CHAPITRE V           RETOUR      ACCUEIL

 

LES DESSEINS SECRETS DE L'ALLEMAGNE

« Le gouvernement allemand a reçu des nouvelles sûres d'après lesquelles des forces françaises auraient l'intention de marcher sur la Meuse par Givet et Dinant. Ces nouvelles ne laissent aucun doute sur l'intention de la France de marcher sur l'Allemagne par le territoire belge. Le gouvernement impérial allemand ne peut s'empêcher de craindre que la Belgique, malgré sa meilleure volonté, ne sera pas en mesure de repousser sans secours une marche française d'un si grand développement. Dans ce fait, on trouve une certitude suffisante d'une menace dirigée contre l'Allemagne » : tel est le prétexte invoqué par le gouvernement de Berlin pour faire entrer ses troupes en Belgique.

 

Victime de la guerre : l'Allemagne ? ..Responsable de la guerre : la France animée d'un esprit de revanche ?

 

Vers 1890 se développe dans l'Empire allemand la parution de brochures propageant des idées hardies sur le devenir de l'Allemagne. A partir de ces idées, des associations se fondent. Vers quoi tendent ces brochures? Vers quoi tendent ces associations? A une extension de la puissance et de l'hégémonie de la Prusse : le pangermanisme.

Dans une brochure publiée en 1892, « Ein Deutsches Weltreich » (Un Empire allemand universel ?), l'auteur, anonyme, incite ses lecteurs à éveiller « dans tous les pays germains du continent le sentiment de la communauté d'origine et le désir d'unité. La mise en œuvre de cette action peut soulever un conflit général ; "mais puisse cette conflagration universelle ne pas se produire trop tôt afin que nous ayons pu exécuter notre travail de préparation à l'unité pangermaniste ! »

 

Parmi les associations, l'UNION PANGERMANISTE (Alldeutscher Verband) prend de l'extension grâce aux personnalités qui y adhèrent. La grande tache des Allemands, ne cesse de prêcher son président, le Dr Hasse, c'est de réaliser «l'union de toutes les tribus germaniques» (die Gemeinschaft aller deutschen Stâmme).

 

Comment réagit Guillaume II ? Ce qu'il veut avant tout, c'est préserver l'héritage que lui a laissé son grand-père. Le 28 août 1898, dans un discours, Il indique qu'il ne pourra y parvenir « que si notre autorité se maintient ferme à l'égard de nos voisins. Dans ce but, l'unité et la coopération de toutes les tribus germaniques sont nécessaires ». Guillaume Il est favorable au mouvement pangermaniste dont le but, dans l'esprit de ses auteurs, n'est pas seulement de réunir en un seul bloc les pays germains, mais aussi « d'étendre la domination allemande, à base prussienne, sur toutes les régions considérées comme profitables ou utiles aux intérêts germaniques - (A. Chéradame - « L'illustration - du 6.3.1915).

 

Quel doit être l'aboutissement du pangermanisme ?

 

Une brochure, éditée en 1895, Sous le titre « Groβ Deutschland und Mitteleuropa um des Jahr 1950 » (La Grande Allemagne et l'Europe centrale en 1950), précise ce plan. Annexée à cette brochure, une carte représentant la Grande Confédération Germanique de l'Europe centrale en l'an 1950...

Deux groupes territoriaux seront constitués : l'un de caractère politique, l'autre de caractère économique. Le premier, la Confédération germanique, comprendra l'Empire allemand de 1895, le Luxembourg, la Hollande, la Belgique, la Suisse allemande, l'Autriche-Hongrie. Le second formera un immense Zollverein qui, outre la Confédération germanique, « embrassera les principautés baltiques, le royaume de Pologne, le pays ruthène, la Roumanie et la Serbie agrandie».

 

L'aboutissement final du plan pangermaniste? Une guerre entre l'Allemagne et la Russie. En cas de victoire, l'Allemagne «  annexera les provinces baltiques, l'Estonie, la Livonie et la Courlande. Elle formera un Etat polonais et un royaume ruthène destinés à recevoir les Juifs et les Slaves qui émigreront du grand empire allemand».

 

Suivant les calculs faits avec les données de 1895, la Pangermanie abriterait 86 millions d'hommes et aurait une emprise économique sur 131 millions de consommateurs. Dans ce nouvel empire ainsi constitué, seuls les Allemands «gouverneront, seuls ils exerceront les droits politiques, serviront dans la marine et dans l'armée, seuls ils pourront acquérir la terre. Ils auront alors, comme au moyen âge, le sentiment d'être un peuple de maîtres ; toutefois, ils condescendront à ce que les travaux inférieurs soient exécutés par les étrangers soumis à leur domination ».

 

Un obstacle à ce plan : le démembrement de l'Autriche - Hongrie en vue du rattachement d'une partie du pays à l'empire allemand, et la reconstitution de l'Autriche-Hongrie sur de nouvelles bases.

 

Comment aboutir à la réalisation de ce plan? En détournant l'activité russe vers l'Extrême-Orient, en isolant la France et en la réduisant à l'impuissance. L'anéantissement de la France devait résulter de la destruction totale de ses armées «grâce à une action militaire aussi rapide que formidable, à l'imposition d'une indemnité de guerre épuisante et à l'annexion directe, à l'Allemagne, des territoires du Nord-Est qui, en raison de leurs richesses industrielles et minières, sont indispensables à la vie économique de la France ».

 

 

A la suite de circonstances favorables survenues après 1895, un nouveau plan des ambitions allemandes se dessine vers 1911 à la lecture de diverses publications et notamment du livre d'Otto Richard Tannenberg : « Groß-Deutschland, die Arbeit des 20 jahrhunderts » (La Grande Allemagne, l'œuvre du vingtième siècle), édité en 1911.

 

Les prévisions d'annexions à l'Ouest et à l'Est de l'Allemagne sont telles que pourraient être reliés à Berlin par voies ferrées : Calais, Riga, Salonique, Trieste, et même Bagdad dont Guillaume Il avait obtenu du Sultan une première concession de chemin de fer ratifiée en 1902.

 

La Confédération germanique comprendrait l'Empire allemand, l'Autriche -Hongrie, les provinces baltiques et russes annexées, le royaume de Pologne, les 2/3 de la Suisse, la Hollande, la Belgique et plusieurs départements français. La Confédération regrouperait 162 millions d'habitants, dont environ 85 millions de non-Allemands.

 

Quels départements français seraient annexés? Le Nord, le Pas-de-Calais, les 2/3 de la Somme, les 2/3 de l'Aisne, les Ardennes, les 2/3 de la Marne, la Meuse, les Vosges, la Meurthe-et-Moselle et Belfort, soit 50 271 km2 de territoire sur lequel vivent 5768000 habitants, un territoire qui se trouverait à peu près au nord d'une ligne droite joignant l'embouchure de la Somme à Belfort.

 

 

Après plusieurs mois de guerre, les ambitions allemandes se précisent. En novembre 1914, Maximilien Harden écrit dans « Zukunft  : « Cette guerre ne nous a pas été imposée par surprise. Nous l'avons voulue, nous devions la vouloir ... L'Allemagne la fait en raison de la conviction immuable que ses œuvres lui donnent droit à plus de place dans le monde et à de plus larges débouchés pour son activité »

« le crois le moment venu de remanier la carte d'Europe • déclare à la même époque le professeur Ostwald dans une Interview donnée au « Dagen • de Stockholm.

 

L'extension de l'Allemagne se fera vers l'Ouest et vers l'Est.

Harden précise que le but de l'Allemagne est d'avoir une porte ouverte sur l'Atlantique : " Nous resterons en Belgique et nous y ajouterons l'étroite bande de territoire qui prolonge ses côtes jusqu'à Calais. Cela fait, nous mettrons volontairement fin à la guerre dont nous n'avons plus rien à attendre, contents d'avoir vengé notre honneur ". ( Le Temps n, 20.11.14).

 

Pour l'historien allemand, Dietrich Schaefer, la puissance allemande doit surtout s'étendre vers l'Est : « L'immense force russe doit reculer derrière le Dnieper. . . Alors, il sera possible de fonder sous la conduite de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie réunies, du cap du Nord jusqu'à la Méditerranée, une communauté d'Etats qui assurera à chacun de ses partisans l'existence et la paix. » («  L'information »     5.2.15).

L'arrêt de l'invasion en France et la résistance des Alliés font prendre conscience aux dirigeants de l'Allemagne que le plan pangermaniste ne pourra être réalisé dans son intégralité. Dès lors, les efforts politiques de Berlin tendent à la signature d'un traité de paix sur la base des positions occupées en territoire envahi. Outre-Rhin, on développe le thème d'une « paix honorable ». Concomitamment, le gouvernement de Berlin agit sur les partis socialistes étrangers et les pays non engagés dans la guerre en vue de leur intervention pour la cessation des hostilités, manœuvre pour décider la Russie à traiter une paix séparée, essaye de créer en France un courant pacifiste.

 

Par ailleurs, dans les clauses du traité de paix, n'irait-on pas jusqu'à envisager la possibilité pour les vainqueurs de procéder à une transplantation des peuples pour éviter de nouveaux conflits ? « Par exemple, la population française des Flandres et de la Lorraine, c'est-à-dire de l'ancienne Bourgogne reconstituée, pourrait être installée en France où la densité de population est très faible. De même, la Grande-Bretagne et l'Amérique pourraient donner refuge aux quelques centaines de milliers de Belges qui refuseraient de devenir Allemands ... La question polonaise pourrait être aussi résolue par l'échange des Tchèques et des Ruthènes qui se sont rendus à leurs frères russes et qui pourraient utilement coloniser les plaines de Sibérie, contre de bons Polonais qui viendraient prendre leur place parmi les nations de l'Occident. .. » écrit le « Budapest! Hirlap » du 7 juillet 1915, organe magyar. . .

Quel Français accepterait en connaissance de cause un traité de paix dans les conditions ci-dessus ? Aussi ne faut-il pas s'étonner que le général Joffre termine comme suit son ordre du jour du 28 décembre 1915 aux armées françaises à l'occasion du nouvel an.

« .. Pendant que nos ennemis parlent de paix, ne pensons qu'à la guerre et à la victoire !

Au début d'une année qui sera, grâce à vous, glorieuse pour la France, votre commandant en chef vous adresse, du fond du cœur, ses vœux les plus affectueux. »

 

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