Jeudi 22 octobre

 

Vers quatre heures du matin, quelques coups de fusil sont tirés très près de nous toujours au Sud.

 

On nous dit qu'à la première heure du jour, des soldats cyclistes français, seraient venus à Billy ayant pour mission de se rendre compte de ce que c'est que le bâtiment qui se trouve près de la voie entre Billy et Méricourt. C'est notre lavoir central. Cela nous fait craindre pour cette installation, pour la fosse 3/15, car un combat pourrait bien être engagé de ce côté.

 

 

Nous voilà revenus dans la zone de feu. Que vont devenir nos installations ? Quelle angoissante perspective !

 

La canonnade est très forte depuis le lever du jour, elle continue avec acharnement jusqu'à 7 heures du soir, assez violente souvent pour faire vibrer les fermetures de la maison. Puis les coups deviennent plus rares jusque vers minuit, heure à laquelle ils cessent complètement.

 

Mais nous avons vécu des heures bien pénibles au cours de cette journée.

 

Les Allemands étaient toujours du côté d’Hulluch, Wingles et La Bassée, également sur les hauteurs en avant de Méricourt avec leurs pièces tirant en direction du Sud et du Sud-ouest.

 

Dès le soir vers 19 h beaucoup de leurs pièces évacuent cette dernière position ; les unes passent par le chemin qui vient aboutir au passage à niveau de la gare de Billy entre cette dernière et le N° 10 et elles se dirigent en partie sur Carvin par Fouquières et Montigny, et le reste par Hénin-Liétard. Il paraît que des batteries se sont repliées également sur Beaumont ; c'est le point où elles se trouvaient il y a vingt jours.

 

Vendredi 23 octobre

 

La nuit a été relativement tranquille.

 

On nous dit que d'après un journal de Roubaix datant de huit jours, l'armée du général von Klück aurait été complètement défaite et en partie prisonnière !

 

Dès huit heures du matin le combat recommence plus au Sud-est, mais il n'a pas été violent et les coups ont été très espacés. Il en a été ainsi pendant toute la journée et une partie de la nuit.

 

Samedi 24 octobre

 

Vers 1 heure du matin et jusqu'à 2 h 30 on entend quelques coups de canon et des bruits qu'on ne peut exactement définir.

Les uns croient que c’est de la fusillade d'autres étant donnée la  régularité de ces bruits prétendent que c'est le cahotement des roues de canon et de voitures qui ont passé sur la route de Lens à Carvin.

Il nous est impossible d'être fixé exactement.

 

Dès le matin un officier vient chercher de l'essence. On lui relate que de  nouveaux faits de rapine se sont commis cette nuit, cette fois à Billy chez Libre boucher, par des déserteurs ou des Italiens.

Il se fait conduire sur les lieux et après des recherches faites dans les maisons où l'on soupçonnait que ces gens s'abritaient il a pu mettre la main sur 4 hommes et 2 femmes.

Dans le groupe un Allemand.

Tous ont été emmenés.

Il doit envoyer cette nuit une patrouille de soldats habillés en civils qui seront chargés de surveiller les abords de ces maisons.

Un peu avant midi le canon recommence à tonner jusqu'à 19 h avec un acharnement inouï ; coups presque aussi répétés qu’avant hier mais beaucoup plus forts.

 

M Masson vient nous voir avec un sauf conduit.

 

Il est venu le 25 septembre de Provins pour remplacer le directeur actuel M. Virely appelé sous les drapeaux.

Il nous dit que 2 batteries de 220  tirent abritées derrière Beaumont, d'autres sont à Rouvroy et à Bois Bernard.

 

Un ballon captif allemand est toujours en observation au-dessus d’Acheville. Le tir est  dirigé vers les collines de l’Artois. C'est toujours la même bataille interminable qui se poursuit depuis trois semaines.

Le feu continue sans discontinuité.

Comme chaque jour plusieurs aéroplanes allemands explorent la position des troupes. Ils viennent de la direction de Douai, passent au-dessus de Rouvroy, Bois Bernard, Méricourt village, Lens, Pont-à-Vendin et retournent immédiatement sur Douai.

 

M. Masson nous apprend que la fosse N°2 de sa Compagnie, celle située au Sud de notre siège numéro 10/20 serait détruite, toujours sous le même prétexte qu’on y a abrité des soldats et des civils qui ont tiré sur les Allemands.

On lui a brûlé également un coron.

 

Il ne sait rien de certains sur les dégâts faits aux installations de la Compagnie de Lens, mais on lui a dit qu'ils étaient considérables.

 

Hier nous avons pu remplacer cinq pièces de cuvelage au numéro 2 et aveugler ainsi la voie d'eau importante que nous avions depuis le deux de ce mois.

 

Après une autorisation obtenue du Commandant d’Harnes, on fait aujourd'hui la même opération au numéro 9.

 

Comme nous l'avons déjà dit, il est très difficile de se procurer les hommes nécessaires pour ces opérations délicates qui demandent des spécialistes (il nous en reste un sur trois). C’est grâce à M. Storez dont je ne saurais trop louer le dévouement, la compétence et la prudence que nous pouvons réussir dans l'exécution de ces mesures dont l'importance est très grande.

 

Malheureusement elles ne sont pas possibles à tenter partout, et cela pour deux raisons : impossibilité matérielle d’abord pour les 6/14 3/15 5/12 et 10/20, enfin absence d'autorisation qui ne serait pas donnée pour les sièges situés du côté de Lens.

 

Entre 21 h et 23 h, il y a eu une contre-attaque des troupes françaises ; elle a été très violente. Des aéroplanes indiquaient par des signaux lumineux la position de l'ennemi, on a entendu très distinctement le canon français et la mousqueterie a également  beaucoup donné.

Vers  minuit le calme s’est rétabli et …….

 

 

 

 

 

Dimanche 25 octobre

 

Le reste de la nuit n’a été marqué que par quelques coups de canon ; à six heures reprise plus accentuée qui durera toute la journée. C'est toujours du même côté qu’on se bat : fosses 11 et 12 de Lens, Hulluch, Bénifontaine, Vendin, Wingles.

 

On vient m’aviser dans la matinée qu'à midi arriveront 7 officiers avec un convoi de ravitaillement conduit par 134 chevaux.

Je prends chez moi le Commandant et le médecin ; cinq officiers logent  à l'ambulance, la colonne est placée dans nos locaux et écuries de la fosse nº 2.

 

Lundi 26 octobre

 

La nuit la canonnade continue de même que le lendemain dans l'après-midi surtout.

 

À 15 heures arrive un envoyé de M. Tilloy (le docteur Devallez) m’apportant une lettre par laquelle il m’informe que la commune de Courrières est frappée d’une contribution de guerre de 112 500 francs, (90 000 marks) qui devra être versée le lendemain à midi, faute de quoi on enlèverait des otages de la commune et on brûlerait des maisons, il ajoute que l'officier exigeant la contribution aurait fait remarquer que la Compagnie a 2 fosses sur le territoire de la commune et qu'elle est intéressée à éviter des dégâts !

 

Cette contribution doit être versée 1/3 en or, 1/3 en argent et le reste en billets.

 

M. Tilloy me fait savoir qu'il réunit son conseil municipal pour prendre une délibération par laquelle la commune s'engagerait à rembourser en plusieurs années la somme qui serait avancée par la Compagnie.

Il me fait savoir que la commune n'a pas d'argent et que son envoyé signera pour lui le reçu de la somme que nous lui avancerons.

 

Je réponds à cet envoyé que cette contribution est excessive, que l'on doit protester, qu’en tous les cas la Compagnie ne peut avancer pareille somme, mais au grand maximum 35 à 40 000 francs et uniquement en billets. Mais que pour faire cette avance il me faut un reçu signé  par le Maire, le dit reçu  accompagné d’une copie conforme de la délibération du conseil municipal engageant la commune à rembourser l'argent avancé  à première réquisition après la guerre et non pas en plusieurs années.

 

L'envoyé doit revenir demain.

 

Mardi 27 octobre

 

Le canon continue à tonner toujours dans la même direction qu'hier, il en sera ainsi pendant toute la nuit et toute la journée de mardi au cours de laquelle on l’entend aussi très violent et continu dans la direction de Méricourt village.

 

À six heures du matin part le convoi de ravitaillement arrivé dimanche.

 

Une heure après on vient me prévenir qu’à midi arrivera un autre convoi et que j'aurai deux officiers à loger dont le Commandant.

Ce dernier arrive avant ses hommes vers neuf heures du matin. C'est un homme de parfaite éducation, parlant admirablement le français.

 

Nous faisons ensemble une assez longue conversation, déplorant la guerre l’un et l’autre, et comme je lui dis qu’un de mes grands tourments est de penser à l'inquiétude de nos enfants qui sont sans nouvelles de nous depuis un mois et nous savent dans une zone dangereuse, il m’offre très aimablement de leur faire parvenir une lettre sous le couvert d'une des siennes qu‘il enverrait à sa femme qui est en Italie d'où elle la réexpédierait en France. Je le remercie de cette offre aimable que j’accepte.

 

La colonne  arrive à treize heures et le second officier qui doit loger chez moi rejoint le Commandant  et ils prennent leur repas fait à la maison. À ce moment je donne ma lettre à expédier, elle était adressée à mon gendre Hannebicque.

 

En voyant l'enveloppe le second officier (un ingénieur) me dit : Est-ce M. Hannebicque qui a été au Creusot, puis à Trignac ; oui, dis-je, c'est bien lui.

 

« C'est mon ami, répond-il, nous avons fait ensemble il y a sept ans un long voyage en Allemagne où il était venu commander du matériel ! »

 

C'est une providence pour nous que cette heureuse  particularité et cela rassure ma femme qui, après de nombreuses émotions répétées et beaucoup de surmenage commence à être très fatiguée.

 

Les troupes qui nous sont arrivées composent un convoi de ravitaillement traîné par 140 chevaux. Elles sont Badoises comme les précédentes.

 

À onze heures était revenu l'envoyé de M. Tilloy auquel nous avons compté 40000 francs contre un reçu et une copie conforme de la délibération du conseil municipal de Courrières, comme nous l'avions demandé.

 

L'après-midi et la nuit sont calmes.

 

Mercredi 28 octobre

 

La journée de mercredi également. C'est un vrai soulagement que cette accalmie qui succède à tant de fracas.

 

Les troupes que nous avons ici sont tranquilles grâce à la surveillance que leurs officiers exercent sur eux.

 Ceux qui logent chez nous me manifestent le désir à la condition, me disent-ils, que ce ne soit pas un dérangement pour nous, de faire une petite visite de mine. Je leur donne cette satisfaction avec empressement et ils descendent au numéro 2 avec M. Storez et le chef porion.

 

Cette visite d'une heure leur a fait grand plaisir.

 

Jeudi 29 octobre

 

La nuit est très calme. Y a-t-il eu une trêve pour permettre l'enterrement des tués ? Nous ne pouvons le savoir.

Le ballon captif qui était encore hier au-dessus d’Acheville, ne paraît pas dans la journée.

 

Nos officiers font arrêter 6 pillards que je leur fais signaler par le maire.

 

Vient ensuite la question d'indemnité de guerre à payer par la commune. Le commandant fait appeler le maire auquel je fais des recommandations d'être très poli.

 

Le montant de cette indemnité est, lui dit le commandant égale au montant de la part à payer par la commune dans les contributions. Montrez-moi  le rôle, c’est la somme qui y est portée qui est le chiffre de la contribution à donner.

 

Le maire proteste, avec juste raison, sur la disproportion de cette somme avec les ressources du pays et pour éviter une discussion dans laquelle il aurait pu dire des grossièretés, je lui dis d’aller à la mairie chercher le rôle et de le rapporter.

  

 

  

Je savais que l'officier devait prendre un bain et je profiterais ainsi de son absence pour m’entendre avec le maire.

 

Il rapporte le rôle et je constate que la part de la commune est de 42 465 francs. Le maire me dit qu'il n'a pas le sou, ce que je savais, et qu'il espère bien que la Compagnie fera l’avance de la somme qu'il aura à verser. Je lui demande alors quelle transaction il désirerait voir intervenir.

J'espère bien, dit-il, qu'on se contentera de la moitié et il me prie de vouloir bien me charger de la négociation.

J'accepte car je crains toujours quelque boutade de sa part avec l'officier qui est parfaitement courtois.

 

Je lui en parle dès son retour, je lui expose très sincèrement la situation de la commune, je lui dis que je ne voudrais pas avoir l'air d'abuser de ses procédés  aimables avec nous, mais que je lui parle en toute sincérité et que je considère que le paiement d'une somme de 12 000 francs serait déjà une très lourde charge pour la commune, que pour la verser elle sera obligée d'avoir recours à la Compagnie en lui faisant un emprunt et que nous sommes très à court d'argent.

 

Il accepte ma proposition me disant : la commune a intérêt à pouvoir montrer un reçu de l'indemnité de guerre lorsqu'on lui en réclamera une et de répondre « j'ai payé ».

 

Peut-être discutera t on la somme ? Peut-être le vu du reçu sera-t-il suffisant ?

 

Dans ces conditions je fais prévenir le maire de réunir les conseillers présents, de prendre de suite une délibération et de me l’apporter.

 

À 17 h tout était réglé et la somme versée.

 

C'est évidemment une grosse somme mais comment refuser de faire au moins un gros effort.

 

Le maire avait dit « Emmenez moi prisonnier, ça ne me fait rien » on lui a répondu « je laisserai ce soin à un autre s’il le faut, mais j'insiste sur l'intérêt qu’il y a pour la commune à faire tout son possible pour donner  satisfaction.

 

 

  

Vendredi 30 octobre

 

La nuit se passe tranquille .Quelques coups de canon lointains.

 

À quatre heures du matin, le convoi reçoit l'ordre de partir dès six heures, et à l’heure dite, il se met en route pour Harnes où il va prendre du pain qu’il conduira à Pont-à-Vendin.

 

C'est toujours là que se trouve le gros de l'ennemi. Le front n'a donc presque pas changé. Les alliés occupent m’a-t-on dit la situation suivante : Souchez, Béthune, Varneton, Dixmude.

Un officier allemand a dit que les Anglais étaient entre  Vimy et Arras.

 

Deux heures après le départ du convoi que nous avions ici, en arrive un autre, celui que nous avions eu du dimanche au mardi matin. Sept officiers  prennent leur repas à la maison et nous en avons deux à loger.

 

Le canon recommence à gronder toujours des mêmes points.

 

Samedi 31 octobre

 

Pendant la nuit on entend  la fusillade du côté de Vimy et dans la matinée la canonnade reprend au Sud avec des coups assez rapprochés, tirés par des pièces de fort calibre.

 

A Fouquières et à Montigny en Gohelle sont stationnés trois convois de ravitaillement. Nous sommes ici une étape pour les transports.

 

Nous recevons la visite de M. Maurice Thellier de Poncheville qui est allé il y a trois jours à Marcq-en-Baroeul  chercher de la levure pour Lens. Il a appris en passant à Lille, par une personne absolument sûre que plus de 50 000 hommes de troupes allemandes étaient passés la veille se dirigeant sur Menin

 

Dès le commencement de l'après-midi les coups de canon s'accentuent de plus en plus et on tirera sans désemparer jusqu’après minuit toujours dans la direction d’Acheville.

 

Le combat se livre  tout près de nous à cinq ou six kilomètres, car on entend parfois très distinctement les feux de mousqueterie.

 

Ainsi depuis un mois on aura eu constamment des engagements de ce côté sans modification sensible des positions occupées.

 

Tous nos explosifs ont été enlevés hier, poudre et détonateurs, on nous a pris aussi 20000 mètres de  fil de fer ronce dont nous nous servons pour les clôtures des jardins ouvriers.

 

Le convoi de ravitaillement arrivé hier matin est toujours ici.

 

La misère se fait cruellement sentir parmi la population. Dans les communes les plus privilégiées, les secours du gouvernement n'ont pu être distribués qu'une fois vers fin septembre. Les secours sont importants, mais comme l'argent n’arrive  plus, les gens sont absolument sans ressources, aussi faisons-nous aux communes de la concession quelques avances en papier monnaie de la Compagnie, qui seront remboursées en numéraire ou billets de la Banque de France, dès que les percepteurs pourront délivrer de l'argent, c'est-à-dire, dès que le pays ne sera plus occupé par l’ennemi.

Les billets sont frappés également d'un timbre de la commune.

  

 

 

Le ravitaillement en pain est une question qui devient de plus en plus difficile, on prend les meules de blé qui sont dans les champs, on les fait battre et on porte le grain au moulin de Courrières pour le moudre. Le moulin travaille 60 % du temps pour les Allemands.

C’est du pain complet qu’on donne maintenant, et on est rationné.

 

En viande on est assez bien pourvu, car ceux auxquels il reste encore des bestiaux s’empressent de les tuer pour éviter qu'ils ne leur soient pris.

 

Mais les ressources s’épuisent rapidement ; même les Allemands qui font main basse sur tout, ne trouvent que très difficilement, et les officiers  qui sont à la maison ont recours fréquemment aux conserves qui leur viennent d'Allemagne.

 

Il n'y a plus ni beurre ni graisse, la lumière aussi va nous faire défaut car on nous a enlevé le pétrole et l'essence.

 

Le charbon s’épuise également bien que nous ayons supprimé  toute distribution. On en vole partout ainsi que des bois.

 

Hier nous avons fait la paie des employés et des pensionnés, plusieurs employés que nous  n'avions pas vu depuis le commencement du mois ont fait  hier  leur apparition, mais je leur ai fait refuser le paiement de leurs appointements, car si nous les avions payés qu'aurions-nous fait pour ceux qui sont toujours restés à notre disposition ?

 

Voilà un mois bientôt que nous sommes envahis. Depuis quatre semaines aujourd'hui. Il est grand temps que la délivrance arrive car les difficultés s'accumulent et nous n’entrevoyons pas comment nous pourrons les surmonter.

 

Malheureusement nous sommes absolument sans nouvelles, on raconte un tas de choses, mais il y a trop de fantaisie dans ce qu’on dit pour qu'on puisse y a ajouter foi. Ce que nous constatons dans les quelques journaux allemands qu’oublient les officiers c’est qu’on n’y chante pas trop victoire dans la Campagne en France et cela nous donne un peu d'espoir quoique notre situation ne nous porte pas à l'optimisme.

 

Vers 14 h la canonnade recommence et elle continuera très violente toute la nuit jusque vers quatre heures du matin. Au bruit du canon se mêle celui des fusils et des mitrailleuses.

 

Journal de bord de Monsieur Lavaurs

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