CHAPITRE VI           RETOUR      ACCUEIL

 

GUERRE SANS MERCI ...
ASPIRATION A LA PAIX... DESESPOIR ?..
(1916 - 1917)

 

A l'aube de 1916, comment se présentent les fronts autres que ceux dont nous avons suivi les opérations?

 

 

Le 2 août 1914, la guerre n'est pas encore déclarée; cependant, à l'Est, un groupe de Prussiens à cheval fait une incursion sur le territoire français. Il est environ 10 heures. Alertés par les cris d'une jeune fille, le caporal André Peugeot et quatre hommes s'avancent pour les arrêter. Le lieutenant Mayer, du 5ème chasseurs à cheval en garnison à Mulhouse, saisit son revolver et tire. Une balle traverse le corps de Peugeot. Surmontant la douleur, celui-ci épaule son fusil, abat l'officier allemand. Peugeot fait quelques pas, s'affaisse. André Peugeot, 21 ans, instituteur : premier soldat français tombé face à l'ennemi ...

 

Dès le 5 août, les troupes françaises attaquent en Haute-Alsace et au sud des Vosges. Leur mission? Retenir les forces allemandes et permettre aux Alsaciens de se soulever. Des succès suivis de revers. Le 8 août, à l'aube, les Français entrent dans Mulhouse que les Allemands reprennent deux jours plus tard. Dans la vallée du Rhin, dragons, fantassins, chasseurs alpins se battent avec énergie, avancent en territoire ennemi. Mais les troupes françaises sont obligées de se replier : le sort de la France se joue au Nord.

Par la suite, on se bat sans gains de terrain appréciables de part et d'autre. L'hiver très dur, un printemps pourri ne favorisent pas les opérations. On se retranche, on s'enterre dans le sol durci. Une guerre d'usure, des combats meurtriers, qui n'ont cependant rien de comparable avec ce qui se passe sur les autres parties du front français. A l'Est, « rien de nouveau » serait-on tenté, d'écrire.

De leur côté, les Russes ont envahi la Prusse orientale dès le 15 août 1914; c'est la déroute allemande : les cosaques sont à cinq étapes de Berlin. Par contre, sur un autre front, à Tannenberg, les Russes se font écraser par Hindenburg. Durant les mois d'hiver, ceux-ci lancent de furieux assauts contre les forces autrichiennes et allemandes qui, au printemps 1915, attaquent à leur tour. Une grande offensive contre laquelle les Russes, épuisée, sont incapables de résister. La Pologne est occupée. Les Allemands sont aux portes de la Russie.

Le 12 août 1914, les Autrichiens envahissent la Serbie. Ils sont rapidement repoussés et, le 15 septembre, les Serbes reprennent Belgrade.

D'autres pays entrent en guerre. L'Allemagne obtient l'alliance de la Turquie en août 1914; les Alliés lui déclarent la guerre le 3 novembre. Contrôlant les détroits assurant le passage de la mer Egée à la mer Noire, les Empires Centraux rendent difficiles les liaisons entre la Russie et ses Alliés. Ceux-ci essayent de forcer les détroits courant 1915: l'expédition échoue aux Dardanelles. Le 5 octobre 1915, la Bulgarie s'allie avec l'Autriche-Hongrie; leurs armées anéantissent celles de la Serbie. L'Italie, mécontente de l'attitude de l'Autriche, dénonce la Triple-Alliance le 3 mai 1915, ouvre les hostilités le 24. Avec l'Autriche seulement

Fin 1915, la guerre s'est étendue à la majeure partie de l'Europe.

1916 !  Douaumont, Vaux, le Mort-Homme. Mais surtout un nom: VERDUN.

 

Une bataille commencée le 21 février par un déferlement d'obus allemands. Des bombardements à n'en plus finir; tout est ravagé. Des corps à corps éperdus, des combats à mort. Tuer pour ne pas être tué. Au milieu de la fumée. Au milieu des gaz. Et cela des mois durant.

 

Dominant et couvrant Verdun, le fort de Vaux. Ses défenseurs résistent depuis mars. Attaqués par des gaz, enfumés par des liquides enflammés, ils tombent épuisés, faute d'oxygène. On est en juin. Le commandant du fort, Raynal, envoie un parlementaire ; c'est la capitulation reçue par le Kronprinz, fils de Guillaume II. Le fort de Vaux est tombé, mais le Kronprinz tient à rendre à Raynal son épée. Elle est introuvable. On ne découvre qu'un coupe-choux.

 

L'arme est modeste, mais glorieuse, dit le Kronprinz en la remettant à Raynal. J'y vois, comme dans l'épée la plus fière, le symbole de la valeur française.

 

Et Raynal s'en va vers la captivité. Il est rappelé presque aussitôt. Le Kronprinz avait trouvé un véritable sabre épée d'officier français qu'il s'empresse d'échanger contre le coupe-choux ... L'héroïque résistance des Français au fort de Vaux a imposé le respect à l'adversaire.

 

Les morts des deux camps ne se comptent plus. Pétain à leur tête, les Français tiennent. On dispute chaque mètre de terrain. Les Allemands s'usent. Cent mille obus asphyxiants sont lancés dans la nuit du 22 au 23 juin sur un seul lieu d'attaque. C'est l'enfer, un enfer qui prend fin progressivement courant juillet..., les Alliés étant passés à l'offensive dans la Somme.

 

VERDUN, une bataille qui a mis en ligne 41 divisions. Des régiments entiers anéantis. Une véritable tuerie.

 

Ainsi, au cours de la bataille du fort de Vaux, une brigade formée de Zouaves et de Marocains vont à l'assaut. Un survivant parmi les Zouaves ; 85 •% de pertes chez les Marocains.

 

Plusieurs centaines de milliers de soldats allemands et français tués. Plusieurs centaines de milliers de soldats blessée. Près d'un million de victimes. Pour quelques arpents de terre gagnés I

 

Au Mort-Homme cependant, Il est un point où soldats allemands et français se sont rencontrés sans coup férir : une source où les hommes de service des deux camps venaient se ravitailler en eau ...

 

L'offensive dans la Somme ? Une offensive lancée par Joffre et le nouveau chef de l'armée britannique, sir Douglas Haig. Un front de 37 km. Objectif des Français : Péronne ; objectif des Anglais : Bapaume. 41 divisions mises en ligne, dont 26 divisions anglaises.

 

Le 25 juin, l'artillerie et l'aviation anglaises entrent en jeu. Le 1 er juillet, les Anglais procèdent à des lâchers de gaz et s'élancent à l'attaque. Le sol est miné. Le terrain est aussitôt jonché de cadavres. Les Anglais poursuivent leur avancée. Les Allemands contre-attaquent. De part et d'autre, c'est un massacre. Les troupes commandées par le Général Fayolle s'emparent de plusieurs positions ennemies ; mais la défense allemande résiste. Pendant des semaines, attaques et contre-attaques se succèdent. Plus de deux millions d'hommes sont jetés dans la bataille. Une avance comptée parfois en mètres. Une bataille bientôt considérée comme inutile. Une bataille que l'on continue malgré tout. Bataille à laquelle le mauvais temps et l'épuisement mettront heureusement fin.

 

-Dans cette bataille de la Somme, les Allemands ont perdu 500 000 hommes, les Anglo-Français 750000 «un holocauste démesuré, » dira French.

 

Sur le front oriental, pour occuper le plus d'Allemands possible avant l'offensive sur la Somme, les Russes ont envahi la Galicie autrichienne; ils écrasent l'armée autrichienne à Limberg.

Devant ce succès, la Roumanie déclare la guerre à l'Autriche-Hongrie le 27 août 1916. En moins de trois mois, la Roumanie est écrasée.

Autre front : la mer. La marine anglaise a établi le blocus : les Allemands souffrent progressivement d'un manque de matières premières et de denrées alimentaires. La bourgeoisie et les travailleurs allemands notamment.

Au blocus des Anglais, les Allemands tentent un «  contre – blocus » autour de l'archipel britannique, coulant de nombreux navires. Le peuple allemand n'est pas pour autant ravitaillé. Le 31 mai, le flotte allemande quitte ses bases. Un impératif : briser le blocus. Le 1 er juin, vers 16 heures, s'engage une bataille navale. A l'aube du 2 juin, la flotte allemande regagne ses bases après avoir perdu 17 unités et 3 500 hommes ; les pertes anglaises s'élèvent à 14 unités et 6 094 hommes.

 

Après Verdun, que reste-t-il des objectifs de l'Allemagne : anéantissement de la France, invasion de la Russie ? Rien. Les Allemands rechercheraient la paix. Mais si certains milieux militaires sont acquis à l'idée d'une paix sans avantage, d'autres par contre caressent encore l'idée d'une Allemagne au-dessus de tout «  Deutschland über alles ! ». Ils offrent une paix sous condition, et si elle n'est pas acceptée, « la guerre sous marine, intensive et sans restriction, amènerait, selon von Tirpitz, l'Angleterre à demander la paix »

L'idée de paix fait son chemin. En France, en Angleterre, comme en Allemagne, l'opinion publique s'émeut devant une guerre - massacre. Des personnalités socialistes allemandes proclament que l'Allemagne doit offrir « une paix sans annexion et sans condition » -. Mais comment amener les Alliés à vouloir la paix ? Quelle peut être la réaction de la France ?

La France est méfiante. Le mot de « paix • que l'Allemagne fait circuler, n'est-ce pas une manœuvre pour dissocier les pays allié»? Avant tout, la France se doit d'empêcher la réalisation du plan pangermaniste, et pour cela mettre fin au militarisme prussien. Il faut donc continuer la guerre jusqu'à la victoire. Pour Briand, « la paix sortira de la victoire des Alliée ».

1917

Début 1917, les Allemands n'ont plus à craindre d'offensives venant de l'Est.

 

Après l'échec de l'expédition franco - anglaise des Dardanelles, la Russie est isolée de ses Alliées. La famine règne dans le pays économiquement épuisé par la guerre. La révolution éclate. Le tsar abdique.

 

Un gouvernement provisoire est constitué. Son programme : organiser un nouveau régime, faire face aux graves problèmes posés par la guerre et la désorganisation Intérieure. Les hommes qui le composent sont d'opinions différentes ; ils ne réalisent rien de positif.

 

En face de ce gouvernement : le «  soviet des ouvriers et des soldats » au sein duquel se dessine rapidement une majorité, les Bolcheviks, dirigés par Lénine. Avec un programme simple, à la portée du peuple : finir la guerre, établir la dictature du prolétariat.

 

Dans la nuit du 24 au 25 octobre, une insurrection renverse le gouvernement provisoire, établit les Bolcheviks au pouvoir. Le 15 décembre, ils signent avec l'Allemagne un armistice provisoire.

 

 

En France, l'opinion publique gronde, et les chiffres donnés par le général Roques, ministre de la guerre, ne sont pas faits pour la calmer: « En 1914, nous avons eu 491000 hommes (morts et disparus) et pour le premier semestre 1915: 249 000 hommes, le deuxième semestre 1915 190 000 hommes, du 1 er mai au 30 novembre 1916: 202 000 hommes «.

 

Joffre a déçu. Il est remplacé à la tête des armées françaises par le général Nivelle. Fort de brillantes victoires, il déclare le 14 janvier 1917: «Nous romprons le front allemand quand nous voudrons à condition de ne pas attaquer au point le plus fort et de faire l'opération par surprise et attaque brusquée en vingt-quatre ou quarante-huit heures ».

 

 

L'espoir renaît en France.

 

 

Nivelle envisage une offensive au Chemin des Dames.

 

De Londres, Haig reçoit l'ordre d'attaquer en direction de Tilloy-Bapaume. Les Anglais avancent, pénètrent dans Bapaume, Nesle, Noyon les 17 - 18 mars. Sans coup férir. Sur leur passage, tout est détruit. Les Allemands se sont repliés sur une ligne fortifiée, la ligne Hindenburg.

 

Le 9 avril, comme prévu, c'est l'assaut de la falaise de Vimy. Après une âpre résistance, les Allemands reculent. Le 13, Bailleul, Givenchy, Angres sont entre les mains des Alliés. Le 14 avril, ils sont à Liévin. Le mauvais temps les arrête.

Les 13 et 14 avril, le général Humbert tente la rupture du front à St Quentin. En vain.

 

 

Le 16 avril, c'est la grande offensive attendue de la France entière. Enfoncer les Allemands entre Soissons et Reims.

Parmi les soldats qui montent à l'attaque, des hommes de l'A.E.F., de l'A.O.F., des Noirs. Dans la musette de l'un, la tête d'un Allemand, découpée au coupe-coupe. Ils sont mitraillés à bout portant. 132 chars participent à l'action ; ils sont écrasés.

Apres une semaine de combat d’une violence inouïe la tentative de percée s'avère un échec. Plus de 130000 Français sont tombés, morts ou blessés. Le moral des troupes est atteint. Début mal, Nivelle est remplacé par Pétain.

Entre-temps, le 6 avril, le Congrès américain vote la «reconnaissance de l'état de guerre» entre les Etats-Unis et l'Allemagne, qui n'avait pas estimé devoir tenir compte des multiples protestations des Etats-Unis à la suite des attaques portées par les sous-marins allemands contre les navires neutres. Les Etats-Unis sont entrés en guerre contre l'Allemagne. Mais quand pourront-ils aider efficacement les Alliés ?. .

 

Les soldats en ont marre de vivre enterrés. Marre du froid, de la boue. Marre de se heurter à un mur allemand la ligne Hindenburg, quasi inexpugnable. Marre de vivre au milieu des cadavres. En attendant son tour ! L'immense espérance du 16 avril est envolée. Mangin est traité de «boucher», d'« assassin », de « massacreur ».

 

Une propagande insidieuse, grossie par les échos de la révolution russe, se glisse un peu partout dans les troupes qui se relèvent, et dans la population civile.

 

Des mutineries éclatent, notamment dans la région de Soissons et de Reims. Le 30 mai, dans les rues de Cœuvres, des soldats chantent l'Internationale. Des cris s'élèvent : « A bas la guerre ! Des soldats décident de rentrer chez eux. Sur le front, parfois, soldats français et allemands fraternisent. Eux aussi en ont assez de la guerre !

 

2 625 désertions en face de l'ennemi ; 25 579 à l'arrière. Pétain donne l'ordre de sévir. Nombreuses arrestations. Conseil de guerre. 50 000 condamnations. De mai à octobre, 412 condamnés à mort. 55 fusillés.

 

Pétain sévit, et remédie : augmentation des permissions, appel au bon sens, attaques à objectifs limités : « user l'adversaire avec le minimum de pertes ». Gagner à coup sûr, par une préparation minutieuse. Après l'attaque du 20 au 25 août au nord de Verdun, les Français réoccupent le Mort-Homme et font 10 000 prisonniers. Puis du 23 au 26 octobre, c'est la bataille de la Malmaison, sur le front du Chemin des Dames. D'un seul bond, les Français occupent tous les objectifs. En renouant avec la victoire, Pétain redonne confiance aux combattants.

 

Le moral de l'armée rétabli, il reste à vaincre le défaitisme enregistré dans la population civile. Sur le plan politique, deux tendances : l'une représentée par un ancien Président du Conseil, Joseph Caillaux, partisan de négociations immédiates avec l'Allemagne ; l'autre, par Clemenceau « Plus de campagnes pacifistes, sournoises ou déclarées, plus de trahisons, plus de demi-trahisons, plus d'atermoiements et de demi-mesures. Tout pour la guerre, et la guerre, et rien que la guerre ! ».

 

La France est au bord de l'abîme : elle ne peut plus compter sur la Russie, ni sur l'Italie défaite à Caporetto où éclatent des émeutes. Des soldats américains sont arrivés en France, mais ils ne sont pas encore en état de com battre. Les Allemands n'ont plus à faire face qu'à un seul front.

 

En novembre 1917, Poincaré appelle Clemenceau au pouvoir. Par ses discours, par son action, par son attitude, il galvanise le peuple de France qui lentement reprend confiance ...

 

Et le moral des soldats allemands?

 

Un certain nombre d'entre eux consigne sui des carnets de notes leurs impressions, leurs états d'âme. Prisonniers, ou tués sur un champ de bataille, il arrive que ces documents tombent entre les mains de leurs adversaires bien souvent tentés, pour leur moral personnel, d'en tirer des conclusions générales.

 

Que penser cependant des notes du soldat Hermann Gerken, ancien instituteur à Honolulu?

 

Avril 1915, il rejoint son régiment. Il est tout ardeur, il a foi en son pays : « Qu'à nous vienne  la victoire et que la paix soit prochaine ! L'idéalisme allemand constitue la force principale de notre nationalité et la garantie de notre prédestination ».. .

 

Mais, peu à peu, il déchante. Et c'est la crise de conscience.

 

Au retour sans doute d'une permission, il est désemparé par ce qu'il a vu dans  son  pays. « Je ne suis plus convaincu que la mort au champ d'honneur ou tout autre sacrifice puisse servir la cause de mon avenir ou de l'avenir du peuple allemand a écrit-il le 10 février 1917.

 

Constamment, il se plaint de la faim dont souffrent les soldats au front, et du comportement des officiers. Il s'indigne, mais sa révolte reste Intérieure.

 

Dans un poste de guetteur qu'il occupe, il relève une inscription.

 

Ce n'est ni pour la Patrie

Ni non plus pour le pain

Qu'on est en train de se battre.

C'est pour les riches seulement.

Pour que l'Allemagne crève de faim.

Et nous, les pauvres diables,

Nous mourons de froid.

 

Une inscription sans commentaires. Une inscription qui reflétait peut-être alors le fond de se pensée.


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