CHAPITRE XIV         RETOUR      ACCUEIL

RECONCILIATION PAR-DESSUS LES TOMBES ? . .

 

Peuples, soyez unis!.. Hommes, soyez humains...

La France est à peine remise des blessures de la première guerre mondiale qu'une seconde guerre se prépare de l'autre côté du Rhin. A l'origine, un homme, un aventurier démagogue : Hitler. Son idéologie : l'amélioration de la race.

Ma pédagogie est dure. La faiblesse est à effacer. Dans mes - Ordensburgen - croîtra une jeunesse de laquelle le monde s'effrayera. Je veux une jeunesse violente, impérieuse, intrépide, cruelle.. ., elle doit supporter des douleurs. Elle ne doit pas être ni faible, ni tendre. Dans ses yeux on doit revoir des étincelles d'une bête féroce, libre et splendide. J'élimine de cette manière des milliers d'années d'une domestication humaine. De cette manière j'ai devant moi le pur et noble matériel de la nature. De cette manière j'arriverai à créer le nouveau

Seul, Hitler ne peut rien. L'esprit de revanche du haut commandement allemand, le capitalisme qui vit de la guerre le portent au pouvoir. Le chômage lui fournit les hommes qu'il fanatise, qu'il transforme en nazis : S.S. et consorts.

Et c'est la seconde guerre mondiale, la guerre 1939 - 1945. Une guerre au cours de laquelle les hommes ont usé, d'armes dévastatrices sans distinguer les combattants des populations civiles. Une guerre rendue tristement célèbre par les camps de concentration allemands où l'horreur dépassait l'imagination. Une guerre qui a fait quatre fois plus de victimes que le premier conflit mondial.

Réconciliation par-dessus les tombes ?

A l'entrée de l'ossuaire du cimetière national de Lorette, une pierre tombale : - Ici sont rassemblés les restes de milliers de soldats inconnus morts pour la France » .. . Sur cette pierre, une lampe remise le 2 juillet 1960 par le groupe allemand l'OEUVRE MONDIALE DE LA FRATERNITE ...

24 jeunes Allemands venus de Bavière, travaillant aux P.T.T., occupent leurs matinées à la réfection du cimetière militaire allemand de Neuville-St-Vaast et consacrent leurs après-midi à des promenades dans la région.

Le mardi 27 juillet 1976, ils se rendent au cimetière national de Lorette. Après quelques instants de recueillement, le responsable du groupe rappelle le symbole des croix la souffrance et la mort. Puis il précise : r Ces croix rappellent que nous devons vivre en amitié et en paix avec la France .

Les jeunes déposent ensuite dans l'ossuaire un magnifique pot de grès parsemé, de fleurs. En témoignage de leur bonne volonté.

Ce n'est pas la première année que des jeunes viennent à Neuville-St-Vaast. Dans le cimetière militaire allemand, un petit arbuste, une plaque : a Cedrus Atlantica - Glauca planté par les apprentis des P.T.T. de Weiden/Opf. Allemagne fédérale  28.7.75 .

Les 20 et 21 juillet 1973, à Arras, ville dont la mairie, le beffroi, la cathédrale, le séminaire, le musée, la bibliothèque et combien d'autres immeubles encore ont été détruits pendant la guerre 1914 - 1918, une rencontre franco - allemande marque le 1 000ème camp de jeunes du Volksbund •, une borne dans l'histoire des Kriegsrâberfürsorge •...

Un jour de 1952, un jeune prêtre allemand passe dans une vaste lande proche du village de Lommel en Belgique. Un cimetière militaire allemand s'étend, là. Des milliers de croix dans les dunes de sable et les broussailles ; des ossements que le vent a mis à jour en de nombreux endroits.

L'état d'abandon dans lequel se trouve le cimetière bouleverse ce prêtre. Les restes de ces militaires, leur sacrifice, méritaient-ils un tel sort? Il en parle à des jeunes qui réagissent. En 1953, s'ouvre à Lommel le premier camp de jeunes du • Volksbund •. Leur devise : Réconciliation par-dessus les tombes

Depuis, des milliers de jeunes ont participé aux camps du Volksbund . ; moyenne actuelle : 5 500 chaque année. 60 '% sont des apprentis, des jeunes travailleurs, des employés appartenant aux organisations les plus diverses. Ils participent à ces camps sur leurs vacances ou leurs congés, de même que les moniteurs et spécialistes du jardinage qui les accompagnent. De plus, ils paient une quote-part des frais de séjour.

Les buts de ces camps ? Faire prendre d'abord conscience aux jeunes, par leurs travaux dans les cimetières militaires, des suites désastreuses de l'abus du Pouvoir ; ensuite, favoriser les rencontres avec les habitants des Pays étrangers.

Si, au départ, prédomine chez les jeunes la possibilité de participer à un voyage à l'étranger peu onéreux, la mise en état des cimetières militaires n'est pas sans marquer leur esprit: c'est le face à face avec des •frères morts à la guerre, c'est parfois un face à face avec un mort de leur âge, ce peut être aussi un face à face avec des tombes sans nom. Et toujours, un face à face avec la mort. Et le pourquoi de la guerre.

Quant aux contacts avec la population, il y eut au départ bien des ressentiments à vaincre et des réserves à surmonter. Mais que de chemin parcouru en 20 ans 1 364 camps de jeunes, 81612 participants de 1953 à 19731

A Billy-Montigny, rue de l'Egalité, attenant au cimetière communal, le cimetière militaire allemand aménagé pendant la guerre 1914 - 1918 par les troupes allemandes et agrandi par l'Etat français après la guerre. Le terrain, propriété de la France, a été mis à la disposition du

Volksbund Deutsche Kriegsgrâberfürsorge E.V.» (Service pour l'entretien des Sépultures Militaires Allemandes).

Séparé du cimetière communal par une palissade, le cimetière militaire est limité ailleurs par un haut mur de briques consolidé par de petites tourelles régulièrement espacées, également en briques. Comme si l'on avait voulu faire du cimetière une enceinte fortifiée.

Paradoxalement, ce qui frappe le regard en entrant, c'est, tout au fond, devant un rideau de peupliers, le monument commémoratif, un monument imposant. L'oeil embrasse du même coup l'immense champ de croix noires sur un tapis de gazon, puis découvre à droite des stèles. D'énormes érables, des peupliers élancés, donnent à l'ensemble un cachet à la fois sobre et majestueux.

Les stèles attirent. Des stèles de différentes tailles, usées par le temps, sur lesquelles on découvre avec peine les noms des soldats, leur grade, leur régiment, leur date de naissance, la date de leur mort.

Avec un peu d'attention, on découvre aussi leur fonction dans l'armée et leur place dans la hiérarchie : Kanonier (canonnier), Grenadier (grenadier), Pionier (soldat du génie), Infanterist (fantassin), Musketier (mousquetaire, voltigeur), Schütze (tireur, chasseur), Fahrer (conducteur, chauffeur), Landsturmann (observateur d'une tour). Beaucoup de = Wehrmann » (soldat), des = Gefreiter (soldat de 1 ère classe ou caporal), et quelques = Unteroffizier = (sous-officier). Et combien de « Réservistes » !

Quelques rares stèles portent la mention : • Hier ruht der Wehrmann ... a (Ici repose le soldat ...), = Hier ruht in frieden ... a (en paix ...), « Hier ruht unser lieber Kamerad = (... notre plus cher camarade).

Quant aux croix noires qui marquent la majorité des tombes, elles portent un ou deux noms.

Et c'est ainsi qu'allant d'une tombe à l'autre, on avance vers le monument dressé sur un énorme massif fait de grosses pierres ; deux escaliers latéraux mènent à un escalier central qui aboutit à une vaste plate-forme au milieu de laquelle est planté le mémorial duquel se détache une couronne garnie de feuilles de chêne que tiennent de la main gauche deux athlètes nus : l'un, la 'tête tendue vers le ciel ; l'autre, la tête baissée ... Un mémorial d'aspect sévère portant cette inscription latine

DULCE ET DECORUM EST

PRO PATRIA MORI

Il est doux et beau de mourir

pour la patrie -. tirée des Odes d'Horace.

Au dos du monument, une autre inscription, en allemand cette fois : « DIE 1 BAV INF. DIV. IHREN TAPFEREN KAMERADEN = (La lère Division d'Infanterie Bavaroise à leurs vaillants camarades).

17 juillet 1958. Un groupe de jeunes Allemands et de jeunes Allemandes, arrivés à Billy-Montigny, commencent la restauration de ce cimetière militaire. Travail: 7 heures à 12 heures. Puis, repas préparé par des militaires (l'adjudant-cuisiner en chef, Bruno 'Kremer, le sergent Karl Eins Duda aidés de soldats du contingent) dans des cuisines roulantes mises à la disposition du mouvement par l'Armée fédérale allemande. Après-midi, contacts avec la population, découverte de la région.

Bien vite des garçons et filles de Billy-Montigny se joignent aux jeunes Allemands; ils travaillent avec eux le matin, partagent leur repas de midi, se distraient ensemble; l'après-midi : excursions ; le soir: jeux, chants et danses.

A l'occasion du Carnaval, les jeunes travailleurs du cimetière se regroupent et préparent en hâte un char. Ils obtiennent un 6ème prix que le chef du camp abandonne au profit de la Coopérative scolaire du C.E.G., en faveur des échanges franco- allemands.

Trois groupes de jeunes Allemands se succèdent ainsi à Billy-Montigny. Le 24 août, c'est la soirée d'adieux è laquelle assistent notamment le maire, Paul Beaufils, et des membres du conseil municipal ; le Directeur du C.E.G., et de nombreux parents. Le professeur 'Welbus, Chef de camp, anime cette soirée familiale: rondes, farandoles, danses se succèdent ; on visionne des films pris au cours des excursions du 3ème groupe à Paris et au Touquet.

Tout le monde est satisfait. Le professeur Welbus remercie le maire de l'aide apportée au bon déroulement des stages. Les jeunes Allemands se sont bien comportés ; Paul Beaufils souhaite voir poursuivre l'oeuvre entreprise dans l'optique d'un rapprochement franco-allemand.

Ce rapprochement existe déjà à l'état embryonnaire les -cuisiniers» se sont faits des amis dans des familles françaises. Bien plus, le jour du départ, le lundi 26 août, 8 garçons et filles de Billy-Montigny partent avec leurs nouveaux amis pour résider dans les familles allemandes. Avec retour, plus tard, dans les familles françaises.

Ultime démarche avant de quitter la France, les jeunes du . Vodksbund -, leurs chefs et leurs nouveaux amis qu'accompagnaient le maire, un adjoint et un conseiller municipal, vont déposer des gerbes de fleurs au monument du cimetière militaire allemand.

L'année suivante, de jeunes Allemands d'Holzminden poursuivent avec de jeunes Français la restauration du cimetière, toujours dans le cadre de l'oeuvre « Réconciliation par-dessus les tombes »

Au cours d'une réception organisée dans la soirée du 10 juillet 1969, et réunissant à la cantine du C.E.G. de nombreuses personnalités, l'Inspecteur Général de la Jeunesse et des Sports à la Préfecture d'Holzminden, Alfred Presuhn, dit toute sa satisfaction de voir l'entente entre les groupes allemands et français. Son souhait est que cette entente ne soit pas sans lendemain : plus jamais de guerre entre les deux peuples.

Dans sa réponse, Léopold Loir, adjoint au maire retenu par ailleurs, assure au représentant de la ville d'Holzminden que la ville de Billy-Montigny, jumelée depuis peu avec celle de Bônen en Westphalie, mettra toujours tout en œuvre pour aider les jeunes à mieux se connaître et partant à mieux s'entendre.

Réconciliation par-dessus les tombes : sensibilisation des nouvelles générations à la Paix par l'Amitié.

Que dire des adultes ? des soldats allemands de la guerre 14 - 18 ? Des guerriers sans aucun doute, mais au fond d'eux-mêmes ?. .

Quelque part sur le front ... Janvier 1915. Entre les tranchées allemande et française : 15 à 20 m. Un général veut des croquis ou photographies du secteur allemand. Dans la tranchée ennemie, on chante. Un sous-officier français présente le 'Kodak d'un photographe au-dessus du parapet

- Photographiren ?

- Ya l Ya I

Et le cliché est pris.

Un Allemand lance un paquet de cigarettes ; le paquet n'arrive pas au photographe. L'Allemand quitte son abri, ramasse le paquet et le donne de la main à la main...

Mai 1915. Profitant de l'absence de tout officier, sept soldats allemands en première ligne passent leur tête au-dessus du parapet de leur tranchée et demandent du tabac aux Français ... Peu après, on échangeait des bombes et des grenades.

Juillet 1915. Après deux semaines de lutte acharnée, c'est l'accalmie entre les combattants. Les deux premières lignes sont à peine distantes de 15 m. Un soldat français s'aventure de sa tranchée pour prendre une vue des positions adverses. Un Allemand lui envoie une boîte de cigarettes. Un autre Français lance une miche de pain qui tombe entre les deux lignes. Un Allemand sort de sa tranchée, ramasse le pain et s'en retourne, comme si de rien n'était. L'occasion d'un dernier cliché ...

Décembre 1915... Au nord d'Arras, les Allemands ont fait exploser une mine. La boue est telle qu'il est matériellement impossible de se disputer l'entonnoir. Les Allemands sortent de leur tranchée, sans armes. Ils se bornent à organiser de leur côté les rebords de l'entonnoir. Les Français en font autant du leur ...

Le cri de ceux qui se rendent, le cri des prisonniers

Kamerad !

Peu avant l'armistice, des officiers, des soldats allemands, porteurs de fanions, veulent entrer dans les lignes françaises pour  serrer la main de leurs braves adversaires français  ... Un régiment allemand, encerclé par deux compagnies françaises, avait formé, les faisceaux ...

Dans les papiers d'un soldat allemand prisonnier, une carte postale ; elle représente un groupe d'Allemands photographiés devant des obus de divers calibres. Le plus grand porte cette inscription : - Wir haben den 'Krieg nicht gewollt ! 1916  ; sur deux autres, les chiffres 19 et 17 ...

Nous n'avons pas voulu la guerre  (19.6.1917). . .

Dans les régions occupées, combien de fois les Français n'ont-ils pas entendu de la bouche même des soldats allemands ces mots : « Malheur ! la guerre. Malheur !•...

Au photographe de la scène relatée plus haut, le sous-officier avait dit :  Il y a deux sortes d'Allemands les " bons garçons " et les " mauvais garçons ".

Une nuit d'automne, le plateau de Lorette m'attire. Notre-Dame de Lorette m'appelle.

Le ciel est couvert de nuages. Le vent souffle en tempête. Pas de lune. La nuit serait d'un noir d'encre si, là-haut, sur le plateau, les puissants rayons du «phare» ne passaient et repassaient.

Par un chemin à travers bois, je gravis l'un des flancs de la colline. A pas lents. Evitant tout bruit. De crainte de troubler le dernier sommeil de ceux qui sont tombés là où je marche. Des soldats allemands, des soldats français morts dans une attaque, dans une contre-attaque, le corps transpercé par une baïonnette, criblé de balles, déchiqueté par des mines, par des grenades, par des obus.

Chaque mètre de terrain a été la possession de l'un, de l'autre ; chaque mètre carré a été retourné plusieurs fois : explosions de mines, bombardements ininterrompus. Sous mes pas, le sang a coulé. Je monte de plus en plus lentement. Religieusement.

Arrivé, au sommet, je découvre à travers les arbres la Basilique -Cathédrale et la Tour-Lanterne vers laquelle je me dirige. Seul bruit : celui de mes pas écrasant les schistes des allées. Je longe la Tour, avance dans l'allée centrale, passe entre deux ossuaires et continue ma lente avancée au milieu des croix.

Dans le lointain, les lumières de la plaine lensoise la vie a repris ses droits. Par-dessus ma tête, passe et repasse la lumière du phare.

Qu'un sang impur abreuve nos sillons? Du sang français, allemand, anglais, mais aussi du sang d'hommes de couleur, de race différente, a coulé dans nos sillons. Du sang qui a nourri la terre. La terre qui nous donne son blé. La terre nourricière. Ainsi vont mes pensées en revenant sur mes pas.

Le vent qui balaye le plateau me traverse. Je frissonne. Seul devant l'éternité, seul au milieu des morts. Soudain j'ai peur. Derrière moi, je sens quelqu'un.

- Que fais-tu là, toi qui viens troubler notre sommeil ?

Surpris et apeuré, je me retourne. Personne... Hallucination ? .. A peine reparti, la même voix se fait entendre. La peur m'envahit. Je veux fuir. Impossible. Je suis rivé au sol. Je suis entré dans le Royaume des Ombres, dans l'enceinte de la Mort.

Une voix s'élève de nouveau.

- Je suis l'Esprit.

D'autres voix s'élèvent. De plus en plus nombreuses.

- Nous sommes l'Esprit. L'Esprit de tous ceux qui sont tombés ici ou ailleurs. La nuit, nous nous retrouvons, nous nous rassemblons de tous les coins de l'Artois, et de bien plus loin encore.

- J'ai été tué d'une rafale de mitrailleuse, en mission de reconnaissance.

- J'ai été tué d'une balle en plein coeur, en voulant sauver un camarade blessé.

- J'ai été tué par les obus de nos artilleurs, alors que notre groupe montait à l'attaque.

- Je suis mort, enterré dans une tranchée.

- J'ai été tué sur place, parce qu'il ne fallait pas perdre un pouce de terrain.

- Je suis mort dans d'atroces souffrances, gazé.

- J'ai volé, en éclats avec la terre, et mes restes ont été éparpillés à plusieurs reprises.

- Nous attaquions en force à la baïonnette, et je me suis trouvé devant un soldat allemand. Les baïonnettes traversèrent nos poitrines dans un hurlement terrible. Nous sommes restés quelques instants debout tête contre tête. Puis dans la mêlée, les baïonnettes sortirent par le dos. Nous sommes tombés ... Depuis, nous ne nous quittons plus.

 J'ai été tué... », Q Je suis mort... A, Q J'ai été tué... - J'ai été tué... _ : autant de flèches que m'envoient ceux que la guerre a ravis à leur famille.

- J'étais marié, et j'avais un garçon et trois filles.

- Je venais de me marier, et nous attendions un enfant. - J'étais fiancé.

- J'étais la joie de mes parents.

- J'étais patron d'une petite entreprise, j'étais cadre-, j'étais technicien, j'étais employé, j'étais ouvrier, j'étais étudiant, j'avais une profession libérale, je travaillais dans l'administration, j'étais cultivateur.

- Mon épouse, mes enfants, mes parents ne savent pas où je suis : disparu. Une partie de mon corps se trouve dans l'un des cercueils de l'ossuaire.

- Dans ce royaume des Ombres, nous sommes de tous pays, mais frères dans la mort. Nous parlons la même langue, celle de l'Esprit. Nous nous comprenons.

- Souviens-toi Français de ces hommes de toutes races, de toutes conditions venus au secours de ta Patrie !

- Souviens-toi de tous ces hommes qui sont tombés sur ta terre natale pour que tu restes libre !

Et soudain le silence. Puis une voix grave. Et un choeur de voix graves s'amplifiant.

- On nous a traités de Barbares. Nous avons fusillé des femmes, des enfants, des vieillards. Nous avons pris des otages, et nous les avons passés par les armes. Nous avons mis à mort des malades dans des hôpitaux. Nous avons assassiné des prêtres. .. Nous avons pillé, mis à sac, incendié des villages, des villes. Nous avons détruit des cathédrales, des hauts-lieux de culture, des quartiers témoins de l'Histoire.

Nous sommes des Barbares? Quel vivant sait ce qui l'attend quand il part à la guerre. Dès qu'on avance en pays conquis, la peur vous saisit. L'adversaire est peut-être là derrière un mur, et ce peut n'être qu'un simple citoyen. Un coup de feu est tiré. Qui a tiré ? On a tiré. La peur d'être pris dans le dos. Les supérieurs ordonnent de rassembler un certain nombre de personnes. Une rafale de mitrailleuse. La mort de civils, la mort d'innocents. Pour l'exemple. Sur l'ordre de nos supérieurs.

Une voix faible s'élève alors :

- Je suis mort, fusillé ! Pour l'exemple. Revenant de corvée, soudain des Allemands devant moi. Je m'enfuis à travers les boyaux vers les lignes arrières, et tombe sur un officier d'Etat-Major qui prend mon nom. Aussitôt après, je rejoins mes camarades et participe à une contre-attaque, rachetant ma conduite ... Le lendemain notre régiment est relevé. Des gendarmes viennent me chercher au cantonnement. L'après-midi, je comparais devant un Conseil de Guerre. Sentence : la mort. Notre colonel, notre aumônier supplient le général. En vain. J'étais marié, j'avais deux enfants. Qui n'aurait pas été saisi d'une panique soudaine devant une irruption improviste d'ennemis ? Au milieu de mes camarades troublés, éperdus, épouvantés, on me traîne au poteau. J'appelle mes enfants. Je supplie mes camarades de demander ma grâce. Feu ! Je suis mort, tué par mes frères d'armes.

 

Une autre voix

- Moi aussi, je suis mort pour l'exemple. Sur la croix, sous laquelle mon corps repose, l'épitaphe : " Mort en brave". Je faisais partie des 32 mutins de Coeuvres jugés par le conseil de guerre siégeant au palais de justice de Soissons. Le premier appelé refusa de pondre aux questions de l'avocat général et s'adressant aux juges s'offrit à être fusillé pour nous sauver. Les interrogatoires se poursuivirent. Le tribunal délibéra. La sentence tomba : 17 condamnations à mort; les autres, condamnation aux travaux forcés. Tous les recours en grâce furent acceptés, à l'exception d'un seul. Non pas le recours de celui qui avait offert sa vie pour les autres, mais le mien. Je n'étais pas plus coupable que des centaines d'autres mutins. Simplement, je n'avais pas de famille pour porter le deuil...

Sous la voûte céleste, c'est l'unanimité.

- Nous avons été tués, et la plupart nous avons tué. Etions-nous encore des êtres humains quand nous montions à l'attaque, après avoir reçu une forte ration d'alcool? Etions-nous encore des êtres humains quand il fallait gagner du terrain au milieu des obus et des grenades qui éclataient, sous le feu des mitrailleuses qui crépitaient? Pouvions-nous avoir un fond d'humanité devant l'adversaire que l'on tue pour ne pas être tué? Etions-nous encore des humains pour courir sur les corps de nos camarades blessés, morts, s'enlisant dans la neige ou dans la boue ? Et quand nous foncions de désespoir pour en finir une fois pour toutes. Eux ou Nous ? . .

Ici, dans le royaume des Ombres, nous qui étions " confrères " d'armes, sommes devenus frères. Nous aurions aimé vivre heureux, en paix, sur notre bonne vieille terre.

Mais la Guerre qui nous a ravis à l'affection des nôtres a fait de nous des MORTS !

Les hommes ne sont-ils donc pas faits pour s'aimer? Qui les oblige à s'entre-tuer?

POURQUOI LA GUERRE ?
Pourquoi la guerre?..
POURQUOI ?

 

PEUPLES, SOYEZ UNIS! HOMMES, SOYEZ HUMAINS


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