10 mars 1906 (Catastrophe dite de Courrières)

Il convient, semble-t-il, de lever une certaine confusion dans les esprit ceux qui ne connaissent pas la région minière ; d'aucuns pensent en effet que cette catastrophe s'est produite sur le territoire de la ville de Courrières alors qu'il n'y avait plus de fosse en exploitation à Courrières en 1906 et qu'aucun de ses habitants n'a trouvé la mort dans la catastrophe.

 

Comment expliquer cette confusion. Des le début  du XVlllème siècle, les industriels lillois, menacés par une pénurie de bois, font procéder à des recherches de « charbon de terre » qui fait la prospérité de leurs voisins belges. C'est ainsi que de la houille est découverte à 150 mètres de profondeur environ à la suite d'un sondage effectué à Courrières en avril 1849.

 

Sur une demande formulée le 9 mars 1850, LOUIS­ NAPOLÉON, Président de la République Française, par décret en date du 5 août 1852, « fait concession » aux personnalités associées dans la découverte du charbon à Courrières « des mines de houille comprises dans les limites ci-après définies, communes de Carvin, Oignies, Courrières, Hénin-Liétard, Rouvroy, Méricourt, Billy-Montigny, Montigny, Harnes, Salau, Avion, Loison, Dourges, Noyelles-sous-Lens, Fouquières-lez-Lens, Annay, Estevelles (Pas-­de-Calais) ». A l'effet d'exploiter les richesses du sous-sol est créée la Compagnie des Mines de Houille de Courrières.

 

Première de la concession à être ouverte, la fosse 1 de Courrières est mise en exploitation en 1851. Jugée non rentable, elle est arrêtée en 1888. Quant aux fosses 2 de Billy-Montigny, 3 de Méricourt et 4 de Sallaumines, mises en exploitation suc­cessivement en 1856, 1860 et 1867, elles ont produit chacune plus de 173 000 tonnes de charbon cette année-là.

 

Au moment de la catastrophe dite de Courrieres, les fosses qui étaient initialement autonomes sont reliées entre elles par des galeries. Cinq fosses sont concernées : les fosses 2 et 10 de Billy-Montigny, la fosse 3 de Méricourt, les fosses 4 et 11 de Sallaumines. L'exploitation d'une mine de charbon étant avant tout conditionnée par l'aérage qui nécessite l'existence de deux puits communiquant entre eux, comment se présentent ces fosses en 1906 ? L'air entre par les puits 10 et 11 et sort par les puits 2 et 4. Quant au puits de la fosse 3, deux cloisons le divisent en trois compartiments : le compartiment central, le plus important, sert à l'extraction et à l'entrée de l'air : l'un des compartiments latéraux, appelé goyot, est utilisé pour la sortie de l'air aspiré par un ventilateur, tandis que l'autre est muni d'échelles pour la circulation du personnel. Autre caractéristique de l'aérage au 3, l'air qui entre par ce puits est envoyé dans trois directions : vers les puits 2 et 4, et dans un quartier au sud de la fosse 3 ; seul l'air dirigé dans ce quartier remonte par le goyot.

 

        Dans la nuit étoilée et fraîche, bien emmitouflés, la musette pendue à l'épaule, les mineurs affectés au poste du matin gagnent par petits groupes leur fosse respective. Les jeunes devisent gaiement : demain, c'est dimanche. Quant aux plus âgés, ils s'interrogent sur le feu qui couve dans la veine Cécile : on en parle tant ! Ils ne cachent pas leur anxiété.

  

Arrivés sur le carreau de la mine après avoir passé entre les deux battants d'une haute grille en fer forgé qui y donne accès, l'atmosphère de travail avec ses préliminaires habituels reprend ses droits.

 

Les hommes se rejoignent dans une immense salle où ils déposent manteau et autres affaires. Puis, en tenue de mineur, ils passent à la lampisterie pour y retirer une lampe à huile contre indication de leur matricule. Et c'est la montée au moulinage où chacun, tant bien que mal, s'installe dans des berlines placées sur rails.

Remontant du fond elle a déjà déposé plusieurs cargaisons d'ouvriers, la cage surgit du puits, s'immobilise sur les taquets. Les berlines chargées d'hommes y sont poussées et calées. Une sonnerie. La cage, glissant le long des guides, des­cend rapide, sûre ; s'arrête. C'est déjà l'accrochage. A 340 mètres sous terre.

 

Un manoeuvre tire à lui les berlines qu'il gare sur une voie ferrée, en attente d'être emmenées vers les fronts. Les hommes sautent à terre et, par la bowette principale, chacun gagne son poste de travail.

 

Après 5 heures, place au matériel à descendre, place au charbon à remonter ! Plus de descente possible pour les hommes. Aussi, est-ce au pas de course que, parfois, certains retardataires gagnent la fosse. Ce 10 mars, le fils Carrière est de ceux-là.

Mais aujourd'hui, à cause de l'incendie, on est plus indulgent. C'est ainsi que Henri Wattiez a pu descendre à 5 h 20 et Léon Boursier un peu plus tard encore. Pour leur malheur ?  . . .

Le jour se lève. Le ciel est clair, il fait frisquet. Le printemps approche. Une belle journée en perspective.

Soudain, une secousse suivie d'un bruit sourd selon les uns, d'une violente détonation selon d'autres.

 

Il est 6 h 45. Dans les corons avoisinant les fosses 2, 3 et 4 des mines de Courrières, les portes, les fenêtres des maisons s'ouvrent. Partout on s'interroge.

 

- Mon Dieu, ce n'est pas à la fosse ? lance à son voisin une mère de famille inquiète.

 

Quelle fosse ? Celle de Billy-Montigny ? Celle de Méricourt ? Celle de Sallaumines ?

 

Le directeur Lavaurs dont l'habitation jouxte l'enceinte de la fosse 2 est immédiatement alerté : quelque chose d'anormal s'est produit dans les chantiers du fond.

Il se rend aussitôt au puits 2, intact. Il donne des ins­tructions, part en hâte vers la fosse 3.

L'ingénieur Voisin descend prudemment dans le puits 2 avec un homme d'about. A l'étage 306, ils découvrent, évanoui, le chef-porion Lecerf qu'ils ramènent immédiatement au jour.

Vers 8 heures, nouvelle descente des deux hommes ac­compagnés cette fois d'un jeune galibot porteur de médicaments, Charles Casteyes, de Montigny-en-Gohelle. Mais auparavant, Voisin recommande au mécanicien de ne pas descendre la cage au-delà de l'étage 258 : plus bas, l'air est irrespirable.

La cage s'enfonce lentement, passe l'étage 258 ... Dans son désarroi, le mécanicien a oublié la recommandation de l'ingénieur ! Pour les trois hommes, c'est la mort certaine. La cage passe devant une galerie. L'homme d'about bondit, alerte le jour tandis que la cage continue à descendre. Le mécanicien réalise. La cage remonte, passe devant l'homme d'about aban­donné dans la mine mortelle .. .

Voisin et Casteyes sont évanouis. La tête de l'ingénieur, son pied, le bras du galibot pendent hors de la cage. Au jour, tout ce qui dépasse risque d'être sectionné, broyé. Dans le puits, soudain une secousse : le galibot bouge, la tête de l'ingénieur revient sur le plancher de la cage. Heureusement ! La cage surgit du puits : Voisin a le pied cassé, Casteyes le bras en bouillie ...

Toute opération de sauvetage par la fosse 2 s'avère im­possible : les gaz ont envahi le puits.

A la fosse 3, l'ingénieur principal Petitjean est remonté vers 6 heures après une tournée d'inspection dans le quartier où couve l'incendie ; l'ingénieur Barrault, son second, est au fond.

 

Petitjean se trouve à une quarantaine de mètres du chevalet quand soudain jaillit du puits au milieu d'un vacarme épouvantable un nuage de poussières retombant sur les diverses installations.

 

Tel un boulet de canon, un cheval est projeté en l'air. Le souffle a ravagé le moulinage, soulevé le chevalet.

 

Quelque peu abasourdi, Petitjean reprend vite ses esprits. Il court au puits. La cloison du goyot est démolie, l'aérage ne s'effectue plus correctement. Impossible de remonter la cage au fond : les parois du puits se sont rapprochées. Impossible de descendre par les échelles : le puits est bouché par un fatras de ferraille.

 

Lavaurs passe. Désobstruer le puits demanderait trop de temps. Pour atteindre les chantiers de la fosse 3, il faut des­cendre par le puits 4. Il faut faire vite.

Au 4, la cage, projetée à quelque 10 mètres en hauteur, est retombée de travers sur les taquets . . . Tous les carreaux du bâtiment central ont volé en éclats.

 

Georges Engelaëre, d'Avion, occupé à réparer l'armature métallique du chevalet, a été projeté sur l'escalier de fer conduisant au moulinage où il gît, le crâne fracturé. Des camarades le transportent dans une pièce attenant à la loge du concierge.

 

L'ingénieur en chef Bar arrive sur les lieux peu après l'explosion. La cage du fond est calée à 383 m.

 

Sans prendre le temps de revêtir ses habits de fosse, Bar décide de descendre par les échelles. L'accompagnent l'ingénieur principal de la fosse Domézon et son adjoint, l'ingénieur Bousquet, le chef-porion Douchy, l'ancien chef-porion Lecomte, le délégué ­mineur Dacheville.

 

Parvenus au-dessus de la cage, ils la libèrent ... tandis qu'apparaissent à l'orifice du puits 11 trois mineurs de ce puits Louis Lévêque, Louis Martin, Joseph Mary ; et peu après le porion ­contrôleur Payen.

Hébétés, traumatisés, ils ont peine à répondre aux ques­tions. Le souffle de l'explosion les a renversés sur le sol. Ils ont encore devant les yeux la vision de l'accrochage transformé en fournaise. Ils sont remontés par les échelles comme des automates. Ils sont saufs ! .. .

Entre-temps, au 10 de Billy-Montigny, la cage va et vient, remontant les mineurs de cette fosse auxquels se sont joints un certain nombre de mineurs de la fosse 2.

Comme une traînée de poudre se répand dans les corons la nouvelle d'un coup de grisou. Un mot court de bouche à oreille : CATASTROPHE.

Vers les puits sinistrés, c'est aussitôt la course, la ruée d'épouses, de mères, de parents, de mineurs, d'enfants.

Devant le carreau des fosses, les grilles sont fermées.

La foule grossit de minute en minute, une foule que contiennent avec peine des gendarmes appelés à la hâte.

Le coeur angoissé, tous attendent des nouvelles. En vain. Les larmes coulent. Des femmes sont atteintes de crises ner­veuses : leur mari, leurs enfants sont là, sous terre.

Des milliers de personnes s'agglutinent dans l'avenue des fosses et dans les rues adjacentes. De partout accourt un flot ininterrompu de gens qui, se frayant un passage à l'aide des coudes, sont à la recherche de parents, d'amis susceptibles de les renseigner sur l'un des leurs . . .

L'administration, les grands quotidiens sont alertés. C'est la confusion générale.

A la Préfecture d'Arras court la rumeur qu'une importante catastrophe minière a touché les puits 4 et 11 de Sallaumines.

 

Mais bien vite, la réalité apparaît, brutale : coup de grisou aux fosses 2, 3 et 4 des mines de Courrières ... 1 800 ouvriers au total sont descendus le matin dans ces trois fosses trans­formées en brasiers ... La catastrophe dépasse en horreur tout ce que l'on peut imaginer.

 

A la fosse 2, sur les lieux, le maire de Billy-Montigny, Tournay, accouru dès l'annonce du sinistre. Les gendarmes locaux, renforcés par quelques agents d'Hénin-Liétard, maintiennent la foule.

 

Charles Casteyes est amputé sur place par les docteurs Minet et Boulogne, puis conduit à l'hôpital.

 

D'autres médecins, venus des concessions voisines, sont prêts à aider leurs confrères de Billy pour réanimer les asphyxiés. De Lille sont également arrivés le docteur Colle, chef de clinique à la Faculté de Médecine, le docteur Albert Debeyre, chef de travaux pratiques, deux médecins militaires, des internes et externes de l'hôpital Saint-Sauveur.

 

Plus de 400 personnes sont occupées dans cette fosse. Une dizaine de blessés ou malades ont été remontés dont l'in­génieur Peger, le chef-porion Lecerf, le porion Fossez, Louis Briou père et fils, Emile Bouilliez père et fils.

 

Où sont passés les autres mineurs ? 200, peut-être plus, seraient remontés par la fosse 10. Il en resterait autant au fond, et impossible de descendre. A cause des gaz !

 

 

Simon, dit Ricq, délégué mineur à la fosse 3, était chez lui, rue de Bayon à Méricourt Village, lorsqu'il entendit le bruit sourd de la déflagration.

 

Pas de doute pour lui, un grave accident est survenu. A

Sur le carreau de la fosse, ils sont là plusieurs à discuter Petitjean, les ingénieurs Drevet et Fournier, le porion d'about Clabecq. Pour eux comme pour les quelques mineurs présents, le 3 est le centre de l'explosion.

 

Un ventilateur fonctionne. Le mauvais air se fait rare. Il faut descendre coûte que coûte.

 

En guise de cage, un tonneau manoeuvré dans le puits au moyen d'un treuil. A une centaine de mètres de l'orifice du puits, un enchevêtrement inextricable de planches cassées, de fers tordus : le puits est complètement bouché.

 

Face aux gardes, aux gendarmes d'Hénin-Liétard qui barrent l'entrée de la fosse où accèdent cependant journalistes et personnalités, la foule s'impatiente, s'énerve devant le silence qui plane sur le carreau de fosse. On ne peut pas descendre ! Mais ceux qui attendent, qui souffrent, peuvent-ils comprendre ? .. .

 

- Quatorze hommes seulement sont revenus ... Il en reste 459. Et mes trois enfants sont là, au fond ...

 

Un vieux mineur, prostré, attend qu'on lui rende ses fils ...

 

     A la fosse 4, le docteur Lecat à son chevet, Engelaëre est décédé. C'est la première victime officielle.

Sur le carreau de la fosse, le directeur des mines de Lens, Reumaux ; le directeur des mines de Dourges, Robiaud ; le directeur des mines de Meurchin, Tacquet, ancien ingénieur du 3 ; et des ingénieurs des concessions voisines s'entretiennent avec le directeur Lavaurs.

 

Sur place également, des médecins. Et une cinquantaine de gendarmes.

 

Bar sort du puits, se dirige vers Lavaurs. A 20 mètres de l'accrochage, toutes les bowettes sont effondrées. Bar retourne au fond.

 

Lecomte, remonté en même temps que celui-ci, est bouleversé :

- Ce que je viens de voir me rappelle un champ de bataille de 1870 ; il n'y a que morts et blessés.

Au 2, au 3, au 4, arrivent tant bien que mal à travers la foule un nombre imposant d'ambulances, de voitures tirées par des chevaux, chargées de matelas, médicaments, paquets d'ouate, gouttières, ballons d'oxygène.

 

Toutes les pharmacies des environs ont été dévalisées.

 

Des salles sont transformées en infirmerie. D'immenses baquets sont remplis de solutions d'acide picrique ; l'atmosphère en est tout imprégnée. Des femmes préparent des boissons chaudes.

 

Près de trois heures se sont écoulées depuis l'explosion.

 

Quelques hommes seulement sont remontés. L'organisation des secours est d'une telle ampleur que la foule prend con­science progressivement de l'immense désastre qui s'est abattu sur la corporation minière.

 

Tout est prêt pour sauver les victimes de la catastrophe. Malheureusement, il n'en paraît point ...

 

C'est au 4 que finalement tous les efforts se concentrent. Sous la direction de l'ingénieur Dinoire, le mécanicien d'extraction réussit à rétablir le libre jeu de la cage. Le 4 ? C'est le seul puits dans lequel on puisse descendre.

 

Il est environ dix heures quand court un bruit. Une cinquantaine d'ouvriers occupés dans un quartier du 11 auraient été ramenés à l'étage 300 par le porion contrôleur Payen redescendu. L'espoir inespéré, mais entretenu en soi par chacun, de revoir enfin un être cher. L'anxiété ; le silence.

 

La cage est au fond. Le puits résonne de coups de trompe. A l'étage 300, tout est prêt. La cage remonte, arrive au jour.

Plusieurs mineurs en sortent titubants, hébétés. Pendant qu'on les réconforte, la cage redescend. Trois voyages, 44 mineurs sont sauvés ! Parmi eux, un blessé, les vêtements en lambeaux, le corps presque nu, gravement brûlé. On le transporte à l'infir­merie où son corps est littéralement enveloppé de bandes de gaz jaunies par l'acide picrique.

La foule s'agite, menace d'envahir le carreau de fosse. Les gendarmes ont peine à la contenir.

 

Qui sont ces hommes remontés ? Chacun veut savoir. De loin, ils se ressemblent tous. Des épouses, des mères cher­chent à reconnaître leur homme, leurs gosses.

 

Le regard vide, ils avancent lentement vers la foule qui se presse, franchissent la grille.

 

Pour leurs parents, pour leurs amis, c'est la joie. On s'embrasse. On pleure. Pressés de questions, ils ne peuvent répondre ; ils viennent d'un autre monde. Entraînés par les mem­bres de leur famille, ils retournent chez eux, silencieux.

 

Que s'est-il passé au fond ? Que se passe-t-il ? ...

 

 

Vers 10 h 30, arrivent d'Arras le préfet du Pas-de-Calais, Duréault, et l'ingénieur en chef du contrôle des mines, Léon suivis de près par des membres du parquet de Béthune.

 

Le chef-,porion Douchy vient de remonter. Le préfet l'interroge.

 

- C'est horrible. J'ai vu une douzaine de cadavres près de l'accrochage. Plus loin, à une vingtaine de mètres, tout est éboulé, les bois sont tombés, les portes sont arrachées. J'ai été chercher aussi loin que j'ai pu un homme qui criait. C'est terrible ! ... Et j'ai mon fils au fond, ajoute-t-il, la gorge serrée, tandis que le préfet lui serre la main avec émotion.

 

Un autre sauveteur a entendu des coups portés sur des tuyaux. Il y a encore des mineurs vivants, enterrés. Pas de doute possible.

Mais comment les secourir ? Des sauveteurs tombent inanimés à cause des gaz qui commencent à envahir la fosse. De plus, la cage ne peut descendre en dessous de 300 mètres des guides tordus constituent un obstacle dans le puits.

Conformément au règlement, les ingénieurs de l'Etat prennent en mains les opérations de sauvetage sous la direction de l'ingénieur en chef Léon. Celui-ci reste à la fosse 4 qui semble devoir être le centre opérationnel. Il envoie Heurteau au 10 et Leprince-Ringuet au 3.

La plupart des ingénieurs de la Compagnie sont occupés dans les puits ou au fond de la mine, tentant l'impossible pour sauver des victimes. La coordination des travaux de sauvetage apparaît difficile.

A Billy-Montigny, de la passerelle qui enjambe la voie ferrée des mines, on a une vue plongeante sur le carreau de la fosse 2... où il ne se passe rien. Le puits est envahi par les gaz.

Le 2 est relié au 10, et du 10 on peut aller au 3. Le 10 devient un centre de sauvetage où opère l'équipe médicale venue de Lille.

Aucune victime parmi les travailleurs de cette fosse re­montés aussitôt après l'explosion. La plupart, commotionnés, sont retournés chez eux ; quelques-uns participent aux recherches.

Un certain nombre de mineurs du 2 ainsi que quelques

mineurs du 3 sont remontés par le 10. Combien ? Nul ne le sait. L'ingénieur Voisin a la joie d'apprendre que son sauveur, l'homme d'about, est de ceux-là.

 

 

Dans le bureau du chef de carreau, deux lits de camp sur lesquels reposent deux cadavres recouverts d'un linceul. Un mineur revêtu de sa tenue de travail entre, s'approche d'un lit, écarte d'une main tremblante le drap.

- Mon frère !

 

Charles DESCAMPS, de Billy-Montigny, est mort. Il avait 35 ans. A côté de lui, François CORDIER, des Vieux Corons de Méricourt. Mort à 36 ans.

 

Dans une pièce contiguë, assis sur une chaise, pâle, enveloppé dans une couverture, le jeune ingénieur Pégheaire, sauvé par le géomètre Storet, se remet péniblement d'un début d'asphyxie.

 

Une vingtaine de blessés ont été remontés, certains dans un état désespéré. Les médecins s'affairent autour d'eux, tentent de les ramener à la vie en pratiquant la respiration artificielle.

 

Trois autres cadavres ont été ramenés à la surface dont celui du jeune Henri BERTIN, 18 ans, de Billy-Montigny, ramené par ses frères retournés aussitôt au fond à la recherche d'un autre des leurs : Alexandre 16 ans.

 

Des équipes de secours sillonnent les galeries.

Près des barrières à l'entrée des fosses, des femmes crient leur douleur, profèrent des invectives à l'adresse des gen­darmes et de ceux qui ont le droit d'entrer sur le carreau de fosse, qui savent et ne disent rien. Certaines s'évanouissent. D'autres, le corps secoué par des crises de sanglots, retournent à leur maison ...

 

Un mineur échappé à la catastrophe s'abat subitement ...

Un homme passe en courant. Une future mère l'interpelle - Et mon mari ?

 

- Il est resté au fond.

 

Elle s'affaisse, sans connaissance  . . .

 

 

Des épouses, des mères n'ont pas bougé de leur domicile. Les yeux rougis d'avoir pleuré, elles s'entretiennent à voix basse  . . .

 

 

Interrogé alors qu'il retourne chez lui, le maire de Montigny-en-Gohelle, Arthur Houssin, répond attristé

 

- On ne peut pas se faire une idée de ce que c'est. Il y aura au moins douze cents morts .. .

 

 

Toutes les routes qui convergent sur les fosses sinistrées sont noires de monde.

 

La population est calme, respectueuse de la douleur de ceux qui souffrent, anéantie par l'impitoyable destin.

 

Qu'à la suite d'un coup de grisou une fosse soit détruite, à la rigueur, c'est concevable. Mais que trois fosses soient ravagées, au même instant ; non, ce n'est pas possible ...

 

Des nuages obscurcissent le ciel ...

Au 3, pour accéder aux différents étages, il faut « dé­boucher » le puits, coûte que coûte. Ingénieurs, porions, ouvriers mènent une lutte acharnée contre le fatras de planches cassées et de ferrailles tordues.

 

A la lueur de lampes fumeuses, accrochées on ne sait comment, les uns coupent des planches à la hache, d'autres

scient des fers, autant de débris que l'on remonte par le tonneau. Tels des acrobates, ils travaillent, à la merci du moindre incident qui les précipiterait dans le vide.

 

Après des efforts inouïs, enfin une première trouée ! On descend de quelques mètres. Et c'est encore un amas de dé­combres ! Même opération de déblaiement. Quelques mètres à nouveau gagnés. Et ainsi à plusieurs reprises.

 

Vers 15 heures, ils sont à 55 mètres de profondeur, et, en fin de journée, ils ont atteint 170 mètres. Mais là, impossible d'aller plus loin, impossible de se frayer un passage à travers les décombres : les débris forment un amas inextricable.

Entre-temps, Simon, dit Ricq, a quitté le 3 pour se rendre au 10...

A tout prix, il faut désobstruer le puits 3 : n'a-t-on pas cru entendre des appels à un certain moment ?

 

Reumaux propose d'employer de la dynamite. D'autres suggèrent de précipiter du haut du puits un bloc de fonte, de plus d'une tonne, à usage de contrepoids dans les plans inclinés. Avec la puissance que donnerait à ce bloc l'accélération de la pesanteur, ne peut-on espérer provoquer la chute générale des débris au fond du puits ? Ou tout au moins une ouverture assez grande pour permettre le passage du tonneau ?

 

Petitjean, qui connaît bien l'état des lieux pour y avoir travaillé depuis le matin, n'est pas partisan de la dynamite. De son côté, Bar craint que le bloc, dévié dans sa chute, ne heurte les parois du puits, provoquant de nouveaux éboulements et réduisant ainsi la section d'aérage. De plus, il faudrait prévenir les hommes susceptibles de se trouver aux abords du puits et les inviter à se garer. Or, il s'avère impossible de faire passer à travers les décombres une lampe de sûreté, et un message.

 

Dans ces conditions, l'ingénieur en chef Léon décide de surseoir la décision, toutes dispositions étant néanmoins prises pour agir dans un sens ou dans l'autre si l'opportunité s'en faisait sentir. Il est environ 17 heures.

 

Au 4, les ventilateurs marchent à fond ; dans le puits, l'air devient plus respirable. Mais la cage ne peut toujours pas descendre au-delà de 300 mètres. Il faudrait la remplacer par une autre de plus petites dimensions, opération qui demanderait plus d'une heure. C'est trop. Au fond, des hommes meurent.

 

Combien sont-ils ? 852 descentes ont été enregistrées. 47 hommes ont été sauvés, auxquels il faut ajouter 125 miraculés. N'ayant pu gagner leurs tailles proches du foyer d'incendie, l'ingénieur les avait fait remonter. C'était quelques instants avant la catastrophe ! Manquent à l'appel : 680 personnes.

 

Lucien et Henri Evrard, ainsi que d'autres mineurs, des­cendent sous la cage, scient les guides en fer rabattus dans le puits. Après une heure d'efforts inouïs, la voie est libre.

 

Un spectacle horrible attend les sauveteurs qui mettent pied au dernier accrochage : au milieu de cadavres déchiquetés, des blessés râlent.

 

Pendant que certains s'emploient à les faire remonter, d'autres explorent les galeries voisines. Partout des cadavres, partout des éboulements, partout du mauvais air.

 

Les sauveteurs sentent les premières atteintes de l'as­phyxie. A une vingtaine de mètres de l'accrochage, Dinoire et Lafitte tombent. Vite, on les ramène à l'accrochage.

 

Entre-temps, quatorze corps ont été remontés.

Sur le carreau de la fosse, c'est le remue-ménage suivi par la foule anxieuse. Tirées par des chevaux, des ambulances se mettent en place ; c'est donc que des blessés ont été remontés.

 

Mais quels blessés ! Des hommes presque nus, dont la peau se détache par lambeaux. L'un est scalpé. Transportés sur civière à la lampisterie, ils sont pansés. Puis, chargés, un par un, dans les ambulances.

 

La grille s'ouvre. Une ambulance sort. La foule s'écarte. Qui est à l'intérieur ? On veut savoir ! Des hommes arrêtent le

cheval. D'autres bousculent les gardes, montent dans la voiture, lancent à la cantonade le nom du blessé.

Et ainsi chaque fois qu'une ambulance quittera le carreau de fosse. Parmi les noms entendus, Pierre Devos, de Sallaumines, le bras droit arraché ; trois grands brûlés : Eugène Choisy, cabaretier au Pont de Sallaumines ; Gaspard Guilleman, de Méricourt Village, et Jean-Baptiste Lemal, de Méricourt Corons.

 

De la foule montent des sanglots. Les larmes coulent. A l'espoir succède la déception.

 

Deux blessés, soutenus par des camarades, regagnent à pied leur domicile. Les questions fusent de partout : mon père ? mon frère ? un tel ? Des paroles incohérentes tiennent lieu de réponses : ils reviennent de l'enfer.

 

 

Les sauveteurs s'entretiennent sur le carreau de la fosse, se concertent : ils ont bien cru entendre des appels ; mais, au fond, l'air est irrespirable.

- Y a-t-il encore des blessés ? demande un journaliste.

- C'est fini ! Tous les vivants sont remontés. Il n'y a plus maintenant que des morts, répond tristement l'un d'eux avec un haussement d'épaules d'homme malheureux.

L'ingénieur Dinoire, remis sur pied, confirme

 

- Tout espoir de retrouver encore des vivants est dès à présent perdu ; il ne reste plus qu'à entreprendre méthodique­ment le travail de pénétration dans les galeries. Des équipes dirigées par des ingénieurs se relayant d'heure en heure vont attaquer les éboulements et avancer avec précaution.

 

On sort deux berlines de la cage qui vient de remonter, deux berlines couvertes d'une toile, deux berlines qu'on roule vers l'infirmerie. Cinq cadavres presque nus, noircis, ratatinés, impossibles à identifier. L'un a le derrière de la tête emporté ; le reste de sa face ballotte sur les bras de l'homme qui le tire de la berline. Une vision insoutenable. Vivement, ils sont ensevelis.

 

La rumeur que tout espoir est perdu se répand dans la foule. Les familles ne peuvent se résoudre à l'évidence. Une activité fébrile règne. Des berlines sont chargées de bois. Les molettes du puits tournent. On se refuse à quitter les lieux. On attend. On espère. Qui sait ? ...

 

 

16 h 30. Espoir ! 26 ouvriers sont remontés, sains et saufs ! Deux sont légèrement intoxiqués : Henri Stueux, de Méricourt Village et Gustave Bour, de Willerval.

 

Alcide Lefin d'Avion, François Cerf de Noyelles, donnent des détails de leur odyssée. Ils travaillaient dans un plan incliné quand se produisit l'explosion : un bruit terrible, une impression que tout s'écroulait autour d'eux. Ils courent vers l'accrochage. Des éboulements, des cadavres, un air vicié. Ils rebroussent chemin, trouvent par hasard un coin aéré, s'y blottissent. Combien sont-ils alors ? 36, dont le porion Adolphe GRANDAMME et son fils.

 

Au bout d'un certain temps, ils reprennent le chemin de l'accrochage, Grandamme en tête. A travers les éboulis, ils ram­pent, passent au-dessus de cadavres. Certains n'en peuvent plus, Grandamme va les chercher.

 

Sous un éboulement, un galibot crie : « Maman, Maman ». Il a le bras coupé. Impossible de le délivrer. Le gosse meurt.

 

La marche épuise. A force de revenir  en arrière Grandamme faiblit. Un à un des mineurs sont abandonnés. Grandamme essaye encore d'en ramener un. Ses forces le trahissent. Il tombe. Il ne reviendra plus. Ni son fils.

 

26 seulement revoient le jour. Quelle vision ont-ils du fond ? Tout est éboulé. Partout des cadavres, des monceaux de cadavres..

L'espoir de retrouver d'autres ouvriers vivants est perdu. Les cages ne remontent plus que des morts.

La nouvelle de l'effroyable catastrophe de « Courrières » s'est répercutée dans la France entière, et à l'étranger. Les témoi­gnages de sympathie affluent de toutes parts.

 

Dans l'après-midi, le Président de la République Fallières adresse au préfet du Pas-de-Calais le télégramme suivant

 

« Le Président de la République, profondément ému par la nouvelle de l'effroyable malheur qui frappe la population minière de Courrières, s'empresse de vous charger de lui transmettre l'assurance de sa douloureuse sympathie.

 

« Un des officiers attachés à sa personne accompagnera ce soir MM. les ministres de l'Intérieur et des Travaux publics et apportera sa part contributive aux premières victimes de la triste catastrophe ».

 

En signe de deuil, le Président Fallières ne participera pas le soir au bal de l'Ecole Normale.

Prévenu télégraphiquement, le député-maire de Lens, Basly, arrive vers 17 heures à la fosse 4. Il est accompagné de l'inspecteur général du service des mines au ministère des Travaux publics, Delafond. Ils sont accueillis par Lavaurs.

 

Partis de Paris à 17 h 25, le ministre de l'intérieur Dubief, le ministre des Travaux publics Gauthier accompagné du directeur des mines au ministère, l'officier d'ordonnance du Président de la République, le commandant Keraudren, arrivent par train spécial au pont de Sallaumines vers 19 h 30. De là, ils sont conduits en voiture à la fosse 4.

1 100 mineurs au moins sont encore au fond, peut-être même 1 200. A-t-on quelque espoir d'en sauver encore ? L'ingénieur en chef de contrôle des mines, Léon, montre à la délégation trois cadavres qu'on vient de remonter.

- Voyez dans quel état sont ces malheureux ! dit-il d'un ton désespéré.

- Tout espoir n'est pas perdu, ajoute le directeur Lavaurs. On a cru entendre, tout à l'heure, des coups de marteau dans la profondeur de la fosse numéro 3.

        Sous une pluie battante, la délégation gagne rapidement Méricourt. Aux abords de la fosse 3, malgré le temps, la foule est toujours aussi compacte.

 

 

Les ministres sont conduits à l'orifice du puits. On peut descendre à 170 mètres, mais . . . L'ingénieur des mines Leprince-Ringuet expose rapidement aux ministres la situation.

 

Il est 21 heures. Les ministres et leur suite montent dans un fourgon. Une locomotive les emmène à Billy-Montigny où se trouve garé le train spécial. La délégation, qui compte revenir dimanche, sera hébergée à la Préfecture. Le train part pour Arras.

Devant l'impossibilité de désobstruer le puits 3, Simon, dit Ricq, est parti au 10, avec l'espoir d'atteindre le 3 par ce puits.

 

Il descend, accompagné de deux camarades, Bouvier et Pompier, et d'un porion de la fosse 10, Pelabon.

 

Par la veine Julie, ils partent en direction de l'accrochage 280 de la fosse 3. Ils. y découvrent, morts, deux DEHAY, Charles et Ferdinand GUISGAND, Victor RUCART et son fils Pierre. Et un autre corps, difficilement reconnaissable : celui de l'ingénieur Barrault sans doute.

 

Dans le puits, plus de guides. Ricq lance un appel. Pas de réponse. Il essaye une seconde fois. Du fond du puits, un S.O.S.

- Ricq, viens vite nous débarrasser !

 

Des hommes sont vivants ! Ils réclament des secours. Rapidement, Pelabon, Ricq et ses. camarades essayent de gagner les étages inférieurs. En vain, ils tentent de s'approcher du barrage édifié pour circonscrire le feu dans la veine Cécile. Ils décident de descendre à 303 mètres par le beurtiat. Plus d'échelles. En désespoir de cause, ils empruntent un retour d'air qui les conduit à l'étage 303 par des écuries où gisent tous les chevaux. Ricq ouvre la porte d'aérage entre le puits et l'accrochage

devant lui, des camarades de travail vivants ! Ils sont 14 ! Un moment de joie débordante.

 

A l'étage en dessous, peut-être y a-t-il encore des survi­vants. Ricq lance plusieurs appels. Sans suite.

 

Il est temps de partir. La catastrophe, l'attente ont éprouvé les camarades retrouvés. Ils ne peuvent participer à d'éventuelles recherches.

 

Le groupe arrive cahin-caha à l'accrochage du 10, les sauveteurs soutenant, portant les sauvés au nombre de 17, trois autres ouvriers ayant été recueillis en cours de route. Il est 21 h 30.

 

 

Aussitôt après, Pélabon et Ricq se rendent au 3.. .

 

Entre-temps, Petitjean avait cru entendre des appels dans le puits. La mort dans l'âme, il ne pouvait rien faire : 170 mètres seulement de puits, dont Leprince-Ringuet vérifie l'état, sont accessibles.

 

Sur ces entrefaites, arrivent Pélabon et Ricq dont Petitjean avait justement perçu les appels. Ils rendent compte de ce qu'ils ont vu aux accrochages 280 et 303, et du sauvetage de leurs camarades. De son côté, Leprince-Ringuet estime qu'on ne peut rien entreprendre dans le puits avant d'en avoir consolidé les parois.

Depuis longtemps, la nuit est tombée sur le pays noir. Aux abords des puits sinistrés, la foule des mineurs, parents et amis, est toujours aussi dense malgré la pluie qui tombe sans arrêt.

 

Elle piétine dans la boue, en proie à ce qui lui paraît être un cauchemar. Car, au fond des coeurs, subsiste un espoir. Elle attend. Elle espère malgré tout : un certain nombre d'ouvriers ne sont-ils pas prisonniers de la mine à cause des éboulements ? L'atmosphère n'est pas irrespirable partout. Des hommes ne sont ­ils pas remontés vivants au 4, au 10 ?

Mais pour la direction des mines, pour les sauveteurs qui ont pu mesurer l'étendue du désastre, les chantiers souterrains ont été ravagés sur une longueur de 3 km environ et une largeur supérieure à 1 km à la suite d'une explosion qui aurait pris naissance à la fosse 3 et dont les effets se seraient répercutés jusqu'à la fosse 4 d'une part et au voisinage de la fosse 2 d'autre part. Partout des cadavres ...

Combien de mineurs sont descendus en ce matin tragique ? Environ 500 à la fosse 2, 440 à la fosse 3, 850 à la fosse 4. Au total, près de 1 800 hommes. 125 mineurs sont remontés du 4 peu avant la catastrophe ; 460 autres seraient remontés sains et saufs. Il resterait, ensevelis sous terre, plus de 1 200 morts : hommes brûlés, asphyxiés, déchiquetés, écrasés sous les décombres .. .

Au fond, les hommes d'une même famille travaillent bien souvent en équipe. Dans certaines maisons, on compte trois, quatre, cinq absents. Combien de familles sont dans ce cas ? Cinquante, cent ? ...

Ainsi les Clin ont perdu quatre fils et leur gendre ... Une femme a perdu son mari et ses cinq fils ...

Dans une autre famille, trois frères, cinq beaux-frères, quatre neveux sont morts. Compte tenu des liens de parenté, c'est par vingtaines que l'on dénombre les victimes d'une même famille.

Corons de Méricourt, dans des files de maisons, pas un homme n'est rentré ... Des familles entières sont anéanties.

Le bureau de poste de Billy-Montigny est resté ouvert la nuit. Une foule de malheureux s'y presse. Des télégrammes partent dans toutes les directions ... « Père mort » ... « Frères décédés » ...

Il est 22 heures. Une jeune femme entre, éperdue ; se précipite au guichet. Le puits 2 est maintenant accessible. On vient de remonter des cadavres. Parmi eux, celui de son mari ...

Le samedi 10 mars 1956, à 9 heures, dans toutes les églises de la concession de Courrières, des messes sont célébrées.

 

Rendez-vous ensuite à 10 h 30 sur le carreau de la fosse 3 à Méricourt où se déroulera la cérémonie officielle au cours de laquelle M. Phalempin, préfet du Pas-de-Calais, décorera deux des trois rescapés présents à la cérémonie.

Qui sont-ils ?

 

César DANGLOT, 78 ans. Une figure légendaire. Combien se souviennent de ce vieillard à la figure burinée, assis, aux beaux jours, à la devanture de la vitrine d'un commerçant installé sur la route nationale, près de l'arrêt d'autobus. de la fosse 3 de Méricourt ; César qui un jour m'interpella, se présenta ; César avec qui j'eus alors le plaisir de tailler une bavette. César, qui, aussitôt sa santé rétablie, est redescendu dans le puits meurtrier ; il a travaillé au fond de la mine jusqu'à sa retraite 45 années de service !

 

Anselme PRUVOST, 65 ans, l'un des plus jeunes rescapés. Il est sorti de l'enfer, gravement blessé à l'oeil. Retraité en 1956 ; 42 années de service au groupe d'Hénin-Liétard qui, à la natio­nalisation des mines, regroupa les concessions de Courrières, Dourges et Drocourt. Au temps de son activité, il chômait chaque année du 10 au 31 mars. En souvenir.

 

Honoré COUPLET, 70 ans. Retraité des Tramways de Lille où il était comptable. Il avait quitté la mine après la catastrophe.

10 h 30. Sur le carreau de la fosse 3, M. le Préfet, des personnalités et les trois rescapés ont pris place sur une tribune. Au premier rang de l'assistance, le Bourgmestre de Herne, le Directeur de la Mine de Schamrock, deux fils de sauveteurs allemands de 1906 arrivés de Herne le lundi 12 mars en début d'après-midi en gare de Billy-Montigny, sauveteurs munis d'ap­pareils respiratoires qui sont descendus avec succès vers 17 h 30 dans le puits 2 que l'on pensait à jamais inaccessible. La présence de cette délégation : l'amorce d'un jumelage de deux villes.

La première, c'est l'impératif de la sécurité du travail. « La progression technique de l'exploitation minière doit avoir pour corollaire absolu une progression parallèle de la sécurité ». Ingénieurs, porions, ouvriers et délégués mineurs sont solidaires tous doivent travailler en ce sens. Et le préfet d'énumérer les progrès considérables réalisés depuis 50 ans : « L'interdiction des lampes à feu nu, la mesure scientifique du grisou, les barrages si efficaces contre la propagation des coups de poussières, la modernisation des procédés de ventilation, l'arrosage systématique des tailles constituent des améliorations essentielles qui ont fait leurs preuves contre les risques d'explosions brutales, aussi bien que contre la menace plus sournoise de la silicose (...). Ainsi, les 1 100 malheureuses victimes de Courrières, en donnant au monde un avertissement décisif, auront-elles du moins contribué à sauver depuis lors des centaines d'autres mineurs, et leur sacrifice n'aura pas été vain ».

 

La seconde : « C'est la sublime leçon de solidarité, de courage et d'énergie, que nous ont donnée tous les acteurs et spectateurs de cette effroyable tragédie depuis le plus jeune des galibots jusqu'au plus chevronné des mineurs ou des ingénieurs ». Offres de sauvetage et produits de collectes émanant de tout le bassin minier, « des coins les plus reculés de France et de l'étranger ».

M. Phalempin termine en soulignant la conscience profes­sionnelle des dizaines de milliers de mineurs du Pas-de-Calais qui, après la catastrophe, « ont repris courageusement le chemin de la mine parce qu'ils aiment leur métier et qu'ils savent bien que leur activité est essentielle à la vie économique de la Nation ». C'est cette raison qui a conduit le Gouvernement à prendre la décision de décerner la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur à César Danglot et Anselme Pruvost. « A travers eux, c'est toute la corporation minière qui, en ce jour anniversaire de son grand deuil, est ainsi mise à l'honneur ».

 

M. le Préfet décore ensuite les récipiendaires, donne une accolade à Honoré Couplet tandis que la foule applaudit chaleureusement.

La cérémonie organisée par les Houillères s'achève par un pèlerinage au « Silo » de Méricourt Corons où de magnifiques gerbes sont déposées et où chacun se recueille une dernière fois.

A 12 heures, manifestation annuelle du souvenir organisée par la municipalité de Billy-Montigny, manifestation qui se traduit par un défilé qui conduit les édiles locaux et la population au cimetière dudit lieu où reposent côte à côte des Billysiens victimes de la catastrophe devant un monument érigé à la mémoire des victimes du travail. Une manifestation en présence des fils de sauveteurs allemands et des rescapés.

Rescapés, comment ? Une odyssée extraordinaire !

 

 L'ODYSSÉE DES RESCAPES

Le lendemain de la catastrophe, vers 8 heures, l'ingénieur des mines Leprince-Ringuet, le chef-porion Pélabon et le délégué mineur Simon dit Riq descendent dans la mine meurtrière par le puits de la fosse 10 de Billy-Montigny.

Ils explorent divers chantiers de la fosse 2 et de la fosse 3 et visitent tous les accrochages de cette fosse ; ils passent notam­ment aux accrochages 231 et 280.

Ils remontent vers 14 heures. Partout des éboulements, des cadavres, des débris humains. Aucun espoir de retrouver des survivants.

Après avoir examiné la situation, les spécialistes de la mine décident de boucher les orifices des puits 3, 4 et 11. A partir des puits 3 et 4, des ventilateurs aspirent l'air vicié, amenant de l'air frais par le puits 2 resté ouvert, l'objectif étant d'une part l'enlèvement des cadavres assez nombreux près du puits 2 et d'autre part la reconnaissance du feu supposé la cause principale de l'explosion.

Il n'y aurait plus de survivants, et pourtant .. .

 

 

Le 10 mars, dans un quartier de la veine Joséphine, au niveau 326, dix hommes ont été épargnés par l'explosion. Ils se regroupent à l'étage 280 et gagnent l'accrochage 231.

Personne ne répond à leurs appels dans le puits. Parmi eux, Nény. Perdant patience, celui-ci entraîne le groupe à revenir au point de départ, l'étage 326. Pour leur malheur ! Car le lendemain, trois hommes passaient à l'accrochage 231.

Les dix hommes retournent donc à l'étage 326. Dans un plan incliné, ils sont pris par les gaz et dégringolent sur une trentaine de mètres.

 

Wattiez, Anselme Pruvost (15 ans), Boursier, Martin (14 ans) et Nény (blessé) reprennent successivement leurs sens. Les autres sont morts.

 

Dans la bowette 326, les survivants découvrent l'ampleur de la catastrophe. Wattiez frappe sur un tuyau. Au loin, du côté de la veine Adélaïde, quelqu'un répond. Mais impossible de se frayer un passage à travers les éboulis.

 

Après discussion, Wattiez décide alors de remonter vers l'étage 231. Boursier et le jeune Pruvost le suivent. Nény et Martin restent sur place.

 

Qui avait répondu à Wattiez ?

 

Dans une taille du quartier Adélaïde, entre les étages 280 et 326, onze hommes ont été également épargnés par l'explosion.

 

Charles Pruvost, 45 ans, est le plus ancien du groupe. Sur ses conseils, les onze hommes remontent à l'étage 280, César Danglot en tête. En chemin, des gaz forment un écran. Ils reviennent à 326 ; ils y trouvent un cul de sac où l'air est respirable : il est 9 heures.

Vers 15 heures, l'inactivité pesant, le groupe Pruvost remonte vers 280 où les gaz les poursuivent. De retour à l'étage 326, ils ne sont plus que huit. Ils se réfugient dans le cul de sac qui deviendra en quelque sorte leur quartier général.

Leur estomac crie famine. Ils mangent leur « briquet », vivent quelques jours avec les casse-croûte des morts, et se retrouvent sans vivres. Se laisser mourir de faim, de soif : pas question.

 

L'un enlève l'écorce d'un bois et la mange. Voilà pour la faim ! ... Il urine dans un bidon et en boit le contenu. Voilà pour la soif ! ... Plusieurs l'imitent, pour le manger seulement. En guise de boisson, ils préfèrent l'eau d'une rigole, une eau mélangée d'urine, de poussières de roche et de charbon. Un breuvage avec un arrière-goût de sang humain. La folie les gagne. Pendant un quart d'heure ? Heureusement, ils trouvent une eau meilleure suintant sur un roche .-.

 

 

Comment sortir de la mine ? En ouvrant d'abord un passage dans les éboulis. Ils s'organisent en conséquence ; à tour de rôle, ils déblayent bois et pierres. Pour « voir clair » le plus longtemps possible, une seule lampe est allumée pour ceux qui travaillent ; les autres vivent dans le noir.

 

Ils réussissent ainsi à se frayer un passage d'une soixantaine de mètres. Déception : devant eux, un autre éboule­ment. Ils reviennent en arrière, d'autant plus découragés et abattus que la faim les tenaille.

 

Dans la voie, soudain, les pas d'un cheval. Il va et vient. Les hommes le reconnaissent : c'est « Ecuyer ». Celui-ci leur tient compagnie un moment. Mais la faim est là. Après de nombreuses hésitations, « Ecuyer » est abattu.

 

A 300 mètres sous terre, c'est le festin.

Entre-temps, que sont devenus Boursier, Wattiez et le jeune Anselme ? Ils ont réussi à gagner l'accrochage 231 où ils ont eu la chance de trouver de l'eau ; ils se nourrissent d'écorces de chênes, sauf Boursier qui avale des toiles de mallettes vidées. Plus tard, ils découvrent une réserve d'avoine dont ils se rassasieront.

 

Après le festin, il faut se remettre au travail. En vain les huit hommes cherchent une issue .. .

Quand, le 20 mars, soit 10 jours après la catastrophe, des pas se font entendre. Qui arrive ? N'ayant plus d'huile pour alimenter les lampes, ils vivent dans le noir absolu. L'homme s'annonce : c'est Nény, arrivé on ne sait comment. Une grande déception. Nény connaîtrait un endroit où trouver de l'huile, et en profite pour conduire le groupe vers le jeune Martin. De l'huile, on n'en trouve pas. Le groupe récupère Martin.

 

Les dix hommes se retrouvent dans le cul de sac. La situation est intolérable : le cadavre du cheval empuantit l'atmo­sphère. Après avoir empli au maximum leurs musettes d'une viande dégoulinante, ils quittent les lieux, errent dans la mine. Combien de temps ? Toujours est-il qu'ils se retrouvent un jour à l'accrochage 303.

D'instinct, plusieurs frappent sur des tuyaux. D'un étage supérieur, on leur répond. Ils songent à des sauveteurs. En fait, ce sont Wattiez et ses deux compagnons qui étaient arrivés à l'accrochage 231 deux jours après la catastrophe, endroit qu'ils n'avaient jamais quitté.

Le groupe Pruvost décide de gagner la bowette 280 vers laquelle Wattiez et ses deux compagnons se dirigent également. Les deux groupes se rapprochent.

- Qui êtes-vous ?

- C'est nous !

- Qui vous ?

Deux hommes se reconnaissent à leur voix. - Papa !

- Min garchon !

A 280 m sous terre, là où 15 jours plus tôt les sauveteurs étaient venus, le père Pruvost retrouve son fils Anselme. Tous deux s'agenouillent, s'embrassent, s'étreignent. Les larmes coulent ... Dans l'obscurité totale, un grand moment d'émotion.

Ces retrouvailles renforcent le moral des 13 survivants. Ils réalisent qu'ils ne peuvent trouver le salut par la fosse 3 de Méricourt. Wattiez connaît l'existence d'une voie passant sous le territoire de Fouquières-lez-Lens, voie qui peut les conduire à la fosse 2 de Billy-Montigny.

 

Le père Pruvost rassemble ses souvenirs. Il conduit le groupe vers cette voie. Puis Wattiez prend le relais.

 

Après avoir parcouru des kilomètres dans l'obscurité la plus complète, se frayant au départ un passage à travers les éboulis, marchant à tâtons, trébuchant, montant, descendant, ils arrivent le 30 mars, après des péripéties sans nombre, à l'accrochage 306 de la fosse 2 de Billy-Montigny. A la grande stupéfaction d'un garde d'écurie !

Une voix lance

- Nous sommes des rescapés ! L'alerte est donnée.

 

Après 20 jours et 20 nuits d'angoisses et de souffrances indescriptibles, BOURSIER Léon (19 ans), CASTEL Louis (22 ans), COUPLET Honoré (20 ans), DANGLOT César (27 ans), DUBOIS Albert (17 ans), LEFEBVRE Elie (38 ans), MARTIN Victor (14 ans), NENY Henri (39 ans), NOIRET Romain (33 ans), PRUVOST Charles (40 ans), PRUVOST Anselme (15 ans), VANOUDENHOVE Léon (18 ans), WATTIEZ Henri (27 ans 1/2), sortent vivants des entrailles de la terre par le puits no 2 de BILLY-MONTIGNY.

 

 

13 rescapés ? Non, 14. Car le mercredi matin, 4 avril, BERTON Auguste remontait vivant de la fosse 4 de SALLAUMINES. Lui aussi eut à lutter contre la faim, la soif et le froid. Il avait établi son quartier général dans une bowette d'où il rayonnait, se rendant régulièrement aux accrochages des puits 4 et 11. Il mangea les briquets de ses camarades morts, but l'eau de suintement des parois des bowettes, dépouilla les cadavres de leurs vêtements dont il se servit comme matelas et couvertures. Sauvé, il avait l'impression qu'une dizaine de jours seulement s'étaient écoulés depuis la catastrophe.

 

Suivant un compte rendu de l'ingénieur Heurteau, la liste des victimes comprend 1 056 Français et 43 Belges, soit au total : 1 099 victimes.

RÉPARTITION PAR COMMUNE

Communes

Nombre

de morts

Communes

Nombre

de morts

Acheville

5

Loison-sous-Lens

22

Achicourt

1

Méricourt

404

Athies

2

Montigny-en-Gohelle

9

Avion

30

Neuville-Vitasse

1

Bailleul-sire-

 

Neuvireuil

1

Berthoult

8

Noyelles-sous-Lens

102

Beaurains

1

Oppy

5

Billy-Montigny

114

Rouvroy

9

Dourges

1

Sailly-Labourse

1

Farbus

1

St-Laurent-Blangy

1

Feuchy

1

Sallaumines

304

Fouquières-lez-Lens

36

Thélus

2

Hénin-Liétard

8

Vimy

13

Izel-lès-Esquerchin

1

Vitry-en-Artois

1

Lens

12

Willerval

3

 

Ainsi qu'il ressort du tableau qui suit, le pourcentage des victimes :

· 13 à 18 ans inclus est approximativement de 27,45 '%

· de 13 à 20 ans inclus est approximativement de 36,10 0/0

 

RÉPARTITION DES VICTIMES PAR AGE

Age

BILLY-

MONTIGNY

MÉRICOURT

NOYELLES

SALLAUMINES

AUTRES

COMMUN ES

TOTAL

'0/o

13 ans

-

2

-

-

-

2

0,182

14

6

17

5

14

5

47

4,273

15

9

27

10

15

12

73

6,637

16

5

20

6

11

13

55

5

17

8

19

6

21

11

65

5,909

18

3

28

2

14

13

60

5,454

19

3

13

5

13

13

47

4,273

20

8

17

5

5

13

48

4,364

21 à 25

17

45

10

39

18

129

11,728

26 à 30

11

65

19

49

25

169

15,364

31 à 35

14

40

9

54

16

133

12,090

36 à 40

17

37

12

32

17

115

10,454

41 à 45

7

40

7

22

10

86

7,818

46 à 50

1

22

6

11

5

45

4,090

51 à 55

5

10

-

3

5

23

2,091

56 et plus

-

2

-

1

-

3

0,273

TOTAL

114

404

102

304

176

1100

 

Tableau établi d'après un document extrait du livre : « Die Grubenkatastrophe von Courrières 1906 » de HEINTZ-OTTO SIEBURG, document en provenance des archives départementales du Pas - de - Calais - Arras : « Secours aux Familles des Victimes de la Catastrophe des Mines de Courrières - Etat Nomi­natif des Victimes ayant péri dans la Catastrophe ».

Extrait de Catastrophe et accidents collectifs d'Henri Bourdon

  RETOUR CATASTROPHES DANS LES MINES

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