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Correspondance d’Eugène Barbier en 1915 par Dominique GUYOT

Première partie de la correspondance d'Eugène Barbier, caporal puis sergent fourrier à la 18ème compagnie du 41ème colonial. Il s'agit des lettres et cartes qu'il a écrit pendant l'année 1915. J'ai tout retranscrit car malheureusement l'encre a beaucoup pali et les essais de scan n'ont pas été très concluants. Certaines lettres sont partielles ou non datées. J'ai essayé de les situer par rapport à d'autres en me servant du contexte. Quelques précisions concernant Eugène Barbier et ses correspondants.

Eugène Barbier est en quelque sorte mon arrière grand oncle. Il a été élevé avec mon arrière grand père Camille Soyez (Panille dans les lettres) et l'a toujours considéré comme son frère mais n'a jamais été adopté par la famille Soyez. Julien, Marius et Aimé sont les frères de mon arrière grand père. Tous sont originaires d'Harponville dans la Somme. Mon arrière grand père était marié à Eléonore Dorléans (la Hélène des lettres) et avait trois enfants : Raymond (mon grand-père), Odette et René. René, le plus jeune, vivait à l'époque à Saint Maclou de Folleville près de Dieppe avec ses parents, tandis que Raymond et Odette habitaient chez leur grand-père (papa Dorléans) et leur tante Alice à Sotteville lès Rouen pour poursuivre leurs études. Voilà qui permettra de situer un peu la famille.

 

 

 

Le 26-12-14

 

Cher frère,

 

Depuis très longtemps je n'ai eu aucune nouvelle de toi ni des tiens. J'ai été l'autre jour chez nous voir les parents. J'y ai appris qu'Aimé était disparu. J'ai vu sur une lettre de toi que tu t'occupais de savoir ce qu'il était devenu. Si tu en as des nouvelles donne moi en car je serais très heureux de savoir ce qu'il est devenu. Comme j'ai vu dans ta lettre tu t'en es tiré complètement. Tant mieux pour toi car ce n'est pas toujours agréable la vie de guerre. Et Raymond, que fait-il ? Il doit bientôt être bon pour faire un soldat. Je te quitte en t'embrassant, toi, Hélène, Raymond, Odette et mon petit René et le reste de la famille.

 

Eugène.

 

 

Le 12-2-15

 

Mon cher Raymond

 

J'ai déjà écrit plusieurs fois à Saint Maclou. Je t'ai même envoyé une carte à toi, j'en attends toujours la réponse. Serais très heureux d'avoir de tes nouvelles par toi-même. J'ai envoyé une carte à Panille et à René aujourd'hui. Demain je leur enverrai une longue lettre. Envoie moi un mot le plus vite possible. J'envoie une carte au papa Dorléans et à Odette.

J'attends une réponse en attendant, je t'embrasse.

 

Ton oncle Eugène

 

 

Le 12-2-15

 

Mon cher René

 

Un petit mot pour toi par cette carte pour te remercier de ta petite lettre. N'oublie jamais de me mettre un mot quand Panille écrit. Je t'embrasse bien fort et plusieurs fois afin que tu embrasses pour moi ton papa et ta maman.

 

Ton oncle qui pense à toi et qui t'aime bien.

 

Eugène

 

 

Le 18-2-15

 

Cher frère

 

Je t'avais promis une lettre pour le lendemain que je t'avais envoyé une carte, mais je n'ai encore pu le faire. J'ai beaucoup de travail et je suis très fatigué. Je t'envoie cette carte aujourd'hui peut-être recevras-tu ma lettre demain ou après demain. J'espère que tout le monde va bien chez toi. Je viens d'écrire une longue lettre chez nous ce soir car maman se fait tout de suite du mauvais sang.

Un mot de toi me feras plaisir, n'attends pas de recevoir ma lettre pour me répondre comme ça j'aurai  une autre réponse quand tu y répondras. Je vous embrasse tous de tout coeur.

Allons mon grand René, une lettre.

 

Ton oncle Eugène.

 

    

Dans les tranchées le 22-2-15

 

Cher frère

 

Je t'avais promis une longue lettre pour le lendemain que je t'avais envoyé une carte. Si je ne l'ai pas fait il ne faut pas m'en vouloir car je ne puis toujours faire ce que je veux. J'ai beaucoup de travail comme caporal fourrier. J'en ai même un peu trop car je suis très fatigué et je ne sais quand cela va finir. Ça commence à durer un peu trop longtemps, tous nous nous lassons de cette vie de tranchées surtout avec un temps pareil. C'est plein de boue partout. L'on est fait comme cochons. C'est le cas de le dire.

Pas toujours lavés car l'eau dans les tranchées n'est pas employée à se débarbouiller, mais elle est faite pour boire. Et je t'assure que c'est pas mal fade. Un bon verre de mauvais vin ça vaut beaucoup mieux et ça soutient un peu car le manger quoiqu'en abondance, laisse toujours à désirer soit parce qu'il est mal fait, soit qu'il soit froid. Nous espérons toujours aller au repos, mais comme je vois il faut savoir attendre et espérer. Je vais t'envoyer le recit du premier mois de la mobilisation. J'aimerais mieux t'envoyer le tout d'un seul coup mais mon journal n'est pas à jour. Il me faut le recopier car je l'avais fait au crayon et à force de trimbaler ce carnet dans ma poche le crayon s'efface.

En ce moment nous sommes encore aux environs de Mondidier. Au moment où je t'écris ces quelques lignes je suis dans un endroit dénommé le Ravin un peu en arrière de la première ligne. L'on y fait la cuisine, l'on y fait les distributions qui sont ensuite transportées à l'avant. Ce matin j'ai été faire un tour aux premières lignes. J'ai marché pendant une heure dans des boyaux ou tranchées. Il y a environ 3 kilomètres de boyaux avant d'arriver aux premières lignes. C'est drôle ces boyaux et tranchées ainsi que les abris.

Si j'ai le bonheur d'en sortir et que je puisse venir faire un tour à la maison, nous irons les visiter. Je te donnerai toutes les explications nécessaires. Et tu pourras voir que notre vie dans les tranchées est rude et sans aucun bien être. Nous irons aux environs d'Albert où je connais la plupart des tranchées les ayant ainsi que mes camarades occupées pendant plusieurs mois.

Je suis certain qu'après la guerre toute une bande de touristes vont venir visiter nos habitations, c'est curieux à voir.

j'ai habité dans des trous, dans une caverne, aujourd'hui c'est presque un chalet que j'habite. C'est construit dans un talus de chaque côté c'est la terre sauf sur le devant, la toiture est en planches, recouverte de grands carrés d'une espèce d'ardoise. Il n'y pleut pas, mais les rats nous embêtent salement la nuit. Nous couchons dedans à deux et je peux t'assurer que nous sommes presque des heureux. Les officiers ont des chamets tout en planches aussi, il y a chauffage.

Les poêles ont été dévalisés dans les maisons inhabitées du village le plus proche. Quant à l'éclairage électrique, il est remplacé par la bougie, rarement par des lampes car le pétrole est quelquefois difficile à trouver. Malgré ça nous pouvons en toucher à peu près comme nous voulons en ce moment.

Hier soir j'ai reçu des nouvelles de Raymond, d'Odette et du papa Dorléans. Si tu savais combien j'en ai été heureux.

Raymond ne m'a pas oublié, au contraire. Il m'a fait une gentille lettre. Il me demande aussi de lui écrire à Sotteville même, car n'allant pas très souvent à Saint Maclou, il serait trop longtemps sans avoir de mes nouvelles.

Papa Dorléans m'a écrit lui-même un mot, ça m'a causé un réel plaisir, je crois qu'il n'aime pas beaucoup les Boches comme il dit.

Odette a terminé la lettre de son grand père en y ajoutant quelques lignes.

Si tu savais cher frère, ce que j'aime à recevoir des nouvelles des enfants, tu ne peux te figurer la joie qu'elles me causent. Quand je reçois une lettre de toi, vite, je regarde si mon René y a mis un mot. Je te quitte cher frère, chère soeur et mon petit (pardon mon grand René) en vous embrassant tous de tout coeur.

 

Ton frère Eugène.

 

 

   

Le 14-3-15

 

Cher frère, cher Hélène

 

J'ai été très heureux de recevoir votre lettre et ce qui m'a surtout causé un grand plaisir, c'est que Hélène m'avait mis un mot de sa main. Je te fais envoyer un récit de mon premier mois de guerre. J'ai énormément de travail. Lettre suit les cartes.

Vous embrasse tous deux.

 

Eugène

 

 

Le 14-3-15

 

Mon cher René

 

Une petite carte qui ne te donneras qu'une petite idée des dégats que font les obus allemands quand ces bandits incendiaires et voleurs tirent sur des villages qui pourtant ne renferment aucune troupe.

T'embrasse bien fort mon grand gosse.

 

Eugène

 

 

Le 19-3-15

 

Mon cher Raymond

 

Un mot à la hâte pour te dire que la santé est toujours assez bonne. J'espère que tout le monde va bien à Sotteville. Embrasse bien tout le monde pour moi.

t'embrasse bien et Odette aussi. Bonne santé à tous.

 

Eugène

 

 

Le 29-3-15

 

Mon cher René

 

Je t'envoie cette carte pour te donner une idée de la grandeur des canons allemands. L'effet des obus est terrible. Ils peuvent traverser 4 mètres de terre, 1 mètre de béton armé et une coupole d'acier de plusieurs centimètres d'épaisseur. Ceux que nous recevons sont heureusement un peu moins gros.

 

Ton oncle Eugène

 

 

Aux armées le 29-3-15

 

Mon cher Raymond

 

 

Je t'envoie cette carte pour te donner de mes nouvelles. Elles sont assez bonnes pour le moment, mais je voudrais bien que la guerre soit finie. Enfin, faut espérer que ça sera bientôt. J'envoie une carte à René aussi. Embrasse bien tout le monde pour moi, un gros baiser pour Odette.

T'embrasse bien.

 

Eugène

 

 

Le 2 avril 1915

 

Mon cher Raymond,

 

Ai reçu ta carte datée du 25 mars. Suis très heureux que tu penses à moi. Je ferais tout mon possible pour te rapporter des souvenirs de la guerre 1914-15. Je vais faire mon possible pour envoyer le deuxième mois de guerre, mais j'ai beaucoup de travail. Suis très fatigué, voudrais bien voir la fin de cette guerre. Comme je vois tu as reçu ma carte. Je voudrais pouvoir t'en envoyer plus. Les marchands abusent un peu que l'on est en guerre, pour les vendre cher, mais ferais quand même tout mon possible pour t'en envoyer une de temps à autre. Demain je vais écrire à Panille. T'embrasse bien fort ainsi qu'Odette, ta tante Alice et ton papa Dorléans. A bientôt une autre carte.

Ton oncle,

 

Eugène

 

Reçus timbres, notre Joffre sur qui nous comptons tous.

 

 

Aux armées le 3 avril 1915

 

Cher frère et Cie

 

Je viens de recevoir ta lettre datée du 30 mars. J'en suis très heureux surtout que chacun a mis un mot.

Tu me dis que mon carnet de marche t'a fait plaisir. Je vais donc faire mon possible pour t'envoyer mon deuxième mois mais tu sais il me faut le recopier entièrement car sur mon carnet de poche le tout est en abrégé et de plus comme je l'ai écrit au jour le jour au crayon, il me faut presque reprendre jour par jour dans ma tête, mais tout est bien gravé, car ce sont des moments que l'on oublie difficilement.

Ma santé pour le moment est assez bonne, mais je suis très fatigué, je ne peux mager l'ordinaire de la troupe car l'estomac refuse cette cuisine qui est trop graisseuse. Je suis obligé de me payer de ma poche soit des oeufs, soit une côtelette de porc ou de veau quand j'en trouve bien entendu et quand mes moyens me le permettent surtout.

Au régiment l'on ne mange guère de viande fraîche, presque tous les jours c'est de la viande de boeuf frigorifiée, c'est plein de graisse, car ces animaux nous arrivent de l'Amérique ou d'Australie et puis tu sais, les cuisiniers au régiment ne sont pas fameux, rata, viande, au matin, riz, viande au soir et ainsi tous les jours, il faudrait un peu de légumes verts, mais comme on n'en trouve pas, il faut s'en passer. Ce matin j'ai mangé deux oeufs, ce soir je dînerai avec une salade et avec ça j'aurai fait mes deux repas réglementaires. Aussi je ne suis pas gras ni très fort. En ce moment j'ai un peu mal à la gorge, et surtout aux reins. Pense que voilà huit mois que je couche sur la paille et encore le matelas de paille n'est pas souvent épais, 4 ou 5 centimètres. Ah, vivement que cette guerre soit finie car je commence à en avoir assez ainsi que tout le monde du reste, et encore si on était sûr de sortir sa peau, mais ceci est tout à fait problématique. L'espoir y est mais les Boches ont encore des balles et des obus. Enfin espérons quand même. Après quelques jours de beau temps, le froid s'est fait sentir à nouveau et aujourd'hui c'est l'eau qui arrive. Cette dernière est rudement embêtante. Au moment où je t'écris je suis au repos mais après demain l'on retourne aux tranchées et le secteur n'est pas très bon.

Je vais te joindre un petit croquis te donnant le village où nous sommes en ce moment et où j'ai passé dernièrement.

Tu me dis dans ta lettre que les Boches tiennent sérieusement. Oui d'après les communiqués mais ce qu'on oublie de donner ce sont les chiffres de nos pertes. Quand tu vois sur un communiqué que nos pertes sont sensibles, tu peux dire qu'elles sont sérieuses tout à fait, soit une moyenne de tués, blessés ou disparus, il faut compter de 60 à 70 pour 100 et même plus. C'est vrai que du côté des Boches la moyenne est encore plus forte. Celui des combattants qui attaquent subit toujours de fortes pertes. Quand l'attaque générale sera ordonnée, il y aura une hécatombe formidable de part et d'autre, et pourtant il faudra y arriver, car cette vie de tranchées ne peut durer éternellement. Le moral s'affaiblit, les nerfs se tendent et après l'on est plus qu'une loque.

Tu me demandes si je sais si Julien est versé dans le service auxiliaire. Je crois que oui d'après une lettre reçue de lui il y a 4 jours. Il m'annonce qu'il est dans une ville du Nord Ouest et qu'il y fait du service de place, je ne sais où. Je lui ai demandé à plusieurs reprises de me dire où il était mais comme c'est défendu, il a un peu la frousse. Je ne connais pas sa nouvelle adresse, il a oublié de me la donner sur sa dernière lettre. Aussi je suis très embêté pour lui répondre. Si tu veux savoir exactement où il est je vais te dire comment il faut faire, ça ne coûte que 10 centimes.

Quand tu écriras à Julien, tu n'as qu'à lui dire qu'il t'envoie une lettre affranchie à 10 centimes sans aucune indication que ton adresse, metre cette lettre dans une boîte de poste civile et le tour est joué. Le timbre portera l'empreinte de la ville de départ comme dans toutes les lettres ordinaires. Partout où je suis je pourrais en faire autant mais comme l'on ne reste pas longtemps dans le même pays, ce n'est guère utile.

 

 

Le 8 avril 1915

 

Mon cher Raymond

 

Je suis dans des tranchées à 8 pieds sous terre. Aujourd'hui, terrible orage, j'étais presque inondé dans mon trou. Il fait mauvais depuis plusieurs jours. Embrasse bien Odette pour moi. Toutes mes amitiés au Papa Dorléans et à la tante Alice.

T'embrasse.

 

Eugène

 

 

Aux tranchées le 13-4-15

 

Mon cher Raymond

 

Je suis toujours en assez bonne santé, et espère que par là tout va bien. Bien des choses de ma part à ton papa Dorléans et à ta tante Alice. Je t'embrasse ainsi qu'Odette.

 

Eugène

 

 

Aux tranchées le 18-4-15

 

Ma chère Odette

 

Je t'envoie une carte des vues de Harbonnières mais tu sais je compte sur toi pour m'envoyer une petite lettre. Je suis si heureux quand je reçois des nouvelles de vous tous.

Je t'embrasse bien. Ton oncle Eugène.

Mes meilleures amitiés à tante Alice et au papa Dorléans.

 

 

Souvenir de la guerre 1914-1915 le 18-4-15

 

Mon cher René

 

Je suis très heureux d'avoir reçu une longue lettre de toi. Je voudrais en recevoir souvent des comme ça. Vais aussi t'envoyer une lettre. Je t'embrasse bien fort. Ton oncle Eugène.

 

 

Souvenir de la guerre 1914-1915 aux tranchées le 18-4-15

 

Mon cher Raymond

 

Aujourd'hui je t'envoie encore une carte. Je n'ai même pas le temps d'écrire une longue lettre. Je suis aux tranchées encore une fois et je ne sais pour combien de temps. Enfin espérons que ça va bientôt finir et que l'on en sortira. Je t'embrasse bien fort. Ton oncle Eugène.

J'espère recevoir une lettre de toi bientôt.

 

 

Le 27-4-15

 

Mon cher Raymond, ma chère Odette et Cie,

Un mot pour attendre une lettre que je vais faire mon possible de t'envoyer. Envoie moi la grosseur de ton doigt annulaire gauche, de même que la grosseur de l'annulaire gauche d'Odette. Ferais mon possible pour envoyer une bague à chaque en aluminium, souvenir de la guerre. Vous embrasse bien.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 1er mai 1915 (aux tranchées)

 

Mon cher René

 

Encore une fois c'est une carte. Je crois que ton Panille ne va pas être content, mais il faut qu'il m'excuse car je n'ai pas un moment à moi, je ne sais si ça va durer longtemps tous ces papiers à copier mais je n'ai pas un seul instant à moi. Je ne dors guère que de 4 à 6 heures par 24 heures et quelques fois moins. Vivement la fin car je suis fatigué. Envoie moi la grosseur d'un de tes doigts ainsi que Panille et maman Hélène afin que je fasse mon possible pour vous envoyer à tous trois une bague en aluminium provenant de fusées allemandes. Je les ferais moi même, ce sera un souvenir. Vous embrasse tous les trois.

 

Eugène

 

Vite une réponse.

 

 

Aux tranchées le 13 mai 1915

 

Cher frère

 

Depuis longtemps je n'ai reçu aucune nouvelle de chez toi. Pourquoi ce long silence ? J'espère que tu as reçu ma lettre ou carte demandant de vous prendre la grosseur d'un de vos doigts à tous trois et de me l'envoyer afin que je puisse vous fabriquer une bague. Vite un mot. Je vous embrasse tous.

 

Eugène

 

Allons René, une lettre.

 

 

2 juin 15

 

Cher frère,

 

Voilà un bon moment que je n'ai entendu ni vu de vous ! Faut pas attendre toujours que j'écrive, car franchement j'en suis fatigué, d'autant plus que je n'ai rien encore de nouveau. Je suis toujours dans la même attente, on nous fait des promesses, nous sommes fatigués de ne rien faire, et on se laisse vivre en attendant. Et de toi, qu'en est-il ? N'est-il point question d'une nouvelle visite, et y es-tu compris ? Je crains fort que tu en aies ta part !

Je suis toujours relativement heureux puisque je ne fais rien et hors de la mauvaise zone, malgré la visite assez fréquente de mauvais oiseaux; mais j'en ai tant vu que ça ne m'occupe guère, et je n'ai d'autre souci que de voir la fin de la situation plutôt baroque qui m'est faite ici ! Car je donnerai beaucoup pour rentrer chez moi, ne fut-ce que pour quelques jours ! Et je serais si utile chez nous pour les travaux des champs ! Voir de si beaux jours et rester là en parfait inutile ! C'est non seulement rageant mais incompréhensible.

Donne moi donc un aperçu de ta situation point de vue militaire et privé, et espérons toujours que nous verrons bientôt la fin de ce cauchemar. Pour mon compte, j'en ai assez et je crois bien ne pas être le seul.

Bonne santé je vous souhaite à tous et vous embrasse.

 

Eugène

 

 

Aux tranchées le 22 juin 1915

 

Ma chère Odette

 

J'ai été rudement heureux quand j'ai reçu vos binettes et je les regarde souvent maintenant. Il faudrait dire à Panille et à maman Hélène d'envoyer la leur. Je t'embrasse bien fort.

 

Eugène

 

Quand Raymond écrira mets un mot de ta main. Je compte sur toi.

 

 

7-7-15

 

A la maison en permission de 4 jours. J'aurais bien voulu aller faire un tour par là bas mais impossible c'est trop loin.

A bientôt de tes nouvelles. Je vous embrasse tous.

 

Eugène

 

 

Aux tranchées le 4-8-15

 

Mon cher Grand,

 

Tu te plains de ne plus recevoir autant de mes nouvelles mais il ne faut pas m'en vouloir car l'on ne  fait pas ce que l'on veut au front. Sois persuadé que si je pouvais t'écrire à toi ou aux enfants tous les jours je le ferais. Patiente un peu et tu auras des nouvelles et des longues. J'espère que mon René va bien. Pense que j'aurais été rudement heureux de vous revoir tous mais à peine 4 jours ce n'est guère pour aller à Rouen. Enfin mon grand et ma chère Hélène, espérez recevoir de longues nouvelles d'ici peu. Je vous embrasse bien fort tous les deux. J'ai envoyé une carte à René à Sotteville.

 

 

Aux armées le 19-8-15

 

Mon cher Raymond

 

Un petit service, envoie moi l'adresse de Marius. Je vais lui écrire ça le distraira un peu.

Avez-vous reçu ma longue lettre ? Je vous embrasse tous.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 29-8-15

 

Ma chère Odette

 

J'espère qu tu es aussi à Saint Maclou, ça doit être les vacances en ce moment. Je t'embrasse bien fort.

 

Ton oncle Eugène

 

 

Aux armées le 29-8-15

 

Mon cher René

 

Dépèche toi de m'envoyer une réponse à la lettre que je t'ai envoyée. Je compte sur toi et je t'embrasse bien fort.

 

Ton oncle Eugène  

 

 

Aux armées le 1er 9-15

 

Cher Monsieur Dorléans

 

Je viens de recevoir une longue lettre ou plutôt 3 lettres des gosses, aussi j'ai été très heureux. Raymond me parle toujours de grand-père quand il m'écrit, aussi je ne vous oublie pas non plus. Je suis très heureux que vous soyez content de ma citation. J'espère que j'aurais le bonheur d'aller vous revoir avec ma croix de guerre.

En attendant de vos bonnes nouvelles ainsi que d'Alice, je vous envoie une bonne poignée de main.

 

Eugène Barbier

 

 

Aux armées le 14 septembre 1915

 

Cher frère et toute la compagnie

 

Excuse moi si je n'ai pas répondu de suite à ta lettre du 5 courant que tu m'envoies de Saint Maclou. Raymond aura du recevoir une carte lui accusant réception des 5. j'ai écrit au Père Dorléans et à Marius et je n'ai encore reçu aucune réponse. Ça m'étonne que Marius ne me réponde pas et pourtant il a du recevoir ma lettre car j'avais bien mis son adresse. Je vais lui envoyer encore un mot sur une carte afin de savoir ce qu'il devient. Aujourd'hui 14 septembre je fais envoi à Raymond, René, Odette de trois timbales en aluminium gravées à leurs noms et à la mode des tranchées. J'espère qu'ils seront contents tous trois, ça n'a pas une très grande valeur mais la gravure demande pas mal de travail et le graveur se fait payer. Ce sera un souvenir de 1915. Par la suite je tacherais de leur envoyer autre chose. En ce moment l'on est en train de travailler à leur fabriquer à chacun une bague en aluminium. D'ici à 8 ou 10 jours ils les auront et cette fois, ils n'attendront pas longtemps. Je verrais à leur envoyer à chacun un coupe papier fabriqué par moi avec une balle française aplatie en lame et montée sur une balle allemande qui elle même est montée sur une cartouche boche. Comme tu vois, je pense souvent à eux et je serais bien heureux de faire tout mon possible pour leur envoyer toutes les nouveautés qui pourraient être inventées aux tranchées. Quant aux affaires boches, casques et cie, il faut attendre car il n'est pas  facile de se procurer ces affaires. Là il faut espérer que d'ici peu on pourra aller s'approvisionner chez eux. Le canon crache dur du côté où je suis aussi il faut souvent se fourrer dans son trou comme les renards et attendre que ces messieurs cessent leur envoi. Ils doivent la trouver mauvaise en ce moment car nos artilleurs ne les laissent pas respirer l'air pur de la campagne. Car aussitôt qu'ils montrent leur tête vite un obus afin de les prévenir qu'il n'est pas encore l'heure de prendre le frais. Aussi ces messieurs sont enragés alors ils nous envoient quelques obus et il faut dire que beaucoup de soldats sont contents car ils peuvent ainsi renouveler leur approvisionnement en aluminium pour fabriquer des bagues. À peine l'obus éclate ils sont 4 ou 5 à sauter dessus. C'est à celui qui arrivera premier pour avoir la fusée d'aluminium. Ils ne sont même pas prudents du tout et ça m'étonne qu'il n'y ai pas plus de blessés ou tués.

Quant aux permissions je ne sais quand je pourrais y aller. L'on parle pourtant que ceux qui comme moi n'ont eu que 4 jours de permission auraient encore droit à 3 jours. Si c'est vrai ce sera à Saint Maclou que j'irais les passer et j'irais avec ma croix de guerre car je ne serais plus longtemps à l'obtenir.

Tu me dis que Raymond va à l'école de chimie, je ne pense pas que tu veuilles l'envoyer à Nancy avant la fin de la guerre, laisse le plutôt à Rouen pour le moment, non pas qu'il y ait beaucoup de danger à Nancy mais enfin à Rouen on est plus en sécurité pour le moment. 

J'avais écrit une lettre au pays leur faisant comprendre que tu n'étais pas content ni les gosses non plus du peu d'empressement qu'ils mettaient soit à t'écrire et surtout à te recevoir au pays. La Josette m'a répondu que tu ne devais pas te fâcher pour ça que c'était la guerre et que ce n'était pas de sa faute si la maison n'est pas assez grande et qu'elle aimerait mieux être chez elle et patati et patata. Comme je vois les parents ne pouvant plus écrire, le Josée doit tourner les lettres comme elle veut et à son avantage car elle a du vice, elle a du en gagner des sous pendant la guerre et elle doit encore en gagner. Il est vrai que Julien ne se gêne guère pour le faire disparaitre quoi qu'il soit sage maintenant. Il n'est pas mauvais, mais il est fou de son épouse chérie et de son beau garçon.

 

 

Aux armées le 23-9-15

 

Cher frère

 

Impossible t'envoyer lettre pour le moment, pas un instant de répit. Je fais envoi de 3 bagues pour les gosses, celle à jour pour Odette. Je vous embrasse tous de tout coeur.

 

Ton frère, oncle Eugène.

 

As-tu reçu timbales ? Si oui le dire.

 

 

Le 28 septembre 1915

 

Chers frère soeur et gosses

 

Un mot simplement car vous devez penser que je n'ai pas le temps d'écrire. L'offensive est commencée comme vous avez du le savoir et ça chauffe dur. Je suis tout près de chez Jeanne et Marius. Si elle y est encore je la verrais peut-être. Au moment où je vous écris c'est terrible à entendre. Ce sont des mille et des mille coups de canons. Ça marche pour nous, espérons. Je vous quitte tous frère, soeur, neveux et nièce en vous embrassant tous de tout mon coeur. Pensez aussi à le dire au papa Dorléans et à Alice. Espoir de vous revoir.

 

Eugène

 

Ecrivez-moi souvent un mot, surtout en ce moment. Avez-vous reçu les bagues mes chers gosses et vous vont-elles ?

 

 

Presque un mois nous n'avons pas eu une seule nuit de repos. À ma compagnie nous avons perdu 160 hommes tués, blessés ou disparus. Je suis resté seul confortable. Vous dire la quantité de travail que j'ai donné depuis 8 jours est impossible. Jour et nuit j'ai travaillé, sans seulement avoir un seul instant à moi pour écrire aux miens. Aujourd'hui seulement j'arrive à écrire pour moi. Les parents se plaignent de mon long silence. Je n'ai pu aussi que leur envoyer une carte pour les rassurer un peu. Nous sommes toujours dans les mêmes parages. L'on nous avait promis du repos, mais en fait de repos, nous allons occuper ces tranchées où nous avons eu tant à souffrir. Ah vite la fin, car j'en ai assez. Et impossible de pouvoir se faire évacuer afin de pouvoir se reposer quelques jours.

J'ai une bonne nouvelle à vous apprendre, et j'espère que vous en serez contents tous. Je suis nommé sergent fourrier. Je vais être un peu mieux payé mais en attendant la fin du mois je n'aurais rien à toucher car passant à solde mensuelle je ne suis payé que par mois, mais je toucherai une bonne somme tous les mois, environ 120 francs. Ça ira un peu mieux si j'ai la chance de pouvoir en profiter.

Marius m'a écrit mais je n'ai encore pu lui écrire. Si vous le voyez, dites lui que je n'ai pu aller jusqu'à  Amiens.

Bien des choses de ma part au Père Dorléans et à Alice. Je ne peux envoyer pour le moment les coupe papier. Je vais vous quitter tous mes chers aimés en vous embrassant tous de tout mon coeur. Je vous écrirais une autre lettre d'ici peu.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 18-10-1915

 

Cher Monsieur Dorléans

 

Vous avez du avoir de mes nouvelles par Saint Maclou. J'ai été longtemps sans donner signe de vie. Aujourd'hui je suis heureux de vous apprendre ma nomination au grade de sergent fourrier. En attendant le grand plaisir de vous revoir, je vous embrasse ainsi qu'Alice. Bien à vous.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 27-10-1915

 

Mon très cher

 

Je crois qu'on a la flemme par là. J'ai écrit une lettre et carte et pas un mot encore. Allons vite, une réponse, sinon gare, je n'irai pas en permission à Saint Maclou.

Je vous embrasse tous.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 1er novembre 1915

 

Mes chers

 

Ta lettre est un peu courte aussi j'attends avec impatience un mot des gosses et d'Hélène car eux au moins m'en mettent long, enfin. Tu sais j'étais bien heureux de la recevoir, car à toutes les lettres que je reçois, vite je regarde si ça vient de Rouen ou de Dieppe.

Vous embrasse tous de tout coeur.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 11 novembre 1915

 

Mon cher Raymond

 

Je t'envoie cette carte pour te dire que j'ai reçu une longue lettre de Sotteville. J'ai été très heureux.

Je ne sais pas encore quand j'irai en permission, en tout cas, j'écrirai un petit mot avant. Je suis toujours chargé de travail et je suis encore bien fatigué. Bien des choses de ma part au Papa Dorléans et à Alice et toi et Odette, je vous embrasse bien fort.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 1er décembre 1915

 

Cher frère

 

Un mot pour te dire que ça va toujours à peu près bien. Je ne sais encore quand j'irai en permission. Il commence à faire rudement froid.

À bientôt une lettre.

J'embrasse toute la sainte famille et j'espère qu'Hélène est guérie.

Bien des choses au papa Dorléans et à Alice.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 9 décembre 15

 

Mon cher René

 

Merci de ta lettre, c'est entendu je viendrais en grande tenue, casque en tête.

En attendant embrasse bien ta maman et Panille pour moi.

Ton oncle qui t'aime bien.

 

Eugène

 

 

Aux armées le 9 décembre 1915

 

Mon cher Raymond

 

Un mot pour te dire que j'espère aller te voir d'ici peu. Je crois que ça sera pour la fin du mois.

Embrasse bien tout le monde pour moi.

Ton oncle

 

Eugène

 

 

Aux armées le 16-12-15

 

Mon cher Raymond

 

J'ai reçu ta lettre, merci. Dis au Papa Dorléans que je garde sa lettre comme indication et que je passerais par Sotteville sûrement et que j'y descendrais. Et ensuite, nous irons à Saint Maclou car je ne peux pas rester longtemps dans le même patelin. Je t'embrasse bien et Odette. Bien des choses à tout le monde et à bientôt je crois.

 

Eugène.

 

 

         

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