Jeudi 15 octobre

 

Le reste de la nuit a été calme. Il fait très noir et il a plu un peu.

 

Le poste télégraphique installé depuis plusieurs jours chez Monsieur Storez sur la route nationale à Billy est toujours là.

 

Il reste quelques traînards dans la commune.

 

 L'évacuation des blessés de Lens sur Douai continue sans désemparer.

 

Rien d'autre de particulier.

 

Vendredi 16 octobre

 

Un incident qui pourrait avoir eu de graves conséquences se produit.

On recherche les traînards allemands.

Il paraîtrait que hier au soir, l'un d'eux aurait été blessé près du  passage à niveau de Méricourt.

 

L'escouade qui est venu faire la perquisition pour prendre les traînards l’aurait trouvé ce matin dans les corons de la Souchez.

 

Bien entendu on a prétendu que c'était un civil qui avait blessé cet homme et on a prévenu le maire de Billy ce matin que si on ne livrait pas le coupable à midi on brûlerait le village !

 

Le commissaire a fait très habilement une enquête ; il en résulte que le  blessé l'aurait été hier soir vers 18 heures par une sentinelle allemande dont l’attention aurait été attirée par un coup de feu que le blessé tirait sur des pintades. Il y a eu 2 témoins de ce qui s'était passé.

 

Ces explications ont paru donné satisfaction, d'autant plus que très probable, les Allemands de leur côté avaient pu apprendre ce qui s'était passé.

 

Ce qui est toujours préoccupant c'est qu’on est toujours exposé à subir les conséquences de l’imprudence ou de la stupidité des habitants.

 

D'après les renseignements qu’on nous donne les Allemands occuperaient le front Hulluch, Vermelles et à l'Ouest de La Bassée.

 

Samedi 17 octobre

 

A onze heures revient l'officier de dragons qui avait logé chez moi et qui est en ce moment à Meurchin.

Il est accompagné d'un officier d’artillerie. Il leur faut absolument des chevaux et il veut que nous fassions remonter ceux du 4/11, 5/12,6/14,13/18, 7/19 et 8/16.

Je réponds que j'ignore absolument l'état de ces fosses et que je ne peux dire si cette opération pourra se faire, qu'en tous les cas, elle est impossible aux 6/14 et 3/15.

 

Comme cet officier est en auto, il m’offre d'emmener avec lui la personne que je désignerai ; Storez est le seul qui puisse se charger de trouver du monde, si toutefois il y arrive.

 

Ils partent donc ensemble ; de l'examen rapide fait, il résulte que le 4 /11 n'a pas souffert et que l'on peut tenter l'opération, qu’au 5/12 c'est impossible, le 5 vieille fosse du siège 5/12 étant brûlée comme les 3 et 6 ; qu’au 13/18 et peut être au 7/19 on sera à même d’essayer et qu’au 8/16 on a des chances de réussir.

 

M. Storez est ramené à 15 h jusqu'à Billy, l’officier repart pour Meurchin, après lui avoir dit que ces chevaux devraient être ramenés à Billy lundi à midi, heure à laquelle il viendrait les prendre avec une réquisition.

 

La canonnade a continué l’après midi toujours très forte et du même coté.

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Dimanche 18 octobre

 

Dès neuf heures, le duel d'artillerie recommence et dans l'après-midi il est plus fort que jamais, ne cessant qu’à la tombée de la nuit.

 

À onze heures, un officier d'artillerie vient réquisitionner 100 litres d'essence. Il part pour Hulluch.

 

Vers la fin de l'après-midi, le canon semblait s'être rapproché.

 

De la région où ils se trouvent, les Allemands ont à leur disposition pour leur ravitaillement la route de La Bassée à Lille en plus de celle de Lens à Douai. De nombreux camions de blessés circulent constamment.

 

Le service du télégraphe Allemand n'a pas encore quitté Billy.

 

Depuis deux jours, je fais sauver tout ce qui est possible de retrouver du mobilier de M. Guerre.

 

Nous apprenons par M. Maurice Thellier de Poncheville qu’on s’est battu vers le soir à la fosse numéro 12 des mines de Lens et que l'état-major allemand a été près d'être fait prisonnier.

 

La fosse 12 est située à deux kilomètres de la ville au nord-ouest sur la bissectrice de l'angle formé par la route de Lens à Béthune et de Lens à La Bassée.

 

Lundi 19 octobre

 

La nuit de dimanche à lundi a été calme.

 

Le poste  télégraphique part ce matin, il va dans la direction de Harnes ou de Meurchin.

 

Vers dix heures revient l'officier  pour les chevaux qu’il a demandés. À midi arriveront ceux des fosses 4/11, 13/18 et 8/16. On n'a rien pu faire au 7/19, deux berlines ayant été précipitées du jour dans la fosse et ayant inutilisé une cage.

 

Je donne des instructions pour qu'on éteigne les feux aux fosses ci-dessus et cela par prudence. Dimanche en effet, un officier d'artillerie  est venu au 13/18 et au 4/11 intrigués par le panache de fumée qui se dégage des cheminées lorsqu'on recharge les feux et croyant que cela pouvait être un signal convenu donnant des indications aux Français ! on lui montre l'autorisation écrite, là, il n’objecte plus rien. Mais cette manœuvre faite sans autorisation régulière pourrait nous attirer de graves inconvénients et la destruction de la fosse d’où se dégagerait de la fumée !

 

On nous enlève 23 chevaux contre un bon de réquisition de 14 634 francs. Les animaux sont assez décharnés car depuis le 2 de ce mois, ils avaient eu fort peu de nourriture.

 

On n’a entendu le canon que très rarement pendant la journée, toujours dans la même direction.

 

 

Mardi 20 octobre

 

Nuit calme. Matinée et après-midi également, 3  à 400 hommes d'infanterie venant d’Hénin prennent à Méricourt le chemin de Noyelles.

 

J'ai appris hier par l'officier qui venait de Meurchin, que la maison habitée par le Directeur de cette Compagnie, M. Lacquet, avait été dévastée parce qu’il en était parti.

 

Vers 15 heures on m’apporte une commande de 300 tonnes de charbon à gaz pour Douai, avec autorisation du commandant de la place. Cette commande est faite par l'usine à gaz.

Le soldat de la Landsturm qui me l'apporte parle très bien le français, (il est coupeur chez le grand couturier Paquin depuis quatorze ans).

 

Je trouve trente wagons chargés en gare qu'on enverra prendre de Douai demain. Je lui dis que si Douai a encore besoin de charbon il est nécessaire que le commandant me procure des mineurs français qui ont été emmenés prisonniers de la région à Douai, mais en même temps ai-je ajouté, il me faudra une autorisation écrite de travailler au N° 2.

 

Le canon s'entend toujours au loin dans la direction de La Bassée ; les coups sont plus espacés que ces jours derniers.

 

Mercredi 21 octobre

 

Rien de nouveau dans la matinée.

A 13 heures, 2 soldats allemands amènent M. le vicaire  et le maire d’Harnes. Une contribution de guerre a été imposée à la commune.

L'autre jour c'était une amende. Il manque 27 000 francs pour la payer et je fais encore l’avance à la commune pour éviter des représailles dont nous pourrions avoir le contre coup.

 

Le combat continue le matin comme les jours précédents.

 

Dans la nuit du 19 au 20 la commune de Fouquières, m'a raconté ce matin M. le curé de la dite localité, a été terrorisée par des actes de brigandage commis par 3 italiens accompagnés d'un déserteur allemand.

Le groupe de quatre hommes est entré dans quatre maisons la nuit, revolver au poing et a exigé des habitants qu'on leur donna l'argent qu’on possédait ; une de ces personnes M. Dassonville, machiniste d’extraction, a donné 400 francs, une femme  250, au total il a été pris 1500 francs, des montres et menus objets.

 

M. le curé de Fouquières est venu dès le matin me demander ce que je lui conseillais.

 

 

 

Je lui ai dit qu'à mon avis, les intéressés  devaient immédiatement rédiger une plainte relatant les faits en détails et l’adresser par son intermédiaire (il n'y a plus ni maire, ni conseiller municipal dans la commune) à l'officier Commandant la place d’Hénin-Liétard.

 

Ce fut fait immédiatement.

 

Dans l'après-midi, deux officiers envoyés d’Harnes vinrent trouver M. le curé ; ils étaient accompagnés d'une patrouille.

Tous couchèrent à Fouquières  dans le patronage.

La nuit on fit quelques rondes et dès ce matin on cerna à Billy  le quartier où l’on soupçonnait ces quatre chenapans de se cacher, et une heure après on les emmenait.

 

Ça a été un grand soulagement pour la population de Fouquières.

 

Il reste encore des gens douteux, mais il y a lieu d'espérer que cet exemple les fera réfléchir.

 

Parmi les officiers  venus à Fouquières, l'un est neveu du vicaire général de Strasbourg.

 

Nous sommes toujours sans nouvelles de notre curé l’abbé Sauvage, qui a été fait prisonnier le 3 octobre.

Qu'est devenu l'abbé Sauvage? Conduit à Lens, il a été d'abord dirigé sur Vitry, puis sur Cambrai et, de là, au camp de Gustrow dans le Grand-Duché de Mecklembourg où il mourut le 11 octobre 1914 des suites de privations … (extrait de Souviens toi 14 18 d’Henri Bourdon)

 

 

Dans l'après-midi on entend violemment le canon qui tire sans discontinuer dans la direction d'un secteur s'étendant de Vimy à Méricourt village. On a tiré jusqu'à 18 heures puis la canonnade est devenue plus espacée mais elle a continué pendant toute la nuit, malgré l'obscurité complète.

 

Journal de bord de Monsieur Lavaurs

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