Dimanche 1 novembre

 Toute la journée se passera calme jusqu'à 19 heures. À ce moment on entend quelques forts coups de canon isolés et une heure après commence une fusillade très nourrie qui se continuera jusqu'au matin.

Il fait un temps magnifique, la lune brille pendant toute la nuit.

Lundi 2 novembre

Le convoi que nous avons ici ne démarre pas ; hier et ce matin une section de 25 voitures est envoyée sur Douvrin et elle est rentrée au milieu de l'après-midi.

 A 6 h 30, une canonnade furieuse se fait entendre et cesse tout à coup au bout d'une demi-heure. C'est toujours de la même direction que vient le bruit.

 La journée se passe tranquille. Quelques coups de canon vers 19 heures semblent annoncer une nuit de combat mais tout est resté calme malgré un magnifique clair de lune 

Mardi 3 novembre

 Le convoi de ravitaillement (commandant Holtzinger) stationné ici depuis vendredi 30 octobre part à 5 h 30 pour Montigny en Ostrevent ; nous sommes satisfaits de ce départ, car si nous n'avions que deux officiers à loger, la maison était absolument envahie, 7 personnes y prenant leurs repas dans la salle à manger qui leur sert aussi de bureau.

 Une heure après le départ du convoi arrive un cycliste qui vient nous annoncer l'arrivée d'un autre avec cinq officiers.

Je prends le chef du convoi (Commandant Ladenberg) et un officier ce sur leur demande, j’en mets deux chez Mr Fremaux et un chez Mme Myon. Les officiers prendront leurs repas à la maison.

Ils arrivent à midi. Le chef du convoi et les officiers  sont discrets et aimables.

 On a canonné encore dans l'après-midi, mais les coups sont plus espacés et semblent plus rapprochés. Ils auront donc eu un léger recul.  

Nuit tranquille. Brouillard. 

Mercredi 4 novembre

 Fouquières a été frappé d’une contribution de guerre que monsieur le curé de Fouquières, qui est d’un très grand dévouement, a obtenu de faire réduire à 10 000 francs. Il a pu recueillir la moitié de cette somme et nous lui avançons 5000 francs sur reçu comme pour les autres communes.

M. Storet qui fait la visite de nos installations et qui prend note des dégâts qu'elles ont subies a déjà terminé les fosses 2, 10/20,3/15,5/12,6/14. Les notes prises par lui font l'objet d'un rapport spécial. 

Le canon reprend au commencement de l'après-midi ; au fur et à mesure qu'on avance dans la journée la violence du tir augmente et durera toute la nuit, diminuant peu à peu à partir de 4 heures du matin. En même temps on entend une vive fusillade toujours dans la direction Acheville / Méricourt. On voit le ciel sillonné de l'éclair du tir. 

Jeudi 5 novembre

 Le canon recommence à tonner vers huit heures du matin et il continuera assez fort jusqu'à midi.

L'après-midi tout est tranquille ainsi que pendant la soirée. 

Nuit calme également, sauf de 1 heure à 2 heures du matin. 

 

Vendredi 6 novembre

Pas de bruit dans la matinée.

 Le maire de Loison vient pour sa contribution de guerre qui est fixée à 7500 francs. Nous lui faisons une avance de 2500 francs dans les mêmes conditions qu’aux autres communes. 

Au cours de l'après-midi, et jusqu'à 19 heures, on tire beaucoup le canon, puis le silence se fait et toute la nuit sera calme. Il y a un brouillard très épais.

 

Samedi 7 novembre

 Rien de particulier dans la matinée. Dans l'après-midi canonnade intermittente, parfois très forte du côté de la fosse nº 8 de Lens.

 Le chef de convoi stationné ici nous réquisitionne des clous pour ferrer les chevaux, et des planches pour réparation de ses chariots. 

Le soir entre 18 et 19 heures fusillade du côté Avion et fosse 8 de Lens.

Nuit calme. Brouillard.

 

Dimanche 8 novembre

 Le convoi arrivé ici mardi 3 courant part pour Sin le Noble.

 À midi en arrive un autre, commandant Landeberg, que nous avons eu il y a quelques jours.

 À 8 heures, viennent cinq officiers d'artillerie pour réquisitionner de grosses pièces de bois en grume et débitées qu'ils chargent sur des wagons attelés à une de leurs locomotives.

 Je soupçonne fort que ces bois sont destinés à des retranchements qui ont été faits au Nord de notre siège 21/22 entre la fosse et la route de Lens /Carvin près du Pont-Maudit.

 Ils me demandent de faire  marcher notre scierie. Je réponds qu'elle est actionnée par courant électrique, que je n'ai  plus de courant, les lignes ayant été coupées dès le 3 octobre par leur armée et que je ne suis pas certain que nos dynamos soient encore en état de marcher, mais en tout cas, il serait indispensable pour s'en assurer, d'allumer les feux au numéro 10 et que  je ne le  ferais que sur autorisation écrite.

 Ils font observer alors qu'ils en référeront au Général. 

L'après-midi vers 15 heures, je reçois  la visite de deux officiers d’état-major chargés, par le lieutenant-général qui est actuellement à Valenciennes, venu de Cambrai depuis un jour ou deux, de me remettre une lettre et m’en demander un reçu.

Je ne peux traduire l’impression que m’en a causée la lecture ; elle a été telle, qu'après leur départ, j'ai dû m’aliter, pris d’un spasme nerveux.

 Voici le résumé et la conclusion de cette lettre écrite en français : « Il est établi qu’alors que le territoire était déjà occupé par les forces allemandes des soldats français, des civils, des francs-tireurs ont tiré sur nos troupes des établissements de la Compagnie ; que cette dernière n’aurait pas dû faciliter l'entrée de ses installations ou qu’au moins elle aurait dû en aviser l’autorité allemande ! que de ce fait la Compagnie a mérité  une punition dont l'importance est fixée à 6 millions de francs dont la moitié devra être versé d'ici samedi 14 courant, et l'autre moitié d'ici le 21.

Faute d'effectuer ce versement on s'emparera de nos stocks, approvisionnements, mobilier, et on détruira les installations. 

Je proteste avec d'autant plus de sincérité que l'accusation portée sur nous est absolument erronée.  

Je discute la question avec ces deux officiers qui me répondent qu'ils n'ont pas la qualité pour cela, que leur seule mission est de me remettre la lettre et d'en emporter un reçu ; que c'est le général seul qui a qualité pour recevoir nos protestations et que pour cela il faut aller à Valenciennes.

 Je fais observer que je n'ai aucun moyen de transport, que je suis souffrant et incapable de faire ce trajet à pied, même en auto.

 Ils me conseillent d'envoyer quelqu'un pour ne représenter, et je demande à M. Frémaux de remplir cette pénible et délicate mission, regrettant vivement de ne pouvoir l'accompagner et persuadé que personne mieux que lui ne serait capable de la remplir.

 

Lundi 9 novembre

 Dès le matin reviennent ces deux officiers ; notre médecin était près de moi occupé à me sonder, car ce spasme nerveux s’était porté sur le sphincter et il est devenu impossible pour moi d'uriner sans être sondé.

 Ils déclinent l’offre que leur fait ma femme de monter dans ma chambre et de se rendre compte par eux-mêmes de la sincérité  de ce qu'elle leur disait.

 Ils demandent M. Frémaux que je leur avais désigné et ils font ouvrir la caisse d'où ils enlèvent tout l'argent : 835 000 francs en or, argent, billets de banque, à-valoir sur l’amende à verser ; puis ils offrent à M. Frémaux de le conduire dans leur auto près du Général à Valenciennes.  

Il est donc parti d'ici vers les neuf heures, et nous avons convenu ensemble, après avoir résumé les nombreux arguments à présenter, qu’il ferait tout son possible pour voir Monsieur le Vice-Président et lui demander de l'accompagner  auprès du Général. 

Trouver de l’argent est impossible ; les banques sont épuisées, la banque de France à Lille a été dépouillée de tout son encaisse, et rien ne peut faire espérer de réunir une somme quelconque en dehors de ce qui nous a été pris.  

Cette nouvelle nous a terrifiés ainsi que toute la contrée.  

Pourquoi cet acharnement contre notre compagnie qui a déjà été si éprouvée, dont plusieurs installations ont été en partie détruites, dont toutes sont saccagées, dont une grande quantité d'approvisionnements ont été enlevés sans aucun bon de réquisition !

Lens, Dourges, à ma connaissance, n'ont rien eu à payer ; Lens a beaucoup souffert dans ces installations, dit-on, mais elle n'a pas eu, par surcroît, de contribution de guerre à payer, et l'aurait-elle eu, que, comme nous, elle serait incapable de réunir une somme approchant de très loin même celle qu’on nous  demande. 

Que se passera-t-il ? Mettra-t-on la menace à exécution ?

Je n'ose entrevoir pareille hypothèse !

Que Dieu nous épargne cette ruine que serait la consommation d'un attentat inqualifiable, d'un acharnement sans aucun motif contre une propriété privée. Ce n’est plus la guerre, c'est vouloir anéantir une région par l'effondrement de ceux qui la font vivre.

 On se bat toujours sur la concession de Lens et plus au Nord.

  

Mardi 10 novembre

 M. Descouvemont part le matin avec M. Maurice Thellier de Poncheville qui dispose d'une auto pour le service de l’approvisionnement des troupes de Lens, et qui, de ce fait, obtient facilement des sauf-conduits.

 Ils vont à Douai voir  la banque Dupont qui n'a aucun argent disponible. Je les ai chargés de voir notre cher et vénéré Président ; M. Dupont n’est plus chez lui, ce sont des dames de la Croix Rouge allemande qui reçoivent ces Messieurs. Elles leur répondent d'un air moqueur : nous sommes installées ici et comme notre société ne plaisait pas à l'occupant de la maison, il en est parti il y a un mois.  

Quelle épreuve encore au milieu de tant d'autres. Nous supposons que M. Dupont se sera réfugié chez son gendre on chez un ami avec Mlle Dupont.

 De Douai, ces messieurs vont, après l'obtention d'un laissez-passer, jusqu'à Valenciennes d'où ils ramènent, le soir, M. Frémaux.  

Ce dernier a vu le Lieutenant-général, signataire de la lettre, qui lui a répondu qu'il n'avait pas qualité pour discuter la question, qu’il devait s'adresser au Général en chef à Lille sur l'ordre duquel il a, en sa qualité d'administrateur, écrit la lettre.  

C'est donc un voyage inutile qui a été fait.

 Ces messieurs voient nos banquiers. Ils pourront à peine réunir 40 000 francs.

 Une bataille violente est engagée du côté de Notre Dame de Lorette, nº 8 des mines de Lens et plus au nord. Le canon ne cesse de tonner  jour et nuit.

 La colonne  du Commandant Landeberg revient à midi.

Dans la matinée est arrivé un officier d'approvisionnement avec une voiture et des hommes me dire qu'il venait réquisitionner tout le vin pour l'état-major qui est à Annay.

Il me fait ouvrir la cave et m'interdit d'en prendre disant qu'il reviendra. Il se présente en effet dans l'après-midi et en commence le déménagement.

 La bataille commencée hier continue acharnée, le canon ne cesse de tirer.

  

Mercredi 11 novembre

 Le convoi du Commandant Landeberg part le matin, et, à midi en arrive un autre avec 7 officiers  au lieu de 5 ; il est commandé par M.Wittmer, qui a une maison de vins à Bordeaux, où il habite depuis sept ans.

 Le matin Messieurs Frémaux et Descouvemont partent  en auto pour Lille, conduits par M. Maurice Thellier de Poncheville. 

M. Frémaux se présente au Général qu'il ne peut voir. 

Après bien des tentatives et une attente  très longue on lui dépêche un officier qui le reçoit très mal et lui répond qu'il est inutile de déranger le Général, que nous n'avons qu'à nous conformer à l'ordre reçu, qu’il doit s’aboucher avec le Commandant de la place de Douai qui a les instructions. Toute insistance est inutile.

 Les officiers d'administration qui sont presque tous des civils sont abordables, mais il n'en est pas de même des militaires de carrière. 

C'est donc une nouvelle démarche à tenter à Douai ; probablement pourra-t-on y aller demain.

 Dans la matinée  et dans l'après-midi l'enlèvement du vin a continué. On a pris jusqu'à présent 1235 bouteilles y compris des liqueurs. 

La bataille continue très violente et ne cesse que vers 3 heures du matin. Il y a le soir à partir  de 19 heures, une forte tempête de vent et de pluie.

 Dans notre région, les troupes alliées occuperaient, nous a-t-on dit une ligne jalonnée par Neuville-Saint-Vaast, Thélus, les hauteurs de Vimy Ablain-Saint-Nazaire, Aix-Noulette, Grenay près de Loos et de La Bassée ces deux dernières localités étant encore aux mains de l'ennemi.

 

Jeudi 12 novembre

 La bataille continue toute la journée, elle diminuera d'intensité dans l'après-midi. Les coups sont moins répétés

 On continue l'enlèvement du vin ! Ce ne sera pas terminé le soir malgré le nombre de gens occupés au chargement ; il est vrai qu'ils ne se pressent pas et qu’ils étanchent copieusement leur soif.

M. Maurice Thellier de Poncheville ne pourra conduire M.Frémaux à Douai, il est retenu par un commandant de Lens qu'il doit mener à Lille. C'est un commandant aimable qui est au courant de ce qui nous menace et qui doit en parler à un de ses amis.

 Pour le cas où M. Maurice Thellier de Poncheville serait encore retenu demain et étant préoccupés de ne pas faire preuve de toute l'activité désirable, nous communiquons notre anxiété au commandant du convoi qui est chez moi, il nous rassure et il offre de faire conduire M.Frémaux demain à Douai par sa voiture.

 Je suis toujours malade et je souffre beaucoup de ce spasme nerveux et de ses inconvénients qui persistent.

 

Vendredi 13 novembre

 

Nuit à moitié calme comme canon, mais on recommence dès le point du jour.

 L'enlèvement du vin dans les caves continue. On m’a fait ouvrir ce matin toutes les portes du sous-sol, car dit l’officier on lui a assuré qu'il y avait ici près de 6000 bouteilles de vin. Il a même, hier, fait faire des trous dans le jardin pour voir s’il n’y avait pas de cachette. 

Rien de nouveau pour la contribution de guerre à payer par la Compagnie. M. Maurice Thellier de Poncheville fait des démarches personnelles pour avoir des lettres d'introduction qui permettraient une entrevue et des explications.

Il nous donnera  demain matin le résultat des efforts qu’il fait avec un très grand dévouement.

 Je ne saurais trop insister sur le concours qu’il nous apporte.

 Nous établirons un rapport spécial sur cette angoissante affaire avec tous les détails des démarches et négociations.

 Le canon continue à tonner avec violence, toujours du même côté, et à nouveau dans la direction d’Acheville où on ne l’avait pas entendu depuis huit jours. On nous dit que quelques  obus français sont tombés sur Lens cette nuit.

 

Samedi 14 novembre

M.Frémaux part pour Douai et Valenciennes conduit par M. Maurice Thellier de Poncheville.

 Il remet au commandant à Douai une lettre pour le général en chef de Lille. Il a fallu insister beaucoup pour que le commandant consentît à transmettre cette lettre ; il dit qu'il n'a pas le droit d'intervenir dans notre affaire qui a été tranchée par le général.

 C'est la même réponse qui avait été faite à Valenciennes. M.Frémaux va voir M.René Delame qui loge  chez lui un général auprès duquel il agit autant que faire se peut. Il  se propose même d'aller demain à Mons voir un personnage qu’il connaît et duquel il sollicitera une intervention.

 À part tout au matin vers cinq heures, on a canonné peu aujourd'hui .C'est encore dans la même direction.

On dit que vers le front, les tranchées ennemies sont éloignées à peine de 100 mètres l'une de l'autre. 

Le déménagement des caves a continué pendant toute la journée. Cela aura duré depuis le mardi après-midi. Le sous-sol a été absolument envahi pendant tout ce temps-là. Il est très difficile de contrôler le nombre de bouteilles, on charge à 4 ou 5 casiers à la fois ; les soldats s’en réservent pour eux, nous sommes à leur merci.

 On a tout pris à part 150 à 180 bouteilles laissées pour la consommation. Le nombre de bouteilles portées sur bons est au total de 5339 dont 3006 de la Compagnie et 2333 de ma cave personnelle.

 Il y avait plus d'un millier de bouteilles à moitié vides par suite du mauvais état des bouchons.

 

Journal de bord de Monsieur Lavaurs

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