un officier  me demande 18 bouteilles de vin, champagne et autre, me disant qu'il  va me les   payer ; je lui réponds que je vais les lui apporter mais que je ne  suis pas débitant de boissons et que je ne reçois pas l'argent.

 

Lundi 5 octobre

 

Tout ce monde part à six heures du matin direction Lens. Avant de quitter la maison hier M. Baum a mis une inscription à la craie sur la porte ; la traduction est la suivante « Réception bonne, personnes âgées aimables, à épargner, signé Baum ».

 

Pendant la journée on a peu entendu le canon, c'était dans une direction Ouest à une dizaine de kilomètres, un défilé de troupes, cavaliers et artillerie, suivies d’immenses convois de ravitaillement n'a pas cessé pendant toute la journée jusqu'à 19 heures.

 

J'étais sur la route vers 17 heures cherchant un officier d'état-major pour me plaindre de diverses atrocités commises dans le village pendant la nuit, lorsque j'aperçois un aéroplane français ou anglais.

 

 

 

 

 

 

 

À ce moment, on lui décoche un obus qui vient tomber sur la gouttière de l'angle Sud-est de la maison. Cet obus heureusement n'a pas éclaté. Il a fait un trou dans la toiture et le plafond d'une mansarde et il est retombé par terre. Je le fais jeter dans la pièce d'eau pour éviter tout accident.

Lorsqu'il est tombé il y avait à la porte de l'ambulance située dans le côté des bureaux touchant au parc, une femme, quelques infirmières, messieurs Frémaux et Liégeois.

 

Dans la journée était venu un officier réquisitionner 24 bouteilles de champagne. Il était conduit par l'auto ambulance de la Compagnie bondée de provisions.

Je lui fais observer que cette voiture avait été enlevée le samedi pendant que j'étais prisonnier, qu’on n’en avait donné aucun reçu et à force d'insister j’en obtiens un.

 

La nuit a été calme. Le village est déblayé de troupes. Les maisons inoccupées ont été absolument pillées par les soldats aidés par les femmes du village dont beaucoup se sont comportées d'une façon répugnante.

 

Nous sommes réduits à un petit nombre de fidèles : Messieurs Frémaux, Liégeois, Descouvemont, Leclercq, Storez, Vuillot, Leborgne et Levallois  (médecins) Leleu, Desbleu, Honoré, Loeilllet, Brulin, Escamp, Douchy, Logez, Laurent, Chavaudra, Lecoq .

Beaucoup sont cachés chez eux n'osant se montrer.

 

La garde de nos installations est impossible à assurer. Ce qui est de la plus grande gravité, c’est l’impossibilité absolue dans laquelle nous nous trouvons de rien faire pour l'entretien. Quelles conséquences désespérantes !

 

Mardi 6 octobre

 

Les voitures de ravitaillement passent nombreuses dans la direction d’Hénin ; elles viennent du front transportant des blessés et  repassent chargées de vivres et de munitions. Depuis le premier jour de la bataille nous avons 24 blessés français.

 

Vers midi le canon qu'on avait cessé d'entendre depuis hier matin tonne à nouveau, mais beaucoup plus près. Que s'est-il passé ? Est-ce un recul de l'armée allemande ? Est-il venu des renforts français ou anglais de Dunkerque ? Est-ce une partie de l'armée de l’Aisne ? C'est pour nous un mystère. Cet aéroplane allié venu hier au soir semblerait indiquer qu'il est venu repérer la position des troupes ennemies.

 

Vers le soir à partir de 16 heures passe à grande allure un défilé interminable de voitures de ravitaillement allant de Lens vers Hénin. Ce défilé dure incessant jusqu'à minuit et il reprend ensuite en sens inverse, toujours escorté de cavaliers. En somme il emporte des blessés et rapporte des munitions et des vivres…

 

Le canon n’avait cessé de gronder jusqu'à 17 heures.

 

Mercredi 7 octobre

 

La nuit du 6 au 7 a été calme. La matinée également.

 

Beaucoup de circulation d'artillerie qui stationne ensuite sur la route depuis Hénin jusqu'à Méricourt. Il en vient aussi par Rouvroy. Ce sont des renforts évidemment.

 

Vers 10h 30 une femme, dont malheureusement nous ne savons pas le nom, vient de la part du maire, prétend elle, nous dire que l’on va bombarder Billy, qu'il faut rentrer dans les caves avec les provisions.

Nous mettons aussitôt nos blessés à l'abri et nous même rentrons dans le sol avec quelques personnes.

Nous supposons que c'est un duel d'artillerie qui va avoir lieu tout près de nous et non un bombardement systématique  ayant pour objet de détruire Billy.

 

Comme à une heure, nous entendons le canon du côté d’Avion et Méricourt village, nous sortons de nos retraites, rentrons nos blessés dans l'ambulance et nous concluons que nous avons été dupes  d'une mauvaise plaisanterie.

 

Toute la journée et une partie de la nuit jusqu'à deux heures du matin, le canon a grondé violemment sauf une accalmie de 20 à 23 heures.

 

Billy est toujours traversé par les convois.

 

Le pillage continue par les Allemands et par les femmes du pays. Malheureusement nous n’avons personne sous la main pour y mettre ordre.

 

Tailliez, chef de carreau retraité du numéro trois vient dans l’après-midi me dire que les Allemands ont mis hier le feu au numéro trois et qu’on  voit brûler le numéro cinq ( ?), ainsi toutes nos vieilles fosses avec charpente en bois auraient été brûlées sauf le 2 à cause de la proximité de nous.

 

 

 

 Quelle désolation et quelles ruines et qu'il est cruel de se voir réduit à l’impuissance absolue de rien faire pour protéger ce qui est confié à notre garde ! Tous les chevaux restés au fond vont périr faute de nourriture puisque les cages ne doivent plus fonctionner et qu'il est impossible de descendre.

 

Jeudi 8 octobre

 

Le combat recommence plus tôt que ces jours derniers.

Dès huit heures on tire le canon, autant qu’on en peut juger ce serait du côté d'Avion.

 

Il fait depuis 8 jours un temps splendide qui facilite toutes les opérations de mouvement de troupes et de transports.

 

En somme depuis vendredi, l'action se passe sur notre concession ou dans son voisinage immédiat. Après s'en être éloigné  un peu elle semble y revenir ; en tous les cas  nous en aurons subi les plus désastreuses conséquences.

 

Ce n'est que plus tard que nous pourrons nous en rendre compte, mais malheureusement déjà, leur importance nous apparaît considérable, immense. Je ne sais rien bien entendu de ce qui s'est passé dans notre voisinage, rien non plus de ce qu’il y a eu au nord de la concession.

 

Dans l'après-midi, nous recevons pour les loger  une partie d'escadron du 22ème dragons Badois. Je les mets dans nos écuries et je prends chez moi l'officier  qui les commande, donnant l'autre à M. Frémaux  sur sa demande.

 

 

 

Les officiers sont très polis. Je leur demande d'interdire à leurs hommes de pénétrer dans nos bureaux comme d'autres l'ont fait. Ils donnent l'ordre de ne pas s'en approcher.

Ils seront ici, disent-ils, trois ou quatre jours. Ils viennent de Lorraine.

 

Un de nos blessés meurt. Il avait reçu une balle dans la tête et il succombe à une méningite.

 

Pendant une partie de la nuit le combat continue.

 

 

Journal de bord de Monsieur Lavaurs

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